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Chapitre 4. L A QUESTION DE LA MOTIVATION

5.1. L’activité de conception en général : point de vue des sciences cognitivessciences cognitives

5.1.1. Définition de la notion de conception

Dans nos travaux, lorsque que le terme conception est utilisé, il renvoie au terme anglais design.

Ce terme, comme l’indique Todd Lubbart dans la préface de l’ouvrageCréativité et conceptionde Bonnardel (2006), «puise ses origines dans le mot français "dessein" » utilisé jusqu’à la fin du 17e siècle dans le domaine de l’art pour désigner à la fois le dessin (le tracé) et le projet ou l’idée sous-jacente. Le terme designest donc, de manière intrinsèque et dès son origine, porteur d’une double signification portant sur les aspects concrets et abstraits de l’activité. La notion de design

s’applique aujourd’hui de façon plus large à la conception d’objets concrets ou à la conception de dispositifs plus abstraits tels que des programmes informatiques, des plannings, des jeux ou des scénarios de formation.

En tant qu’activité, la conception est un objet d’étude pluridisciplinaire qui intéresse à la fois la psychologie cognitive, l’ergonomie cognitive et l’informatique. Dans les travaux de recherche sur le design, ceux de Simon (1969 in Mor & Winters 2007) sont souvent cités comme fondateurs du domaine. Simon est le premier à avoir considéré le design comme une science, le positionnant dans les sciences de l’artificiel afin de le distinguer des « sciences naturelles »1. La science du

design, de l’anglais design science, est née du besoin d’étudier de manière empirique le

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processus de conception. A la différence des « sciences naturelles » qui s’intéressent à analyser l’existant, la science de la conception s’intéresse au potentiel, à ce qui pourrait être, dans le but généralement d’améliorer ce qui existe. L’approche initiée par Simon vise à adopter un point de vue théorique générique de la conception, indépendant des domaines d’application.

Cette approche permet de mieux comprendre les situations de conception en les considérant comme des activités de résolution de problèmes complexes (Simon 1973) : les concepteurs ont un but à atteindre, sans disposer d’une procédure directement utilisable et adaptée pour y arriver. Le terme problème désigne ici «toute tâche qu’un individu cherche à accomplir » (Lubartet al. 2003). Appréhendées comme des situations problèmes spécifiques, les situations de conception possèdent les caractéristiques suivantes (Darseset al. 2001, Falzon 2005) :

le problème initial d’une activité de conception est considéré comme mal défini (au sens de Simon 1973), c’est-à-dire qu’il est incomplet, ambigu et complexe et que les variables de la situation de départ sont nombreuses et variées ;

il n’y a pas une solution unique et correcte au problème de conception mais un éventail de solutions acceptables ;

les phases de définition du problème et de recherche de solution ne s’enchaînent pas de manière séquentielle : la définition du problème et la construction d’une solution s’élaborent conjointement et se nourrissent mutuellement, selon un processus itératif ; la conception est une activité opportuniste : l’appréhension du problème et le processus

pour aboutir à la définition d’une solution diffèrent d’un concepteur à l’autre selon leur expérience et la manière dont ils prennent en compte les contraintes de la situation à un moment donné ;

la résolution du problème fait appel à des compétences multiples et nécessite souvent de travailler en collaboration pour mettre en commun les compétences nécessaires.

Lebahar (2003) propose une approche qu’il qualifie de « psycho-sémiologique » afin de prendre en compte d’autres dimensions de l’activité de conception non abordées par l’approche de Simon. Lebahar définit la situation de conception comme «la construction et la communication du modèle de réalisation d’un artefact ». Le modèle de réalisation de l’artefact répond à une commande et doit satisfaire aux contraintes qui y sont liées. Il est construit dans le but de guider les personnes qui seront en charge de la réalisation finale de l’artefact, ce qui explique la facette « communication » de la situation de conception. Lebahar juge par ailleurs trop limitante l’approche considérant la conception comme une activité de résolution de problème en ce qu’elle considère le concepteur uniquement comme un système de traitement de l’information. Dans son approche, Lebahar prend en compte des dimensions supplémentaires :

les dimensions liées aux objets de médiation intervenant dans l’activité, c’est-à-dire les divers modes de représentation (dessin, représentation mentale, verbale, etc.) utilisés par le concepteur ;

les dimensions liées aux différentes sources de signification intervenant dans le processus de conception et influençant les choix du concepteur (sources de connaissances externes, compétences et connaissances du concepteur par exemples). Selon l’approche de Lebahar, la situation de conception est un système d’interactions au centre duquel se trouve le concepteur. Elle est régie par les principes représentés sur la figure 21 et décrits ci-après.

Figure 21 - La situation de conception (Lebahar, 2003)

Le concepteur, élément central, est en lien avec les différents constituants de la situation : la tâche de conception, les sources de connaissances externes, les autres sujets intervenant dans la situation, les moyens de représentation et de communication, ses propres compétences. Il agit également sur ses propres actions afin de les réguler et de les diriger vers l’atteinte du but défini, sans cesse soumis à de potentielles évolutions. Les interactions entre le concepteur et les constituants de la situation sont des cycles

d’assimilation / accommodation : l’assimilation désigne l’interprétation des données de la situation par le concepteur, basée sur les savoirs et compétences qu’il possède ;

l’accommodation correspond à l’adaptation des savoirs et compétences du concepteur par rapport aux données de la situation. Ces cycles d’assimilation / accommodation visent à adapter l’action du concepteur aux contraintes spécifiques de la tâche de conception.

La tâche de conception vise à proposer une représentation de la solution à réaliser qui réduise au maximum l’écart entre la représentation initiale issue des données brutes de la commande et la représentation finale (le résultat qui sera produit). Durant la tâche de conception, des représentations intermédiaires de l’artefact sont produites (brouillons, notes, maquettes).

La définition initiale du problème de conception étant incomplète et imprécise, le concepteur est amené à définir sa propre représentation du but à atteindre. Ces représentations mentales évoluent au cours du processus de conception en fonction de quatre facteurs principaux (Bonnardel 2006) :

les données de la situation ou du contexte,

les représentations élaborées au cours de la conception, la réalisation d’analogies,

la gestion de contraintes.

Si la conception se base sur des connaissances liées à la situation, elle passe également par la réutilisation de solutions développées pour répondre à des problèmes analogues (Détienne 2001). Même si la tâche de conception vise la création d’une solution originale, le concepteur ne part jamais réellement de rien, il fait appel, consciemment ou non, à des connaissances ou expériences antérieures analogues.