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Section 2 : le processus d’évaluation des opportunités d’investissement par le BA

2.2. Les critères ou les déterminants de l’évaluation des projets par le BA

2.2.1. La demande de capital : les critères de sélection par les BA

Ce premier axe décrit les caractéristiques de la demande ou du projet que le BA considère dans sa perception de la firme entrepreneuriale. La recherche sous cet axe a débuté sous la perspective d’une rationalité substantive avec pour objectif d’énumérer les critères objectifs qui prédisent le succès de la firme entrepreneuriale (Khan, 1987). Elle a aussi énormément emprunté aux travaux sur la décision des VC formels en faisant référence aux analyses pionnières de Tyebjee et Bruno (1984), de Hall et Hofer (1993) et de Fried et Hisrich (1994). Ces auteurs définissent comme critères : l’originalité de l’idée, l’attractivité du marché, les capacités managériales de l’entrepreneur ou de l’équipe de gestion, la résistance aux menaces environnementales et les potentielles voies de sorties de l’investissement. Tyebjee et Bruno (1984) affirment par exemple que ces cinq catégories de déterminants prédisent à 22% la rentabilité probable de la firme entrepreneuriale. Fried et Hisrich (1994) ressortent trois construits qui sont fondamentaux dans la sélection initiale : le concept, le management et la sortie financier. Le « concept » englobe le potentiel de croissance, l’originalité de l’idée et l’exigence en capital de l’idée. Le « management » fait plutôt référence à l’intégrité de l’entrepreneur, son réalisme ou son humilité à reconnaître les risques qui entourent son projet, sa ténacité, sa flexibilité, sa maîtrise du projet, son leadership et son expérience aussi bien managériale que sur le plan de ses performances passées. « La sortie financière » décrit l’espérance de rentabilité sur le projet. Il faut préciser que ces études pionnières portaient sur une période où les VC formels s’occupaient encore prioritairement de

l’investissement en early stage. Les caractéristiques de l’activité d’investissement des VC pouvaient donc être transférées à l’activité des BA (Feeney et al., 1999). D’ailleurs la littérature sur les BA cite énormément les travaux sur le comportement des VC en matière d’analyse de la décision en early stage. Nous citons donc certaines fois les études portant sur les VC mais relatives aux firmes entrepreneuriales.

S’intéressant particulièrement au BA, Maxwell, Jeffrey, et Lévesque (2011) ainsi que Sudek (2006) vont dans le même sens que les travaux ci-dessus en énumérant trois grandes catégories de critères : le statut du produit (attractivité, marché cible potentiel, risque technologique et financière, barrières à la concurrence), le marché (étude de marché de qualité, la chaine logistique vers le marché, existence d’un large marché ou potentiel nouveau marché) ; l’entrepreneur (expérience, présentation des facteurs financiers). Il est apparu auprès de BA belges que les facteurs unicité du produit, marge bénéficiaire prévue, entrepreneur et potentiel de croissance, étaient respectivement les plus importants et déterminaient le choix des investisseurs informels à hauteur de 70% (Ludvigsen, 2009). L’équipe est rapidement devenue le critère de choix le plus étudié à travers divers aspects (Fiet, 1995; Hsu et al., 2014; Osnabrugge, 2000). La taille de l’équipe par exemple est importante. Selon Brush, Edelman, et Manolova (2012), une grande équipe est un atout positif à la phase de la revue administrative ou du desk rejection mais elle peut devenir un deal killer lorsque le projet est à l’étape de la présentation devant un comité de sélection réduit. Der Foo, Kam Wong, et Ong (2005) contrastent cette position en étudiant le caractère complet de l’équipe qui se mesure par sa taille et sa diversité de compétences. La taille influence favorablement la perception de l’évaluateur même si ce dernier n’ignore pas le risque de lourdeur de fonctionnement d’une grande équipe. En effet, plus on est nombreux à prendre les décisions, plus la probabilité d’avoir des compétences diverses est élevée et plus la perception de l’évaluateur externe va être favorable (Der Foo et al., 2005). L’homophilie est aussi susceptible d’orienter la perception d’une équipe entrepreneuriale par un évaluateur de projet en amorçage. Franke et al. (2006) démontrent par expérimentation que les investisseurs accordent plus de crédit à des équipes ayant le même domaine de formation et d’expérience qu’eux. Cette similarité de connaissance entraîne une certaine catégorisation sociale des individus qui permet plus facilement d’inférer les comportements futurs. L’investisseur en amorçage va donc évaluer positivement une équipe entrepreneuriale à travers laquelle il se projette plus facilement par similarité.

D’autres études ont croisé les caractéristiques de l’entrepreneur et les différents paramètres du projet afin d’analyser l’accès au financement externe. Zacharakis et Shepherd

(2005) font partie de ces auteurs très connus qui ont analysé la décision d’investissement en

early stage des VC. Ils avancent par exemple que l’expérience en création de firme se

substitue au manque d’expérience de leadership d’une équipe entrepreneuriale dans la prévision du succès de la nouvelle firme. De même, l’interaction entre ce leadership et la taille du marché est positive c’est-à-dire que l’investisseur en capital accorde plus d’importance au leadership lorsque la taille du marché est grande. L’interaction positive entre le leadership et la force de la concurrence montre aussi que l’évaluateur valorise plus cette expérience en cas de forte concurrence. En effet, lorsque le nombre de concurrents est élevé, la capacité tactique de l’entrepreneur (acquise par expérience) devient une ressource clé pour se démarquer dans l’environnement. Zaleski (2011) montre que les individus qui souhaitent entreprendre dans des industries où ils ont de l’expérience ont plus facilement accès au financement externe si des brevets existent comme barrières à l’entrée. Il met aussi en évidence le fait que le niveau d’éducation a plus d’influence lorsque le porteur de projet est expérimenté. Chez l’entrepreneur inexpérimenté, les barrières à l’entrée influencent plus la perception des investisseurs que le niveau d’éducation. Ces études montrent qu’il faut aller bien au delà des descriptifs des projets pris individuellement en privilégiant des interactions entre facteurs. Baum et Silverman (2004) examinant l’investissement dans les biotechnologies en amorçage par les VC constatent que les caractéristiques les plus considérées par les investisseurs sont le capital social de la jeune firme (l’ensemble de ses partenariats dans son environnement) et le capital intellectuel (ses connaissances immatérielles). Le sexe de l’entrepreneur a aussi été évoqué comme paramètre de classification des projets (Becker- Blease et Sohl, 2007), les hommes ayant un accès plus facile au financement en amorçage. D’autres critères importants sont la zone d’implantation du projet, le secteur d’activité, la phase de développement de l’idée (Zutshi et Tan, 1999). Alors que Miloud, Aspelund, et Cabrol (2012) avancent que l’évaluation d’un projet à son démarrage exige de se focaliser sur les expériences (entrepreneuriale, industrielle et managériale) de l’équipe entrepreneuriale, Mitteness et al. (2012) n’observent aucune influence de l’éducation et de l’expérience entrepreneuriale dans la perception des opportunités d’investissement en amorçage. Teal et Hofer (2003) confirment l’absence d’influence significative de l’expérience entrepreneuriale sur la performance future d’une nouvelle firme. L’influence des différents critères sur l’accès au financement n’est donc pas stable à travers les études.

Brush et al. (2012) utilisent le terme de strategic readiness pour désigner les ressources disponibles auprès de l’équipe. Ils le mesurent par la qualité des relations ou des

fournisseurs, les distributeurs et autres acteurs (Hsu et al., 2014;Baron et Markman, 2003). Une équipe entrepreneuriale avec de bonnes collaborations internes réussit plus souvent ses interactions avec l’environnement. Il y a aussi la technology readiness et le market readiness (Douglas et Shepherd, 2002). Le premier considère le caractère brevetable de l’idée ou le secret technologique qu’il renferme afin de conférer une propriété indéniable à la firme. Ainsi, une technologie attrayante doit aboutir à une dernière version de prototype testé, brevetable et facilement productible en masse au meilleur coût. Le brevet est important parce qu’il facilite l’évaluation de la firme entrepreneuriale. Le market readiness est validé par l’existence d’un historique de vente ou par une étude de marché favorable ou par une expérimentation positive sur l’acceptabilité du nouveau produit.

Cette première orientation est intéressante en ce sens qu’elle facilite la préparation de l’idée entrepreneuriale à attirer les fonds extérieurs. La plupart des indicateurs mobilisés dans cette analyse (équipe, technologie et le potentiel du marché) sont considérés comme mesurables objectivement et extraites d’un business plan fourni par le porteur de projet. Le BA compare ces informations à travers des interviews avec les futurs partenaires commerciaux, les employés, les avocats, les experts comptables et autres parties prenantes quant à l’existence d’une opportunité d’investissement (Lahti, 2011). La plupart du temps, il utilise les projections financières, les informations sur le produit, le marché, les ventes et le CV du porteur de projet. Il applique durant sa due diligence, des méthodes financières classiques comme la méthode des cashs flows actualisés, le délai de récupération, l’estimation des flux futurs, le multiple P/E etc. (Lahti, 2011). Hsu et al. (2014) décrivent le potentiel économique du projet à travers la mesure de point mort de l’activité. On retrouve ainsi cette logique prédictive du succès de la firme dès son early stage et le caractère objectif de la plupart des variables. Par exemple, la qualité de l’équipe est évaluée à travers le nombre d’années d’expérience, le nombre de membres, le nombre de leur contact, la diversité des compétences et formation etc. Wiltbank et al. (2009) confirment la prédominance de la logique prédictive dans la décision des BA en statuant qu’elle entraîne des investissements plus importants. L’idée entrepreneuriale fait l’objet d’une évaluation statique.

Des critiques sont faites à cette première approche. Très souvent, il s’agissait de demander aux BA étudiés de signifier sur une échelle de Likert, l’importance qu’ils accordaient aux différents critères. Ce ne sont pas des critères évoqués personnellement par l’investisseur. Selon Wallnöfer et Hacklin (2013) au démarrage de la firme porteuse d’innovation, les informations contenues dans le business plan n’ont intrinsèquement aucune

valeur prédictive. A cette étape, on est encore face à ce que les anglo-saxons appellent

« unknown unknowns » et la connaissance que l’on a de l’idée reste préliminaire (Wallnöfer et

Hacklin, 2013). L’idée nouvelle en phase d’amorçage évolue dans un environnement incertain, ambigu et en perpétuel changement. Le contenu d’un business plan à ce stade est donc très spéculatif puisque basé sur les extrapolations de l’entrepreneur sur ce qu’il souhaite voir pour son idée. Le modèle économique va être modifié plusieurs fois avant de trouver le bon positionnement produit/marché. Le business plan ne sert que d’interface ou de média de communication entre les deux parties. La capacité à le rédiger va apporter quelques indications à l’investisseur sur les compétences de l’entrepreneur (Smith et Cordina, 2014; Wallnöfer et Hacklin, 2013). Baser la perception du potentiel des firmes entrepreneuriales uniquement sur les caractéristiques objectives de la demande est qualifié de peu pertinent (Kirsch et al., 2009) malgré la compréhension substantielle que ces analyses ont apportée sur le phénomène. De plus, des analyses ont démontré que les variables objectives ou hard en

early stage ne prédisent pas le succès futur de la firme entrepreneuriale (Clark, 2008; Franke

et al., 2006; Huang et Pearce, 2015; Zutshi et Tan, 1999). La logique réflexive sous-jacente à la perception du potentiel par les BA en early stage demande donc à être cernée. La figure 7 ci-dessous présente la liste des critères évoqués dans la littérature et qui nous semble la plus complète (Maxwell et al., 2011). Ces derniers montrent en plus que la relation entre ces critères et la sélection n’est pas stable à travers les études, attestant ainsi d’une nécessité de changement d’approche d’analyse. La dernière faiblesse de cette première lecture de la sélection est que la plupart des études n’ont pas d’ancrage théorique. Elles sont majoritairement descriptives. On peut néanmoins citer le travail de Wiltbank et al. (2009) qui recourent à la théorie de l’effectuation. Maula et al. (2005) ainsi que Redis et al., (2013) combinent les théories de l’action planifiée de Ajzen, (1991) et la théorie des portefeuilles domestiques (Guiso, 2002) pour valider les différents critères énumérés ci-dessus et expliquer la propension à l’investissement du BA. Van Osnabrugge (2000), Carpentier et Suret (2015), Kelly et Hay (2003) et Hsu et al. (2014) utilisent la théorie de l’agence et l’asymétrie d’information. S’inspirant de la théorie des réseaux sociaux ou capital social de Granovetter, Sorheim (2003) avance que l’ensemble des relations du BA à travers ses dimensions structurelles, relationnelles et cognitives, est un déterminant principal de la propension à l’investissement des BA.

Les différentes limites ont encouragé la prise en compte de facteurs cognitifs (Chan et Park, 2015; Kirsch et al., 2009; Miloud et al., 2012) que nous détaillons dans le second axe de

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