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Chronique d’une répression annoncée : les évènements d’ octobre 2005

Tableau 5 : Nombre d’interpellations suivies de détention entre 1995 et 2005

Carte 1 : Les Routes des Canaries

3.3. Chronique d’une répression annoncée : les évènements d’ octobre 2005

Jusqu’en 2000, la présence des transmigrants au Maghreb était restée discrète, fluide et bien tolérée, ces derniers étant considérés comme des

« passants », des étrangers en transit responsables de leur traversée.

Cette présence labile, constante mais peu visible restait, certes, soumise au pouvoir discrétionnaire des agents de l’autorité qui négociaient la fluidité des passages. Ces voyageurs (dont certains étaient en situation régulière et d’autres non) monnayaient leur transit vers la péninsule ibérique ou les enclaves avec l’accord quasi tacite des autorités, ce qui n’occasionnait pas de phénomènes de rétention (il n’y avait alors pas plus de 200 personnes dans les forêts autour des enclaves) les futurs voyageurs n’ayant pas à se cacher résidaient ouvertement dans la médina de Tanger.

A partir de 2002, la sécurisation des frontières maritimes de l’espace Schengen qui a pour objectif d’obtenir un verrouillage total des Détroits a commencé à créer des phénomènes de rétention de personnes en attente de passage (que ce soit à travers les enclaves ou à partir des côtes méditerranéennes). Depuis 2002, on assiste à une approche de la

et caractérisé par son caractère de plus en plus violent et guerrier. Les forces de sécurité organisent ponctuellement de véritables opérations militaires employant des hélicoptères pour traquer les transmigrants, utilisant des chiens pour les effrayer ou pour les attaquer. Ils incendient leurs abris précaires avant de les reconduire à la frontière algéro-marocaine. Depuis 2002, les violences physiques exercées par les agents de l’autorité des deux pays ont augmenté (blessures par balles, coups de matraque) à l’encontre de ceux qui sont en attente ou qui tentent le passage. Chaque jour deux jeunes adultes meurent en terre marocaine ou dans les eaux des Détroits43 (MSF : 2005).

Du côté des transmigrants, les modalités « d’attaque du grillage » se sont aussi modifiées. Jusqu’alors les tentatives de passage étaient le plus souvent le fait d’initiatives individuelles ou de petits groupes (5-10 personnes) et le succès du passage lié aux compétences des individus.

Jusqu’alors ces initiatives se soldaient par le passage quotidien de la frontière métallique de 4 à 5 personnes.

Au cours de l’été 2004, des regroupements de quelques centaines de personnes avaient eu lieu44 mais dans la première semaine d’octobre 2005, (29.09.05 – 8.10.05) les tentatives de passage sont devenues massives, programmées et organisées. Elles ont permis à environ 1500 personnes de franchir les clôtures et de pénétrer dans les enclaves. Le bilan de l’opération est très lourd : 14 personnes sont tombées sous les balles des forces de sécurité, des centaines de personnes ont été blessées, des centaines de personnes expulsées des enclaves45 et environ deux mille personnes expulsées du Maroc.46 L’Espagne, contrairement à sa politique d’asile qui accueille toutes les personnes qui arrivées sur son sol

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Le nombre de victimes enregistrées est selon le rapport de MSF Espagne d’environ 7000 personnes pour la période 1995-2005. Ce nombre ne fait pas de discriminations entre les Marocains et les Sub-sahariens et ne comprend pas le nombre de personnes qui meurent pendant la traversée du Sahara ni de femmes qui meurent d’avortements ou de VIH non soignés.

44 En août 2004 près de 500 personnes avaient tenté le passage et 300 personnes en septembre 2005 mais une dizaine seulement était passée.

45 Les accords de Malaga - signés en 1992 qui ne concernaient que les Marocains ont été réactivés sous la pression de l’Espagne.

demandent l’asile, a pour la première fois officiellement refoulé au Maroc plusieurs milliers de personnes (sans faire d’exception pour les femmes et les enfants). Le Maroc, contrairement à sa politique qui jusqu’alors se

« limitait » à des reconductions à la frontière algéro – marocaine, a pour la première fois procédé à des expulsions massives de ressortissants noirs-africains sans tenir compte de la nature des liens privilégiés qui les lient à certains pays (Sénégal, Mali). Les associations de Défense des Droits de l’Homme dénoncent la politique de « harcèlement 47» du Maroc à l’encontre des migrants alors que des voix marocaines s’élèvent contre le harcèlement de l’Union Européenne à l’encontre du Maroc.

Avant que ces événements ne surviennent, nous nous demandions jusqu’où irait la volonté de surveillance exercée par l’Union Européenne par le biais de ses réalisations technologiques les plus avancées. A l’issue de ces événements alarmants, on peut se demander jusqu’où ira cette volonté de punir qui enferme puis expulse des milliers de personnes avec des moyens militaires et guerriers. Il est extrêmement difficile de faire une lecture détachée de ces événements qui ont été vécus par des familles que nous connaissons et dont le sort reste inconnu. Cependant le tragique de la situation ne doit pas occulter la formidable capacité de regroupement des transmigrants qui se sont regroupés pour tenter ensemble d’atteindre leur objectif commun. Ils ont réussi à fédérer un grand nombre de personnes autour du seul projet plausible qui puisse encore donner un sens à leur entreprise migratoire.

Les barrières vont être surélevées à une hauteur de 6m et des fossés creusés, des patrouilles de militaires vont être renforcées et la surveillance intensifiée. Les Etats vont – en toute légalité – continuer à expulser des personnes dont le statut de réfugié est nié ou ignoré et vont s’organiser

46 La CIMADE et l’AFVIC dénoncent vigoureusement les pratiques d’enfermement des étrangers dans des camps militaires et le refoulement des réfugiés vers des territoires où leur vie ou leur liberté sont

pour le faire sans porter atteinte aux Droits de l’Homme. Des accords de réadmission vont être rediscutés et des partenariats renégociés.

De l’autre côté de la barrière, d’autres voies de passage vont être trouvées, les déterminations vont se renforcer, les déceptions et les ressentiments vont s’accumuler et les revendications au droit à circuler librement vont se faire plus fortes.