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Différentes approches de la conception pédagogique

Chapitre 4. L A QUESTION DE LA MOTIVATION

5.2. La conception de scénarios pédagogiques

5.2.3. Différentes approches de la conception pédagogique

Dans le domaine des EIAH, plusieurs approches de la conception pédagogique sont utilisées. Elles correspondent à différents domaines de recherche sur lesquels s’appuie la scénarisation pédagogique : ingénierie documentaire, langages de modélisation pédagogique et ingénierie pédagogique notamment. D’autre part, de façon générale, ces approches de la scénarisation pédagogique traduisent différentes approches de l’apprentissage telles que nous les avons détaillées dans la section 3.2.

Nous nous attachons ici à présenter cinq approches de la conception pédagogique appliquées au domaine des EIAH : l’approche centrée sur les connaissances, l’approche centrée sur les ressources ou approche documentaire, l’approche centrée sur les activités, l’approche centrée sur les interactions et l’approche centrée sur les intentions. Ces approches ne sont pas exclusives mais au contraire complémentaires sous certains aspects.

L’approche centrée sur les connaissances

L’approche centrée sur les connaissances considère l’ingénierie des connaissances comme point de départ de l’ingénierie pédagogique. C’est l’approche adoptée par Paquette avec la méthode MISA (Méthode d’Ingénierie d’un Système d’Apprentissage) (Paquette 2002) où «l’identification des connaissances » associées à la formation ou plus précisément à l’unité d’apprentissage qui

fait l’objet de la conception, «leur explicitation, leur représentation et leur formalisation » constituent l’étape préalable au processus d’ingénierie pédagogique.

Quatre grands axes de réflexion composent la méthode MISA : la modélisation des

connaissances, la conception pédagogique, la conception médiatique et la planification.

La modélisation des connaissances définit de manière organisée les contenus d’apprentissage. A partir du modèle de connaissances défini, une compétence principale est retenue comme objectif d’apprentissage pour chaque unité d’apprentissage et sert de base à la conception du scénario pédagogique. Une compétence est l’association d’une habileté à un ensemble de connaissances. Paquette la définit comme

« un énoncé de principe qui régit une relation entre un public cible, ou "acteur", une habileté et une connaissance. ».

Une connaissance est quant à elle

« une structure pouvant être stockée dans la mémoire d’une personne ou d’un système cognitif et pouvant faire l’objet de divers traitements par d’autres connaissances. »

Il peut s’agir de faits, de connaissances abstraites mais aussi d’habiletés. L’habileté, enfin, est de son côté définie comme

« un processus générique (métaconnaissance) qui permet à une personne ou à un système artificiel de traiter des connaissances dans différents domaines ».

On distingue 4 grands types d’habiletés, intégrant chacun des éléments appartenant aux domaines cognitifs, psychomoteur, affectif et social : recevoir, reproduire, créer et autogérer. Les approches centrées sur les connaissances, comme celle proposée par Paquette, proposent une démarche utile dans les toutes premières phases du processus de conception : l’analyse du périmètre de connaissances ciblé par la formation amène à une définition plus précise du problème de conception, étape-clé pour la conception d’une solution adaptée.

L’approche documentaire, centrée sur les ressources

L’approche documentaire basée sur les ressources, ou objets d’apprentissage, repose notamment sur des principes de partage et de réutilisation des ressources pédagogiques. C’est l’objet du projet européen ARIADNE1 qui a abouti à la réalisation d’outils visant à favoriser ce partage et cette réutilisation des ressources pédagogiques. Plusieurs conditions déterminent l’efficacité de l’approche documentaire (Pernin et Lejeune 2004b) : l’indexation des objets ; leur interopérabilité ; l’intégration des services au sein d’un environnement pour adapter, réutiliser, structurer les objets d’apprentissage et suivre les activités des apprenants portant sur ces objets ; la mutualisation des ressources. Au cœur de cette approche, des travaux sur l’indexation ont conduit à des efforts de normalisation, notamment visibles à travers la définition de la norme LOM2. La norme SCORM1 a été élaborée dans le but de constituer une implémentation technique

1http://www.ariadne-eu.org

2

de la norme LOM favorisant l’interopérabilité et offrant un modèle pour la mise en œuvre des solutions. L’intégration de services s’est quant à elle matérialisée par le développement de plateformes LMS respectant les standards LOM et SCORM.

Le projet SCENARI (Crozat et Trigano 2002) est né du constat que l’approche documentaire n’était pas suffisante pour l’application d’approches pédagogiques autres que la simple consultation d’informations. Le projet SCENARI a pour objectif de s’assurer de l’adaptation des ressources au contexte d’utilisation. Fondés sur la problématique de l’industrialisation de la conception de ressources pédagogiques, les travaux du projet SCENARI visent à optimiser la conception et à pérenniser les ressources produites en favorisant leurs mises à jour et leur réutilisation dans des contextes variés avec une adaptation facilitée aux besoins des enseignants. L’approche mise en œuvre repose sur des principes issus de l’ingénierie documentaire et de l’ingénierie des systèmes d’information. Elle s’appuie notamment sur une structuration logique de l’information et une séparation entre le scénario pédagogique et le contenu pédagogique. Dans cette approche, le scénario pédagogique désigne un parcours au sein de ressources, défini de façon plus ou moins ouverte. Les activités d’apprentissage se résument ainsi à des interactions entre un apprenant et des ressources.

L’approche centrée sur les activités

L’approche centrée sur les activités est celle adoptée par Koper dans l’élaboration du Langage de Modélisation Pédagogique (EML : Education Modelling Language) qui a inspiré par la suite la spécification IMS-LD (Koper & Olivier 2004). Ce modèle structure les situations d’apprentissage en Unités d’Etude (UE). Chaque UE vise un objectif d’apprentissage précis et est composée d’activités réalisées par des acteurs (apprenants ou enseignant) dans un environnement qui met à leur disposition les ressources et outils nécessaires (Pernin 2004).

Figure 26 - Présentation simplifiée du modèle EML (Pernin 2004)

1

Le modèle proposé par EML est considéré par Pernin (2004) comme offrant cinq apports majeurs dans la réflexion pédagogique :

La position centrale conférée à l’activité d’apprentissage favorise une scénarisation pédagogique tournée vers l’activité des apprenants et non pas centrée sur les contenus. La réflexion sur les activités d’apprentissage entraîne par ailleurs un questionnement sur

les stratégies pédagogiques à mettre en œuvre.

Ce modèle laisse à l’enseignant ou au concepteur pédagogique le choix du type de dispositif d’apprentissage qu’il souhaite adopter (traditionnel ou utilisant des outils numériques), il est donc ouvert, ce qui le rend tout à fait compatible avec la conception de scénarios de dispositifs de formation hybrides.

Le modèle EML, en séparant les activités d’apprentissage des ressources utilisées, offre la possibilité de concevoir des patrons de scénarios réutilisables dans des contextes différents en y associant des ressources et des contenus nouveaux, adaptés à la nouvelle situation.

Le modèle EML est indépendant des plateformes d’exécution, ce qui favorise la pérennité des scénarios élaborés.

L’approche centrée sur les interactions

Un autre type d’approche de la conception place les interactions au centre de la réflexion. Il porte sur des scénarios qui proposent des activités collectives (collaboratives ou coopératives). Nous étudions plus spécifiquement les particularités de ces scénarios dans la section 5.3.

La mise en œuvre d’une approche spécifique pour l’apprentissage collaboratif vise à exprimer les interactions sociales entre les acteurs du scénario et les différentes modalités qui y sont associées.

Dans la recherche autour des CSCL (Computer Supported Collaborative Learning – cf. § 5.3.1), la conception de scénarios pédagogiques collaboratifs est étudiée à travers le concept de script

(Dillenbourg 2004) assimilable à la notion de scénario pédagogique mais possédant des spécificités induites par la nature collaborative des activités d’apprentissage mises en œuvre :

« Scripting is some compromise between the constraints usually induced by instructional design and the freedom of collaborative learning. » (Dillenbourg 2004)

Dillenbourg (2002) retient cinq attributs pour décrire les phases composant un script : la tâche que les apprenants doivent accomplir, la composition des groupes, la manière dont la tâche est distribuée entre les groupes mais aussi au sein d’un groupe (définition de rôles, de sous-tâches), la modalité d’interaction (face-à-face, synchrone ou asynchrone, etc.), la durée.

Le modèle de participation présenté par Ferraris et al. (2005), issu des travaux de Martel (1998) et à l’origine du langage de modélisation LDL (Learning Design Language) (Martel et al.2006), correspond lui aussi à une approche centrée sur les interactions. Il propose un cadre pour décrire

les activités de groupe à l’aide des notions d’enceintes, d’acteurs ayant un rôle et une position, de scénarios d’interactions et d’outils (des explications plus détaillées sont proposées à travers la présentation du langage LDL dans la section 6.5.2).

L’approche centrée sur les intentions

Une autre approche de conception pédagogique vise à prendre comme point de départ les intentions des concepteurs ou enseignants-concepteurs (Emin 2010). Dans cette approche, une intention pédagogique est définie comme une orientation générale exprimant les effets attendus suite à la formation. Les intentions se différencient des objectifs pédagogiques et ces deux notions sont complémentaires : les objectifs pédagogiques portent sur les capacités visées chez les apprenants et expriment de façon plus concrète les intentions ; les intentions quant à elles donnent du sens aux objectifs pédagogiques en les positionnant dans une perspective plus globale (elles portent de façon plus générale sur les connaissances et compétences visées, sans formulation de résultats mesurables chez les apprenants). Emin (2010) donne les exemples suivants afin de distinguer intention et objectif pédagogique : la phrase « Je veux que les jeunes comprennent l’importance de l’argent dans la vie quotidienne » formulée par un enseignant est une intention, et la phrase « le jeune doit être capable d’établir un budget prévisionnel équilibré à partir des informations suivantes… » constitue un objectif opérationnel.

Le modèle ISiS (Intentions, Stratégies, interactional Situations) (Perninet al. 2008 ; Emin 2010) a été élaboré suite à plusieurs constats : d’une part, les EML (langages de modélisation pédagogique) existants (tels que IMS-LD ou LDL) sont difficilement utilisables par les concepteurs ; d’autre part ces EML ne prévoient pas l’expression des intentions des concepteurs, qui apparaissent pourtant comme essentielles dans le processus de conception et de réutilisation de scénarios pédagogiques (Emin 2010). Les intentions ont la particularité d’être liées à des concepts et processus métiers spécifiques au domaine de conception concerné. Une phase préalable à la définition du modèle ISiS a consisté à décrire le processus-métier de conception de scénarios pédagogiques (décrit précédemment

figure 23) en faisant apparaître la place des intentions dans le choix de la démarche didactique et pédagogique mise en œuvre.

Dans ce contexte, le modèle ISiS a été défini pour

« structurer la démarche de conception d’un scénario pédagogique et pour favoriser la réutilisation et les échanges de pratique entre concepteurs » (Emin 2009).

Selon ce modèle (figure 27), un scénario pédagogique est tout d’abord décrit à l’aide d’un scénario structurant appelé scénario intentionnel qui exprime les différents niveaux de décision du concepteur : intentions, stratégie, tactique. Ce scénario structurant doit par la suite être instancié en faisant correspondre les éléments abstraits définis (activités types, rôles types, ressources types, lieux types) à des éléments concrets de mise en œuvre (ressources concrètes,

services offerts par la plateforme choisie pour le déploiement). Le modèle ISiS est détaillé de manière plus complète dans la section 6.5.3.

Synthèse : conception pédagogique (1/2)

Dans le contexte de nos travaux, la conception de dispositifs de formation utilisant le jeu est abordée sous l’angle de la scénarisation pédagogique présentée dans les sections précédentes. Nous retenons que la scénarisation pédagogique ne porte pas exclusivement sur les contenus mais englobe les activités de l’ensemble des acteurs de la formation et les ressources utiles pour réaliser ces activités. Considérant la scénarisation pédagogique comme une activité de conception au sens large, nous prenons en compte les résultats de certains travaux en sciences cognitives (cf. section 5.1). Nous notons que la scénarisation pédagogique s’inscrit dans un processus de conception caractérisé notamment par :

une phase de conception initiale basée sur la réutilisation d’idées personnelles, pas obligatoirement formalisées, ou de solutions mutualisées au sein d’une communauté de concepteurs ;

différents niveaux de scénarisation : de l’esquisse au scénario détaillé, l’activité du concepteur est basée sur un processus d’affinement progressif et itératif ;

une place importante conférée à la communication entre les différents acteurs du projet autour du scénario en cours d’élaboration.

Dans nos travaux de thèse, nous nous intéressons plus spécifiquement à la conception initiale du scénario par un ingénieur pédagogique cherchant à répondre à une demande de formation formulée par un commanditaire (client externe dans le cas d’une société prestataire en ingénierie de formation ou besoins de formation internes dans le cas d’un service de formation d’une entreprise). L’importance des échanges avec le commanditaire du projet doit de ce fait être prise en compte.

Synthèse : conception pédagogique (2/2)

Nous relevons qu’il existe différentes approches de la conception pédagogique traduisant différentes approches de l’apprentissage. Nous retenons plus particulièrement que l’approche centrée sur les activités favorise la mise en œuvre de démarches pédagogiques cognitivistes et constructivistes en plaçant la réflexion sur l’apprenant.

Nous notons également que l’approche centrée sur les connaissances constitue un point d’entrée pertinent pour la phase de définition du problème de conception, et nous la rapprochons de la démarche définie par la didactique professionnelle où l’étape d’analyse des compétences en situation apparaît comme un préalable à la conception d’un dispositif de formation (cf. section 3.2.5).

Dans l’étape initiale du processus de conception, l’approche centrée sur les connaissances peut être complétée par la prise en compte des intentions afin de définir les objectifs de la formation et les stratégies. De son côté, l’approche documentaire apporte un éclairage utile sur les problématiques de mutualisation, réutilisation et pérennisation des ressources pédagogiques qui constituent un enjeu important dans notre contexte d’application.

Enfin, l’approche centrée sur les interactions apporte des éléments essentiels pour la définition d’activités collectives, centrales dans les dispositifs de formation que nous étudions.

5.3. L’apprentissage collectif et ses problématiques de