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Le Maroc : entre allégeances et résistances

2. La région maghrebo-sahélienne, nouvelle frontière de l’Europe

2.4 Le Maroc : entre allégeances et résistances

Le rôle de « gendarme » (Benguendouz : 2002) que l’Union européenne veut faire jouer au Maroc pour répondre aux exigences sécuritaires d’une

« forteresse » Europe qui se sent assiégée de toutes parts est un rôle qu’il conteste. Le Maroc ne peut faire totale allégeance à l’Union Européenne sans trahir ses appartenances humanitaires, religieuses et politiques. Tout d’abord, le rôle de gendarme que l’Union exige de ses partenaires rentre en conflit avec les traditions d’hospitalité ancrées dans les pays du monde arabo-berbère mais aussi avec les principes humanitaires enracinés dans les valeurs islamiques et dans les règles du Droit musulman. Selon ces principes, les dirigeants de la Dar Islam se doivent d’accorder une

« protection illimitée » à tous les étrangers ( moustamaroun) venus pour raison de commerce, de visite ou pour chercher refuge et demander l’asile politique. Le Roi, en tant que chef religieux, se doit d’accorder sa protection aux étrangers de passage.

Le Maroc (comme tous les autres pays du Maghreb) est également membre de la Ligue Arabe qui a élaboré des textes relatifs à la protection des réfugiés. Bien que ces textes aient été développés dans le cadre du conflit israélo-palestinien, la Ligue a mis en place un statut sur la protection des réfugiés et des personnes déplacées signé par tous les pays membres. Elle a élaboré deux textes d’ importance34 : le premier est une Déclaration sur les réfugiés et les personnes déplacées dans le monde arabe (19.11.92) dont l’ article 1-2 stipule « l’interdiction de renvoyer ou d’expulser un réfugié vers un pays dans lequel sa vie ou sa liberté sont en danger ». Le second est la « Convention arabe sur les réfugiés et les déplacés » (27.05.94) qui dans l’article 8 accorde « … le droit d'asile

temporaire à ceux dont la vie est en danger. » La mise en demeure par l’Union Européenne de reconduire aux frontières du territoire marocain des personnes qui y cherchent un asile temporaire viole les principes de la protection humanitaire.

Le Maroc - comme les autres pays du Maghreb – reste signataire de la Convention de l’O.U.A de 1969 (même s’il s’est retiré de l’organisation en 1985 après l’admission de la RASD). Il est tenu de respecter cette Convention qui donne la définition suivante du réfugié :

« est réfugiée, toute personne qui, du fait d’une occupation extérieure, d’une domination étrangère ou d’événements troublant gravement l’ordre public dans une partie ou dans la totalité de son pays d’origine est obligée de quitter sa résidence habituelle pour chercher refuge dans un autre endroit ».

Cette définition du « réfugié » - plus large que celle de la Convention de Genève - incite les Etats à accueillir sur leur territoire les personnes ou familles victimes d’événements qui les ont forcées à chercher refuge. Ces

« événements » peuvent être de nature diverse (tensions religieuses, oppression d’une minorité ethnique, persécution par des agents non -étatiques) et se déroulent la plupart du temps dans des pays où la notion d’Etat de droit est faible ou inexistante. La plupart des personnes qui transitent par le Maroc, nous le verrons, sont de jeunes étudiants ayant fui un « événement » de ce type qui les a empêchés de poursuivre leurs études. La politique africaine menée par Hassan II et poursuivie par Mohamed VI se veut une politique africaine d’ouverture, porteuse de relations privilégiées avec de nombreux pays d’Afrique noire. Cette politique de solidarité favorise l’accueil de milliers d’étudiants35 dans ses universités et instituts de formation de haut niveau. Le Maroc ne peut qu’exécuter à contrecœur ce rôle de gendarme surtout lorsqu’il est dirigé à l’encontre de jeunes étudiants issus de pays avec lequel le Maroc a des relations privilégiées (Sénégal, Mali).

35 En 2001 le Maroc accueillait officiellement 17 000 étudiants

Le Maroc est enjoint par l’Europe de jouer le rôle de « supplétif de la répression », (Bensaad : 2005)rôle qui est maintenant attendu de la Libye pour « endiguer » les flux en direction de l’Italie et depuis mars 2006 de la Mauritanie depuis que celle-ci est devenue le point de départ pour les Canaries. Ce rôle de gendarme est attribué à des pays qui ont tous - à des degrés divers - un passif démocratique lourd. Cette injonction à pratiquer la violence à l’encontre de personnes en situation irrégulière, légitime les actions policières violentes et les violations des Droits de l’Homme. L’exécution de cette répression est confiée à des agents de l’autorité qui l’exercent souvent de façon arbitraire. Au Maroc, les actions à l’encontre des personnes en situation irrégulière se font au cours d’interpellations au domicile, de rafles et de gardes à vue, de reconduites à la frontière et d’expulsions qui ne se font que rarement dans le respect des Conventions internationales.

L’Union Européenne impose au Maroc de faire allégeance à sa politique sécuritaire, mais cette soumission exigée rencontre de nombreuses résistances. Le Maroc est un partenaire de l’Union Européenne certes, mais il est aussi membre de la Ligue Arabe et membre de l’Union du Maghreb Arabe. Bien que n’étant plus membre de l’Union Africaine, il a créé des liens de solidarité avec de nombreux pays africains en se

« faisant africain » et en plaidant la cause de ces pays perçus comme menacés par de nombreux fléaux (sécheresse, famine, guerre, pauvreté etc.). Le Maroc fait preuve de son africanité en se voulant le porte-parole de ces pays pauvres et en exigeant un partenariat plus juste et plus équilibré avec les pays européens. En se refusant à trahir ses identités multiples, le Maroc revisite la nature de ses alliances en fonction de ses appartenances, de ses intérêts nationaux et de ses revendications territoriales. Il revendique de longue date la rétrocession des enclaves espagnoles qu’il considère comme des « présides occupés ». Dans ce

disputés et revendiqués et exige de ce dernier une collaboration sans faille.

Cette collaboration, qui se donne à voir quand elle est éclairée par les feux de l’actualité en exerçant la répression (et en violant les droits de l’homme) est pourtant souvent soumise à défaillance. Se développent alors des solidarités (aides matérielles) ou des collaborations silencieuses faites de ‘non-vus’ et de laisser-faire. A haut niveau, des jeux diplomatiques subtils mêlent tout à la fois mesures de répression ostentatoires et résistances souterraines, refus d’obtempérer aux injonctions de l’Union et allégeances partielles. Les lenteurs infinies dans les procédures d’exécution, les tergiversations à adopter certaines mesures (signatures d’accords de réadmission), les résistances quotidiennes - malgré des démonstrations ponctuelles d’obéissance zélée se font sur un rythme incertain qui caractérise la nature labile, fluctuante et conflictuelle des relations hispano-marocaines et à plus large échelle la nature des relations euro-maghrebines.

Sur le terrain, les transmigrants sont les victimes ou les bénéficiaires de ces politiques, appliquées de manière scrupuleuse et violente ou au contraire de manière laxiste et passive. Le manque d’empressement de certains agents de l’ordre à assurer la surveillance des frontières extérieures de l’Europe n’est pas uniquement motivé par le profit lucratif conséquent retiré des passages clandestins. Il n’est pas non plus seulement motivé par des enjeux de politique intérieure ou étrangère. Ces résistances, ces freinages et ces blocages ne sont pas les conséquences de politiques utilitaristes ou lucratives. Ils relèvent d’une autre logique que l’enquête de terrain donne à voir. Les représentants et agents de l’autorité au Maroc chargés de surveiller « les candidats à l’émigration » ont tous un membre de leur famille en Europe et connaissent tous des compatriotes passés clandestinement en Espagne. Ils ont tous connaissance des dangers encourus par les transmigrants qui utilisent les mêmes moyens de transport pour voyager. Ils ont tous connaissance de la dangerosité de

l’entreprise et comprennent leur désir – confrontés eux-mêmes à la précarité - de passer en Europe pour aller y travailler. Ils se sentent solidaires de ces « candidats à l’émigration » qu’ils sont contraints à contrecoeur de réprimer. Ils adhérent au projet migratoire de ces

« candidats en quête d’Eldorado » qu’ils soient marocains ou noirs-africains. Par delà les clivages classiques (ethniques, religieux ou nationaux) qui en d’autres temps et d’autres lieux – peuvent se manifester avec vigueur, se « fait » ici une communauté dont les membres ont en commun de partager un même sentiment d’appartenance et de s’opposer à un même groupe. Devant la fermeté d’une Union Européenne qui se raidit et se militarise, ils « font communauté » en opposant à la

« Communauté Européenne » un laxisme favorisant la porosité des frontières. Ces appartenances ne présentent pas ce caractère de durabilité, de stabilité et d’officialité. Elles sont tout le contraire : ponctuelles et fugaces, souterraines et clandestines, efficaces et revendicatives. Elles sont sous-tendues par une aspiration commune et des intérêts communs qui revendiquent tout à la fois le droit au passage, le droit à la mobilité et le droit à l’égalité. Une revendication qui se base sur le caractère universel des droits de l’homme et qui conteste les frontières élevées par les Etats souverains.