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Chapitre 4. L A QUESTION DE LA MOTIVATION

4.5. Différentes approches pour identifier les caractéristiques motivantes d’un jeumotivantes d’un jeu

4.5.4. Le courant de la gamification

La gamification1 est un concept qui désigne l’application de principes de jeu dans des activités qui ne sont pas des jeux afin de favoriser l’engagement des participants. Depuis 2007, la

gamification est utilisée dans de nombreux domaines tels que l’éducation, le travail, le marketing.

Dans le concept degamification les notions de plaisir, de récompenses et les liens sociaux sont centraux. Cette approche nous semble intéressante car elle diffère des approches précédentes : elle ne vise pas à créer des jeux à part entière, mais elle cherche à intégrer des principes de jeu dans des activités qui, même si elles en revêtent certains caractères comme la capacité à motiver et engager, ne deviendront pas pour autant des jeux. Pour exemple, nous pouvons citer l’application Chore Wars1 qui applique le concept de gamification aux tâches ménagères. Le principe est simple : vous et votre conjoint par exemple, créez chacun un personnage dont le niveau d’expérience augmente en fonction des tâches ménagères que vous effectuez dans la vie réelle. Le but de Chore Warsest de créer la motivation pour effectuer une activité en utilisant des mécaniques de jeu comme le gain de points d’expérience (cf. concept de motivation extrinsèque -§ 4.2).

Tout comme les travaux sur l’utilisation des jeux à des fins d’apprentissage présentés précédemment (Kiili 2005, Malone & Lepper 1987), les travaux sur la gamification supposent une identification préalable de ces principes de base qui rendent un jeu « amusant » et engageant. Kim (2009), chercheuse en neuroscience comportementale et conceptrice de jeux, travaille sur le concept de la gamification. Elle a identifié des mécaniques de jeu2 à travers une comparaison entre des jeux massivement multijoueurs tels que World of Warcraft3 et des plateformes sociales telles queFacebook4. Il s’avère en effet que ces deux types d’applications, bien que de natures différentes, s’appuient sur les mêmes mécaniques pour engager et fidéliser les participants.

Le principe de collection, basé sur la prédisposition des individus à apprécier le fait de compléter une collection d’objets. Ce principe vise à fidéliser les participants en les incitant à revenir sur l’application. Par exemple, sur Facebook, chaque membre a une « collection » d’amis. Dans le jeu World of Warcraft les joueurs collectionnent des pièces d’équipement pour leur personnage (épée, armure, etc.).

Le principe de points à accumuler, de niveaux à gravir. Les points sont attribués soit par le système (on parle alors de « game points »), soit par les autres participants (on les appelle alors « social points »).

Les rétroactions fournies au joueur sur son activité : ce principe vise à attirer l’attention des utilisateurs sur ce qui change dans l’environnement (système de notifications), à leur donner un retour sur leurs actions (évaluations, commentaires, annotations de leurs activités) dans le but de favoriser leurimplication.

Les possibilités d’échanges entre les participants. Ces interactions sociales constituent le cœur des communautés en ligne. Les échanges peuvent être explicites (acheter/vendre, inviter des amis) ou implicites (offrir des cadeaux, faire des commentaires).

1

http://www.chorewars.com/

2

Sens correspondant ici à celui utilisé dans le domaine de lagamification : “Game Mechanics are constructs of rules and feedback loops intended to produce enjoyable gameplay. They are the building blocks that can be applied and combined to gamify any non-game context.” Source :http://gamification.org/wiki/Game_Mechanics

3http://eu.battle.net/wow/fr/

4

La personnalisation de l’environnement : donner la possibilité aux utilisateurs de personnaliser leur profil ou l’interface de l’application favorise leur engagement en leur permettant d’exprimer leur personnalité et de créer un espace qui leur correspond.

Kim (2009) applique ces mécaniques de gamification dans les applications développées par la société Shufflebrain1 dont elle est co-fondatrice.

Priebatsch (2010) de la société SCVNGR, également spécialisée dans la gamification, a mis au point une méthodologie spécifique de conception organisée autour de principes de jeu appelés dynamiques de jeu. Cette approche constitue une application pragmatique du concept de

gamification qui se base sur des éléments différant quelque peu des mécaniques retenues par Kim. Priebatsch met en avant plus spécifiquement quatre dynamiques de jeu :

Le rendez-vous dynamique incite les participants à effectuer une action spécifique à un moment précis et selon un rythme déterminé.

Le statut change en fonction des actions du joueur, les plus fidèles ayant les plus hauts statuts. Ce principe amène les joueurs à tout faire pour figurer dans la liste des meilleurs. La progression dynamique consiste à découper l’objectif final en tâches plus petites qui

sont réalisées de manière successive. Le joueur visualise ainsi pas-à-pas sa progression vers le but et le chemin à parcourir semble moins insurmontable.

Le principe de découverte collective réunit une communauté entière autour d’un même défi à relever, d’un même but à atteindre.

Gamification et formation

Dans le domaine des dispositifs de formation utilisant le jeu, Charles et al. (2009a et b) adoptent une approche similaire à celle de la gamification. Ils partent d’une application existante qui n’est pas un jeu, dans leur cas un cours universitaire, et ils y intègrent quelques principes de jeu afin de le rendre plus engageant et motivant. De la même manière que les approches précédentes, Charles et al. ont tout d’abord identifié les éléments de jeu à incorporer à leur dispositif de formation afin de favoriser motivation et engagement. Pour cela, ils se sont basés sur différents travaux : d’une part des travaux mettant en avant des facteurs considérés comme source d’engagement dans l’apprentissage (similaires aux facteurs proposés par Viau 1998), d’autre part des travaux sur les facteurs d’engagement dans les jeux.

Les travaux sur l’apprentissage aboutissent à l’identification des facteurs d’engagement suivants : le défi avec des tâches offrant un niveau de difficulté adapté (ni trop facile, ni trop

difficile) ;

la collaboration avec des tâches à mener en groupe ;

1

l’identité et les rôles donnés aux apprenants afin de les insérer au sein d’une communauté ;

des objectifs clairs et ciblés ;

des feedbacks réguliers pour que les apprenants puissent ajuster leur comportement et atteindre l’objectif fixé ;

des critères d’évaluation clairs et signifiants ;

l’authenticité avec des tâches signifiantes et pertinentes pour les apprenants ;

la reconnaissance des progrès de chacun, par des personnes autres que l’enseignant ; le choix laissé dans la manière de travailler ou dans les méthodes utilisées afin d’engager les apprenants en leur donnant un certain contrôle sur leur apprentissage.

Charles et al. affinent ensuite cette liste en la recoupant avec des facteurs de motivation issus du

game design :

Le fun ou plaisir, caractéristique centrale des jeux, peu prise en compte dans les activités d’apprentissage.

Les obstacles contenus intrinsèquement dans les jeux.

La structure organisée autour de règles du jeu et d’objectifs à atteindre.

L’identité avec la représentation visuelle que les joueurs ont d’eux-mêmes au sein de l’univers de jeu.

Les rétroactions sur les activités, centrales dans le jeu tout comme dans l’apprentissage. Les aspects sociaux à l’intérieur même du jeu mais aussi dans les échanges qui ont lieu

hors du jeu.

Comme le montre le tableau de synthèse suivant (tableau 4), élaboré d’après les travaux de

Charles et al. (2009b), de nombreux points communs existent entre l’engagement dans

l’apprentissage et l’engagement dans le jeu : le défi, les aspects sociaux (collaboration, reconnaissance), l’identité et les rôles, les objectifs ciblés, les feedbacks sur l’activité. Certains facteurs apparaissent comme spécifiques aux situations d’apprentissage tels que les critères d’évaluation et l’authenticité de la tâche. Seul un facteur d’engagement apparaît comme spécifique au jeu : lefun.

Equivalences entre :

Facteurs d’engagement dans les activités d’apprentissage

Facteurs d’engagement dans un jeu

Défi Obstacles

Collaboration

Reconnaissance des progrès

Aspects sociaux

Identité et rôles Identité

Objectifs clairs et ciblés Choix

Structure organisée autour de règles du jeu et d’objectifs

Feedbacks réguliers Feedbacks

Critères d’évaluation clairs et signifiants Authenticité de la tâche

Fun

Synthèse : caractéristiques motivantes d’un jeu

C’est à partir des caractéristiques de jeu identifiées dans ces travaux comme facteurs de motivation que nous avons défini ce que nous appelons par la suite des ressorts de jeu et de motivation (cf. chapitre 10). Dans notre approche, ces ressorts visent à fournir un cadre structurant et fonctionnel pour la conception de dispositifs de formation.

Etant donné les caractéristiques des dispositifs de formation auxquels nous nous intéressons, nous adoptons une démarche proche de la gamification : dans notre cas il s’agit de réfléchir à l’intégration de ressorts de jeu dans un dispositif de formation.Les ressorts de jeu et de motivation retenus dans notre proposition ont été sélectionnés en fonction de notre objectif final : guider les concepteurs dans l’élaboration de dispositifs de formation utilisant le jeu. Nous avons donc cherché à constituer une liste de ressorts assez brève afin qu’elle soit opérationnelle. L’aspect collectif des dispositifs auxquels nous nous intéressons et la finalité d’apprentissage qui les caractérise orientent notre analyse de ces travaux et l’identification des ressorts que nous retenons : comme nous le détaillons dans la présentation de notre proposition (chapitre 10), nous nous basons principalement sur les ressorts de jeu définis par Caillois, complétés et affinés par des éléments issus des travaux en lien avec le flow (Kiili 2005), des facteurs de motivation intrinsèque (Malone & Lepper 1987) et des mécanismes relatifs à lagamification.

Chapitre 5. LA CONCEPTION

Nos travaux portent sur l’assistance à la conception de dispositifs de formation. L’activité de conception étant au centre de notre réflexion, nous avons tout d’abord souhaité nous intéresser à la façon dont elle est étudiée dans le domaine des sciences cognitives. Cette approche offre un éclairage intéressant sur le processus de conception au sens large, vu comme une activité de résolution de problème. Elle fournit par ailleurs des éléments de réflexion pour la définition d’une méthodologie et d’un environnement d’assistance à la conception. Dans un second temps, nous nous intéressons plus spécifiquement à la conception pédagogique. Nous étudions différentes approches de scénarisation pédagogique qui servent de base à nos travaux et alimentent nos réflexions sur la conception telle qu’elle est plus spécifiquement étudiée dans notre domaine d’application. Nous abordons ensuite la conception de scénarios spécifiques en commençant par le domaine de la formation avec la conception de scénarios de formation mettant en œuvre des activités collectives et de scénarios de formation hybrides. Puis nous nous intéressons au cas particulier de la conception de jeux, et à la conception de jeux pour la formation.

5.1. L’activité de conception en général : point de vue des