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Section 2 : Les diverses perspectives de définition de l’intuition

2.3. Les différentes caractéristiques de l’intuition

2.3.4. Le jugement intuitif et sa composante affective

La composante affective est une autre caractéristique de l’intuition comme système de choix selon Dane et Pratt (2007). Très souvent évoqué dans le débat conceptuel autour de l’intuition mais peu discuté, la présence de l’affect suppose que l’intuiting (processus intuitif), reflète toujours en partie l’émotion du décideur. Il est souvent avancé que la rationalité relève de la tête alors que l’intuition vient du cœur (Epstein, 1994). Les schémas cognitifs les plus importants par exemple dans le système cognitif sont ceux qui sont entachés d’un affect particulier. Ce qui les rend plus saillants dans le processus intuitif. La SMH (Somatic Marker

Hypothesis) et les programmes de recherche qui lui sont affiliés nous prouvent que lorsque la

partie du cerveau guidant les émotions humaines est détruite, les individus sont incapables de fournir des décisions rapides automatiques basées sur l’expérience (donc intuitives) (Akinci et Sadler-Smith, 2012). Ainsi, non seulement le processus intuitif est affectif mais aussi le jugement qu’il induit ne peut être dissocié de l’émotion. Pour Sadler-Smith et Sparrow (2007) et Sinclair et Ashkanasy (2005), intuition et émotion interagissent toujours et cette interaction a deux formes :

 d’abord l’émotion oriente le mécanisme attentionnel vers des pièces d’informations importantes déclenchant le processus d’interprétation dans un contexte donné. C’est la phase de pré-intuition où l’affect peut faciliter l’utilisation de l’intuition selon le contexte. Elle va jouer un rôle de déterminant ou de modérateur dans son utilisation. Durant le processus lui-même, l’affect est utilisé comme un mode de réception des stimuli par l’individu, devenant ainsi une de ces composantes à part entière. Plus on est d’affect positif, plus le gut feeling (ce ressentiment intérieur) intervient facilement avec ces implications et on peut le décoder.

 L’émotion active ou régule plusieurs activités impliquées dans l’encodage, le stockage et la restitution d’information relative à un événement important. Elle a un impact sur

l’évaluation du jugement intuitif, c’est-à-dire que l’affect intervient comme un moyen de confirmation. L’individu expérimente une certaine confiance en son raisonnement à travers elle. L’émotion vient modérer l’importance de l’expérience dans le processus. La manière dont l’émotion impacte l’intuition a été décrite à travers l’intuition émotionnelle selon Grandval et Soparnot (2007). L’individu, dans la plupart des cas, anticipe l’émotion qui va entourer une solution donnée (plaisir ou peine) et ce ressenti agit sur son processus intuitif comme un avertisseur. Un processus intuitif se déclenche parce qu’un état émotif existe face à un stimulus que l’on perçoit (Burke et Miller, 1999). Les émotions relatives aux images perçues sont, selon Sadler-Smith et Sparrow (2007), plus rapidement et facilement (avec peu d’efforts mentaux) activées et ensuite guident le processus cognitif. Pour Lunemberg (2010), lorsqu’un schéma mental s’adapte à une situation (association holistique), un état émotionnel est produit et il entraîne l’action.

Pour Sadler-Smith et Shefy (2004), nous expérimentons l’intuition à travers le feeling qui émerge durant les décisions complexes et qui se combine parfois à l’analyse rationnelle. Ils vont plus loin en considérant l’intuition comme un bodily feeling, c’est-à-dire que nous la ressentons inconsciemment à travers le corps. Chaque type d’interprétation éveille en nous des sensations différentes et le mécanisme qui induit ce ressenti advient avant tous processus rationnel ou séquentiel et conscient. Kahneman et Frederick (2001) parlent d’heuristique de l’affect qui participe de façon sine qua non à tout processus intuitif. En effet, l’affect relatif à un objet possède une très forte accessibilité et va toujours orienter le jugement face à un stimulus. Pour Kahneman (2003a) : « a theory of choice that completely ignore feelings such

as pain of losses and the regret of mistake is not only descriptively unrealistic, it also leads to prescriptions that do not maximize the utility of outcomes as they are actually experienced »

(p.1457).

L’interaction entre intuition et émotion est délicate. Khatri et Ng (2000) relatant des travaux antérieurs, avancent que les deux processus interfèrent et l’output de cette rencontre n’est pas toujours positif. Une personne chargée d’émotion négative (colère, ou peur par exemple) est incapable de percevoir le message révélé à son subconscient à travers l’intuition. Face à des stimuli donnés, le système expérientiel va rechercher dans la banque des événements mémorisés, des faits similaires de même que les émotions sous-jacentes. Ce sentiment qui peut accompagner l’événement peut avoir pour impact d’accentuer le processus cognitif et l’action. S’il est positif, il encourage l’action reproduisant le même sentiment. S’il est négatif, le système encourage et reproduit les actions qui repoussent ce sentiment (Epstein,

1994). C’est l’émotion qui permet à l’acteur de juger de la qualité de sa décision intuitive. La décision dans une organisation financière par exemple, advenant souvent en incertitude, ne peut être taxée de vraie ou fausse selon les verbatim retranscrits par Hensman et Sadler-Smith (2011). Le meilleur choix, selon les acteurs interrogés par ces auteurs, est celui qui s’accompagne d’un affect favorable ou d’une émotion positive à un moment donné. La nature et l’intensité de l’affect sont donc une façon de choisir entre deux options à potentiel égal, indépendamment de tous critères objectifs. L’émotion est un input à part entière de la décision intuitive (Coget et al., 2011). Pour ces derniers, la décision intuitive experte se base sur un niveau de nervosité modéré. L’expertise permet de réguler l’intensité de cette nervosité en donnant aux acteurs une sensation de contrôle de la situation. Réciproquement, la nervosité gouverne la mobilisation de l’expérience et guide l’action, le but étant l’accomplissement plus efficace des tâches. Lorsqu’il est animé de peur, l’acteur se focalise sur le besoin d’assouvir cette sensation et ceci advient au détriment de la qualité décisionnelle. Lorsqu’il s’agit de la nervosité, il recherche à la fois l’atteinte d’une certaine efficacité professionnelle et personnelle dans sa prise de décision. L’émotion impacte indubitablement le processus et la décision intuitive. Elle procure à l’acteur une certaine certitude par rapport à l’efficacité de son choix et de son action.

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