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Chapitre 4. L A QUESTION DE LA MOTIVATION

5.5. Conception de jeux et de jeux pour la formation

5.5.1. Approches de conception de jeux

Une majorité de travaux relatifs au game design sont menés par des professionnels de l’industrie du jeu vidéo, alors que peu de travaux académiques traitent de ce sujet. Selon Albinet (2010), la théorisation du game design est un phénomène récent qui date des années 2000. Elle a été initiée avec la diffusion du jeu vidéo et concerne majoritairement cette modalité particulière de médiatisation du jeu. Toutefois les principes mis en avant sont souvent applicables à la conception de jeu de manière plus large : c’est notamment le cas des travaux s’intéressant au processus de conception qui mettent en évidence des principes indépendants du média utilisé pour l’implémentation du jeu (i.e. support informatique pour les jeux vidéo, cartes et plateau pour les jeux de société plus traditionnels).

Spécificités du jeu en tant que problème de conception

Au niveau de la recherche académique, Frasca (2003a) met en évidence que le jeu, et en particulier le jeu vidéo, a d’abord été étudié sous l’angle de la narratologie. Le jeu est en effet considéré par certains comme une forme d’œuvre narrative analysée à l’aide d’outils de la sémiotique narrative issus par exemple des travaux de Greimas (Genvo 2006). Ceci n’est pas valable pour l’ensemble des jeux vidéo. Et même lorsqu’ils sont basés sur une narration, les jeux vidéos possèdent des spécificités qui amènent les chercheurs à vouloir les étudier à travers une approche spécifique : la ludologie ou science du jeu. La ludologie s’intéresse aux différents éléments composant le système de jeu : sa structure, ses règles et les principes qui le caractérisent plus particulièrement, indépendamment du média qui supporte l’activité.

Si certains chercheurs ont dans un premier temps considéré comme distinctes les approches de ludologie et de narratologie, d’autres proposent de les associer de façon complémentaire afin de produire une analyse complète des jeux (Genvo 2006, Frasca 2003b).

Genvo identifie également deux pôles à prendre en compte dans l’analyse d’un jeu : d’une part la structure de la situation définie par le système de règles soumis au joueur et d’autre part l'attitude du joueur à l'égard de la structure.

Beaucoup de travaux sur le game designs’inscrivent dans l’approche ludologique. C’est le cas notamment de Djaouti et al. (2010) pour qui la conception de jeu ou game design s’intéresse à concevoir « l’interactivité ludique », c’est-à-dire les possibilités d’interactions entre le joueur et le jeu, qui sont plus particulièrement relatives aux règles du jeu, indépendamment du support et donc de la manière dont ces règles sont appliquées. De son côté Genvo (2006) indique que

« le travail du game designer consiste à communiquer l’idée de jeu à l’utilisateur par l’intermédiaire d’une structure afin de lui faire adopter une attitude ludique. »

Une troisième définition, celle proposée par Salen et Zimmerman (2004) désigne le game design

comme un processus :

« Game design is the process by which a game designer creates a game, to be encountered by a player, from which meaningful play emerges. »

Dans la suite, nous nous intéressons à différentes approches du game design reprenant les notions mises en évidence par ces définitions : le game design comme définition de règles du jeu, le game design et la recherche d’une attitude spécifique chez le joueur, le game design en tant que travail sur le lien entre la structure du jeu et l’attitude du joueur, le game design en tant que processus.

Le game design : des approches multiples adaptées aux besoins de conception

Djaouti et al. (2010) ont dressé un état de l’art de méthodologies de game design s’inscrivant dans l’approche ludologique présentée précédemment. Leurs travaux distinguent ainsi deux grandes catégories de méthodologies :

d’un côté les méthodologies basées sur un modèle formel s’intéressant soit au jeu, soit au joueur, soit à la relation entre le joueur et le jeu, soit au processus degame design ; de l’autre des méthodologies moins formalisées proposant soit des conseils pour la

conception, soit des listes d’éléments possibles à combiner pour concevoir un jeu.

Dans les premières approches, le jeu est considéré comme un objet et on s’intéresse à sa structure. Des éléments constitutifs du jeu sont identifiés et alimentent la conception : selon cette approche, notamment adoptée par Elverdam & Aarseth (2007) (cf. figure 29), la conception d’un nouveau jeu consiste à renseigner les propriétés des dimensions identifiées dans le modèle.

Figure 29 - 17 dimensions du jeu (Elverdam & Aarseth 2007)

Les approches de conception s’intéressant au joueur cherchent quant à elles à «comprendre les joueurs et leurs motivations pour prendre part à l’interactivité ludique » (Djaoutiet al. 2010). C’est dans cette catégorie que sont situés les travaux de Caillois. Ces derniers, qui ne portent pas à l’origine sur des questions de conception, s’avèrent cependant souvent cités comme référence dans des travaux sur lagame design (Salen & Zimmerman 2004, Bateman & Boon 2005, Albinet 2010). Dans ces travaux, les catégories de jeux identifiées par Caillois (1958) (cf. section 4.5.1) servent par exemple de base à l’identification de catégories de joueurs : on distingue ainsi les joueurs qui s’intéressent à la compétition, ceux qui aiment se livrer au hasard, ceux qui apprécient le jeu de rôle, ceux qui recherchent le vertige. Les approches de conception basées

sur un « modèle du joueur » utilisent ce type de catégorisation comme point de départ à la conception d’un jeu.

Enfin, certaines méthodologies de game design s’appuient sur un modèle formel de la relation joueur/jeu. Dans ce cas on retrouve une combinaison des deux types de modèles précédents à travers notamment la mise en évidence des relations qu’ils entretiennent. Cette approche multiperspective paraît particulièrement intéressante en ce qu’elle offre une vision plus complète du jeu : joueur, jeu, articulation joueur/jeu.

Salen et Zimmerman (2004), qui s’inscrivent dans cette approche, définissent un cadre de conception des jeux basé sur la notion degame design schemas, correspondant à des points de vue différents (cf. figure 30) :

les règles (rules) : point de vue formel qui concerne les structures mathématiques intrinsèques au jeu ;

le play : point de vue expérientiel, qui analyse les interactions entre le joueur et le jeu et entre les joueurs eux-mêmes ;

la culture : point de vue contextuel qui s’intéresse au contexte plus large dans lequel s’inscrit le jeu.

Figure 30 - Les 3 schémas primaires du jeu (Salen & Zimmerman 2004)

Un autre exemple de méthodologie s’intéressant à la relation joueur/jeu est présenté dans le

modèle MDA de Hunicke et al. (2004). Dans ces travaux le jeu est appréhendé selon trois

niveaux :

le niveaumechanics : concerne les règles du jeu,

le niveau dynamics : s’intéresse au système qui résulte de l’utilisation du jeu par le joueur,

le niveau aesthetics : se focalise sur le ressenti du joueur (à ce niveau on retrouve des notions liées à l’attitude du joueur proches de celles définies par Caillois 1958).

Selon cette perspective, le travail du concepteur vise à définir les mechanics qui vont agir sur les

dynamics et ainsi susciter des réactions émotionnelles spécifiques du joueur au niveau des

Figure 31 - Modèle MDA (Hunicke et al. 2004)

D’autres travaux sur le game design visent à formaliser un processus de conception, c’est-à-dire

à définir les étapes constituant le game design. Tout comme nous avons pu constater une

certaine diversité dans les approches de game design abordées précédemment, il n’existe pas non plus de processus unique degame design. Certains auteurs retiennent d’ailleurs ceci comme un principe visant à préserver le caractère créatif et innovant de l’activité de game design (Knizia 2004, Crawford 1982) et à adopter un processus adapté aux besoins du projet. C’est aussi le cas de Bateman & Boon (2005) dont les travaux reposent sur deux postulats de base :

« 1- There is no single method to design. 2- Game design reflects needs. »

Pour illustrer leur premier principe, Bateman & Boon établissent ainsi une liste de 7 types de processus de game design (cf. liste complète en Annexe I), parmi lesquels on distingue par exemple :

Le processus « First principles » : Définition des objectifs -> Abstraction de l’univers de jeu -> Design -> Réalisation du jeu La première étape de ce processus consiste pour le concepteur à définir les objectifs visés par son projet. Il précise ensuite la nature de l’univers de jeu avant de se lancer dans la conception à proprement parler.

Le processus « Clone and tweak » (Copie et amélioration) : Utilisation d’un design existant -> Modifications -> Réalisation du jeu. Présenté comme le plus couramment utilisé, ce processus de conception s’appuie sur un jeu existant qui est ensuite modifié afin d’être adapté aux besoins du nouveau projet.

Le processus « Story-driven design » :Ecriture d’une histoire -> Design -> Réalisation du jeu. Dans cette approche une histoire sert de point de départ et de fil conducteur à la conception du jeu.

D’autres approches, identifiées par Djaouti et al. (2010), sont caractérisées comme des « livres de recettes » car elles proposent une formalisation moins poussée. Ces approches se traduisent par exemple par des listes de conseils à destination des concepteurs, relevant généralement de bonnes pratiques issues de retours d’expériences. Ces approches peu formalisées reflètent elles aussi la volonté de ne pas enfermer le game design dans un processus rigide afin de ne pas limiter les possibilités d’innovation et de créativité.