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Connecté ici, là-bas et ailleurs

Le transmigrant d’aujourd’hui est un « connecté potentiel ». Sa famille est restée au pays et même s’il ne maintient pas de contacts étroits avec ses proches tant qu’il n’a pas atteint son but, il SAIT qu’il peut à tout moment rentrer en contact avec eux. Il a la possibilité (si urgence ou besoin ressenti) de se connecter avec ses proches dans tous les lieux où il fait

communication (NTIC) sont faciles d’usage, peu coûteuses sinon gratuites et d’un usage extensif. Le transmigrant qui est le plus souvent un

« computer literate », aiguillonné par la nécessité de communiquer, explore avec curiosité tous les nouveaux instruments mis à sa disposition.

Il connaît le maniement classique de l’Internet, envoie facilement Emails et SMS, s’approprie - plus rapidement souvent que le sédentaire nanti - les nouvelles technologies de communication gratuites comme skype62 qui permettent à partir d’un ordinateur de discuter avec un interlocuteur quel que soit le lieu où celui-ci se trouve. Si sa famille habite dans un village non connecté à l’Internet, il peut envoyer ses messages à des intermédiaires au pays qui délivrent le message à domicile contre une petite somme payée par le receveur. S’il a les moyens d’aller au cybercafé, il passe des heures à ‘surfer’ sur le net, se tient au courant de « la situation au pays ». Selon ses opinions politiques, il consulte des sites tenus par des « frères » opposants en exil et participe à des forums de discussion. Il envisage aussi d’autres manières d’émigrer lorsque ses plans de passage en Europe ont échoué. Nous avons rencontré plusieurs jeunes qui en attente au Maroc depuis plus de deux ans avaient consulté le site de la « loterie américaine63 » et s’étaient inscrits dans l’espoir d’être choisis et de gagner la « carte verte ». Ils rêvaient de s’envoler pour les Etats-Unis et étaient prêts à s’y adapter et à y résider.

Le téléphone portable est la possession la plus précieuse du transmigrant dont il ne se sépare que contraint par la nécessité. Il cherche toujours la méthode « moins chère » pour appeler et maintenir le lien avec là-bas, ici et ailleurs. S’il n’a pas d’appareil, il utilise la technique du « boxing » qui consiste à téléphoner à partir du portable d’un autre transmigrant qui déambule dans les quartiers et loue son portable en se faisant un petit bénéfice. Celui-ci connaît les possibilités innombrables pour appeler au

62 Au Maroc tous les cybercafés offrent la possibilité de se connecter sur skype ou Yahoo messenger au prix de 7DH (0,70 cts Euros) de l’heure.

63 Tout ressortissant d’un pays agréé par le gouvernement américain et qui présente les qualifications requises peut s’inscrire à la loterie organisée chaque année par le pays et qui offre au gagnant une carte verte lui permettant de résider et de travailler aux USA. 10 millions de personnes jouent à la loterie chaque année et 50 000 d’entre elles se voient attribuer la carte verte.

Cameroun en appelant un numéro au Zimbabwe etc…et utilise avec intelligence les failles du système. En 2002, il était possible en connaissant un certain employé travaillant chez un opérateur de téléphonie mobile qui avait accès à des lignes de fréquence libres, de pouvoir parler presque gratuitement et indéfiniment avec son interlocuteur au pays. Mais nous n’avons pas rencontré de ces « radiesthésistes des lignes de fréquence libres » décrits par Dana Diminescu qui ont eu la chance de découvrir des

« zones » couvertes par des satellites à émission gratuite et qui pouvaient converser pendant des heures avec leur conjoint resté en Roumanie alors qu’ils rentraient sur Paris.

Rester en contact avec ses frères, sa famille, ses amis est toujours possible même dans les situations les plus confinées. Que l’on soit « enfermé » dans un « camp militaire » dans le sud du Maroc, rejeté au désert par les forces de l’autorité ou caché dans les forêts du Gurugu en attente de passage. Lorsque la carte est vide, il suffit d’être en contact avec un tiers resté en ville qui veuille bien payer pour le rechargement de la « puce » en indiquant le numéro du bénéficiaire. Si le téléphone a été dérobé ou confisqué, on trouve toujours un « frère » qui prête son appareil pour passer un coup de fil important.

Néanmoins, les liens sont souvent interrompus, que ce soit volontairement ou non, de manière temporaire ou définitive. Ils peuvent être volontairement suspendus pendant quelques jours (quelques mois, voire quelques années) lorsque le transmigrant « voyage » et qu’incertain sur l’issue du périple, il préfère attendre d’être arrivé à bon port pour se manifester à nouveau. J.Streiff-Fenart (2004) parle de ces aventuriers rencontrés qui disent être partis « sans raison », sans pouvoir rendre raison de leur projet en le situant dans un ordre familial dans lequel ils seraient dans une position de bénéficiaire et n’avoir plus aucun lien avec leur famille. Dans ces cas là, le contact avec la famille dont on n’attend

2005), nous avons constaté que les liens familiaux qu’ils avaient démentis avaient finalement été réactivés une fois arrivés en Europe. Ils tentaient – à peine installés – (régularisés ou non) de faire venir leur fils ou leur fille restés au pays dont ils n’avaient pas toujours mentionné la présence. Le lien familial qui était resté en suspens du fait de l’incertitude de leur avenir et de la grande précarité dans laquelle ils se trouvaient était alors réactivé.

Le projet annoncé comme solitaire était devenu projet familial alors qu’il ne pouvait pas s’avouer comme tel dans les moments d’incertitude. Nous avons aussi rencontré des jeunes en rupture familiale (enfants de famille polygame ou dont les parents avaient divorcés) qui semblaient dans l’impasse et qui pour diverses raisons (manque total de moyens financiers, dispute grave, fuite devant une attaque de sorcellerie) disaient n’avoir plus aucun lien avec leur famille. Aucun ne parlait de rupture définitive et pensait bien un jour rétablir le lien. Le silence soudain - quand il est inexpliqué – est source d’angoisse pour ceux restés au pays et qui peuvent se laissent aller à imaginer les pires scénarios catastrophes.

Le contact qui réside au Nord peut lui, décider de couper volontairement le lien avec un « frère » lorsqu’il veut se désengager d’une relation qui devient trop lourde à assumer financièrement. Il évite de décrocher le combiné lorsqu’il voit s’afficher sur son cadran le numéro d’un « frère » encore au Maghreb et il préfère ne pas répondre plutôt que d’avoir à justifier le fait qu’il a lui-même de grosses difficultés financières et ne peut plus l’aider. Il peut lui aussi être dans une situation difficile , en centre de détention, avoir été débouté du droit d’asile et être devenu un SDF ou avoir été même été expulsé du pays.

Les liens avec les « frères » sont interrompus de manière involontaire lorsque le portable est confisqué par un agent de l’autorité ou extorqué par un tiers et que l’imprévoyant a oublié de cacher sa « puce » en lieu sûr. Il se retrouve alors dépouillé de son précieux répertoire et de ses contacts. Dans les lieux considérés comme dangereux, on cache sa

« puce » sur soi et on ne l’a remet dans l’appareil que lorsque l’on veut appeler ou que l’on attend des nouvelles. On mémorise au maximum les

numéros de téléphone importants dont dépend le succès du passage. On se méfie, on est prudent, on compte sur soi, on a confiance en sa mémoire.

Enfin, le transmigrant doit payer son passage pour l’Europe (sauf s’il réussi à passer clandestinement dans les enclaves espagnoles et à déposer sa demande d’asile). Il doit se faire envoyer de l’argent de l’étranger et se familiariser avec le mode d’emploi du transfert monétaire instantané. Il peut alors toucher de l’argent dans n’importe quelle agence, à n’importe quel moment et sans avoir à révéler son identité. S’il est sans-papiers, pas de problèmes, il lui suffit de répondre à une question Test posée par l’envoyeur - qui lui a communiqué la réponse par Internet ou par téléphone – pour pouvoir retirer la somme envoyée. Au Maroc, Western Union64 qui a le monopole des transferts bancaires en temps réel est utilisé par tous ceux qui ont besoin de recevoir de l’argent (paiement du passage, aide ponctuelle). Pour rendre service à ceux qui n’osent pas se rendre dans les lieux publics pour retirer leur argent, de peur d’être victime d’une rafle, certains voisins compatissants se sont spécialisés dans le retrait de l’argent, monnayant une petite commission.

Le savoir- s’informer et le savoir-communiquer s’acquièrent en cours de route, chemin faisant, en tête à tête ou devant un ordinateur, de manière conviviale ou impersonnelle, didactique ou formelle. Poussé par le besoin de mobiliser des ressources, de trouver des solutions aux obstacles de la route, le transmigrant (homme ou femme) ne peut envisager de se passer des NTCI qui lui offrent la possibilité d’être relié à ses frères, à sa famille, à ses contacts. Mais être bien connecté avec là-bas et ailleurs ne suffit pas pour réussir son passage, il faut aussi avoir de bons contacts ici, être en relation avec les bonnes personnes.

64 La compagnie Western Union a été fondée en 1851 dans l’objectif de construire la première ligne de télégraphe rejoignant la côte est des Etats-Unis à la côte ouest. Elle s’est spécialisée en 1871 dans le transfert monétaire à l’intérieur du pays. A partir de 1989 elle s’est ouverte à l’international et a crée en