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Section 2 : Les diverses perspectives de définition de l’intuition

2.3. Les différentes caractéristiques de l’intuition

2.3.2. La non-conscience du processus intuitif

Dane et Pratt (2007) mettent l’accent sur le caractère non-conscient de l’intuition qui est présent dans toutes les perspectives d’analyse du phénomène. Il signifie que l’éveil de

l’acteur ne concerne que le choix final et que le déroulement du processus mental lui est totalement étranger, indescriptible verbalement avec des termes précis. L’individu intuitif est incapable de justifier explicitement son choix (Isaack, 1978). Il ne contrôle pas la sélection des inputs dans son processus d’analyse contrairement à une méthode de calcul prédéfini (Dahaene, 2009). L’intuition se définit comme la connaissance immédiate qu’on a de quelque chose sans procéder à une logique de raisonnement conscient (Blume et Covin, 2011; Vaghely et Julien, 2010; Woiceshyn, 2009). L’absence de conscience doit être distinguée de l’absence d’attention. La première est relative au processus cognitif lui-même (le fait que l’on puisse ou pas le reconstituer de façon rationnelle) alors que la seconde se réfère à l’intérêt que l’on peut porter à certains types d’information et pas à d’autres (Strick et al., 2011). Un individu peut porter son attention sur un indicateur sans qu’il soit capable d’expliquer l’utilisation qu’il en fait dans son raisonnement. Les processus sous-jacents à cette présélection et utilisation d’information sont non conscients (Dahaene, 2009). Selon Khatri et Ng (2000), à travers l’intuition, l’individu tente d’accéder à un réservoir interne d’expériences et d’expertises accumulées à travers des années selon des conditions spécifiques d’incubation dans le subconscient. L’intuition implique quelque chose comme un saut entre les inputs à une décision et la décision elle-même sans nécessairement avoir conscience du processus cognitif sous-jacent (Clarke et Mackaness, 2001; Ferreira et al. 2006). L’inconscience facilite la prise en compte d’un plus grand nombre de détails (Dijksterhuis, 2004).

L’intuition émotionnelle est totalement inconsciente tandis que l’intuition experte l’est partiellement (Miller et Ireland, 2005; Mitchell et al., 2005)24. Selon ces derniers, l’expertise automatisée désigne un processus ou une connaissance provenant du subconscient mais qui a autrefois été révélée à la conscience. Ces connaissances ne sont pas tacites puisque ces dernières par définition n’ont jamais été explicitées par des mots et communiquées vers l’extérieur. Le « partiellement conscient » de Miller et Ireland s’entend de cette manière. L’intuition émotionnelle par contre se base sur une reconfiguration d’une certaine forme de réalité et conduit à une solution nouvelle. Ces inputs n’ont pas été stockés pour cette finalité qui lui est assignée à un moment donné. Elle est non consciente de ce fait. La capacité de traitement des informations par l’humain est énorme, mais non consciente dans sa plus grande proportion (Dijksterhuis, 2004).

Le caractère averbal et indescriptible (du fait de la non-conscience) distingue l’intuition de l’insight. En effet, l’insight se distingue de l’intuition par le fait qu’il n’est

qu’une réponse spontanée et consciente à un stimulus externe. L’insight a besoin d’une période dite d’incubation. Cette dernière est une période de gestation qui suit l’émergence du problème et s’étale jusqu’au moment de l’insight dit moment de l’Eureka (Hodgkinson, 2008). Cette période d’incubation reste cruciale parce qu’elle permet à l’individu de procéder à une évaluation consciente de la situation. L’intuition peut précéder cette période d’incubation qui conduit à l’insight dans certains cas mais ne conduit pas nécessairement à cette dernière. Une intuition peut demeurer telle quelle et même être réfutée (dissuadant tout approfondissements supplémentaires) alors que l’insight existe parce que la solution aux stimuli est trouvée (Hodgkinson et al., 2009). L’insight est une réaction à un résultat prouvé à travers une évaluation consciente alors que l’intuition n’a pas réellement de base de comparaison. L’intuition reste ce jugement que l’on ne peut retracer qu’à travers des analogies et des métaphores (Sadler-Smith et Shefy, 2007).

« Insight is based on a previous period of conscious preparation, requires a period of

incubation during which information is processed in parallel at a subconscious level, and is followed by a period of conscious evaluation and elaboration »

(Vaghely et Julien, 2010; p.74). Les recherches relatives au programme de recherche UTT (Unconscious Thought

Theory) ont permis de tester plus empiriquement la non conscience du raisonnement. Elles

vont la considérer comme cette aptitude cognitive qui conduit le processus de traitement de l’information lorsque simultanément l’attention est dirigée vers une autre tâche (Dijksterhuis et van Olden 2006 ; Waroquier et al. 2010). Pour créer cette période d’incubation inconsciente, Dijksterhuis (2004) incitait (pour les distraire) les sujets au cours d’expérience à effectuer une autre tâche qui exigeait des efforts cognitifs juste après leur avoir présenté un ensemble d’items sur la tâche principale. A la fin de la tâche distrayante, il était demandé aux sujets de résoudre immédiatement la tâche principale de l’expérience. Le principe étant que si cette tâche distrayante n’existait pas, les sujets auraient pu s’engager dans des analyses conscientes. Dijksterhuis (2004) constate alors des performances décisionnelles excellentes après cette période de distraction comparativement à des acteurs qui délibérément devaient cogiter sur la même tâche principale de l’expérience. Selon Waroquier et al. (2010), le bon jugement et apparemment le définitif, advient très rapidement dès le premier contact avec la tâche. Ils rejoignent donc la définition du jugement non-conscient que nous avons présentée au début de cette section et qui le décrit comme la connaissance immédiate qu’on a de quelque chose sans procéder à une logique de raisonnement conscient.

L’impossible description du processus intuitif est aussi un effet du langage qui est une arme à double tranchant : elle facilite peut-être la description de certains actes, mais en empêche d’autres. La pensée consciente fausse la pondération des items dans un processus d’évaluation des différentes alternatives à une tâche et la verbalisation de la pensée accentue ce biais (Dijksterhuis 2004 ; Dijksterhuis et van Olden 2006). Les mots ne sont que des filtres pour exprimer nos ressentis qui existent eux-mêmes à un niveau d’abstraction plus élevé dans la cognition. L’utilisation des images ou métaphores en substitution aux termes précis est donc une alternative pour provoquer une décision intuitive humaine dans certains cas. Ferreira et al. (2006) ont procédé à une expérience pour vérifier le caractère conscient de la composante rationnelle et la non-conscience de l’intuition. La finalité de leur manipulation était qu’en fonction des buts assignés intentionnellement à la tâche, le processus rationnel va être de plus en plus stimulé alors que le processus intuitif va demeurer inchangé. Si on incite les acteurs à répondre de façon plus rationnelle avec des instructions dans ce sens, cela va impacter la composante rationnelle de la cognition tandis que l’incitation par des instructions intuitives ne va pas influencer la performance intuitive (puisqu’il ne le contrôle pas). Les résultats montrent réellement une invariance dans la qualité de la décision intuitive. Ce qui confirme son caractère non-conscient et non descriptible. Il est spontané et l’acteur ne peut agir sur son contenu. Le jugement rationnel est par contre apparu sensible aux incitations à utiliser ce mode cognitif. Plus on fournissait aux acteurs des instructions en ce sens plus ils raisonnaient rationnellement. On ne peut donc pas inciter un acteur à devenir intuitif. Ceci confirme la nature expérientielle de ce mode de raisonnement.

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