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L’approche du jugement intuitif que nous adoptons dans cette partie se loge sous les postulats de la psychologie cognitive. Il est nécessaire de les distinguer de l’école comportementale de la décision ou behaviorisme.

1.1. Le behaviorisme

La pensée behavioriste trouve son origine dans les travaux de Ivan Pavlov (1849- 1936) et John Broadus Watson (1878-1958) (Gendre-Aegerter, 2008). Elle confine le choix humain dans un contexte de stimulus-réaction (Bargh et Ferguson, 2000). Il postule que les stimuli sont externes (environnementaux) et que l’acteur ne fait que réagir à ces derniers parfois inconsciemment. Le behaviorisme n’attribue aucun pouvoir explicatif à des variables internes à la cognition de l’acteur. C’est un courant de recherche qui veut décrire la nature humaine en termes d’événements et d’entités observables (Quinlan et Dyson, 2008)21. L’exemple suivant de ces auteurs illustre bien la logique behavioriste : « dire que Mr A est

intelligent revient juste à observer que Mr A réagit de façon intelligente. ». L’individu reste

"la boîte noire" comme sous les postulats de l’économie classique. Exposé aux informations, il développe des voies de réponses ou heuristiques en situation de décision. Ces heuristiques conduisent à des erreurs en incertitude (Ethier, 2014). Le behaviorisme insiste sur les mécanismes externes orientant la décision humaine et organisationnelle (Simon, 1955). Prenons par exemple l’effet framing qui sous le paradigme de l’approche comportementale de la décision, mesure comment les acteurs utilisent l’information pour décider (Kahneman, 2003b; Ricciardi et Simon, 2000). Les expériences ont démontré que le fait de présenter les arguments d’une situation de façon négative induit un comportement différent de celui qu’on observe si les arguments ont une connotation positive. Il a ainsi été déduit que la réaction de l’individu est fonction du format de présentation des indicateurs présents dans le contexte (Quinlan et Dyson, 2008). Sous les postulats behavioristes, le sujet est exposé de façon répétitive à un stimulus et des liens d’association sont établis pour être érigés en théorie ou loi des comportements humains (Quinlan et Dyson, 2008). Le behaviorisme traite la décision humaine dans un système déterministe (Austin et Delaney, 1998; Quinlan et Dyson, 2008). Il la cantonne à un cadre stimuli-réaction avec l’importance d’un caractère écologique, c’est-à- dire que chaque heuristique est pertinente dans un contexte spécifique donné (Engel, 2007).

Les heuristiques les plus évoquées dans la littérature sont : la représentativité, la disponibilité et l’ancrage (Tversky et Kahneman, 1974; Kahneman et Klein, 2009). Trois faiblesses principales sont liées au behaviorisme :

 Aucune tentative d’explicitation du caractère écologique n’est entreprise par les tenants de cette école de la décision humaine (Quinlan et Dyson, 2008).

 Une place trop importante est accordée à la théorie rationnelle normative de la décision dans ce paradigme. En effet, le behaviorisme considère la performance décisionnelle par rapport à un idéal défini à travers un modèle de choix rationnel et décrit la réflexion humaine réelle comme truffée d’erreurs ou biais. D’ailleurs Kahneman (2003b) avance que le modèle de l’agent rationnel reste le point de départ de leur développement. Les recherches ont donc exploré les biais systématiques qui induisent des écarts entre les croyances et les choix réels des individus d’une part et d’autre part les prédictions du modèle de l’acteur rationnel. Le behaviorisme se perd dans des amendements sans fin d’un modèle classique de plus en plus déconnecté de la réalité décisionnelle (Laroche et Nioche 2006).

 L’approche comportementale ne procède pas par des études de cas idiosyncrasiques, mais recherche une généralisation statistique de ses résultats. Elle étudie « l’acteur moyen ». L’homme est considéré comme un outil, un objet ou une machine (Quinlan et Dyson, 2008). Il suffit de connaître les lois d’association et les comportements humains peuvent être prédits.

Nonobstant ces limites, le courant behavioriste reste dans tous les cas une source de connaissances pertinentes. Il est à remarquer que nous tendons de plus en plus vers une approche cognitive qui vient remplacer la stricte « analyse comportementale » de la décision. Par exemple, il existe des travaux qui intègrent aussi bien le cadre stimuli-réaction, mais aussi la cognition de l’acteur pour analyser le comportement économique. La dissonance cognitive par exemple permet d’expliquer la tendance des acteurs à remettre en cause leurs croyances initiales (Ricciardi et Simon, 2000). Cette remise en cause est observée parce que l’individu ressent une certaine gêne cognitive qui le rend anxieux. Il va alors chercher à rétablir un équilibre mental en réduisant cette dissonance cognitive. L’analyse du comportement décisionnel ne doit donc pas être dissociée des aspects psycho-cognitifs. Peut-être qu’il ne s’agit aujourd’hui que d’un changement de rhétorique à opérer puisque l’interprétation de la décision humaine ne néglige presque plus les aspects internes à la cognition humaine.

1.2. La psychologie cognitive

Le courant psycho-cognitif recherche l’origine de la décision humaine dans le système mental du décideur (Bargh et Ferguson, 2000). Elle trouve ses sources selon Gendre-Aegerter (2008) dans les travaux de Jean Piaget (1896-1980) qui développe un paradigme constructiviste du développement humain. La psychologie cognitive défend la thèse selon laquelle l’individu se construit des représentations mentales des différentes situations à travers l’expérience (Maqsood et al., 2004). Il acquiert une capacité de réaction et d’adaptation à travers différents contextes. L’individu va alors appréhender les nouvelles situations en fonction de ses vécus passés et de ses compréhensions (Lebraty, 2007). Les cadres cognitifs préconçus, mais très flexibles par nature, permettent l’interprétation de l’environnement et orientent les choix. La psychologie cognitive, pour percer le mystère de la « boîte noire » humaine, postule qu’elle contient un système de traitement de l’information (Quinlan et Dyson, 2008). Les processus de traitement de l’information servent de variables médianes entre les stimuli perçus et l’action humaine (Vetenbosch et Higgins, 1996). La psychologie cognitive analyse ce système pour comprendre le comportement décisionnel et cerner le processus intercédant entre le stimulus et la réponse (Gendre-Aegerter, 2008). Elle va au-delà du behaviorisme. Les processus mentaux sont ceux qui choisissent, transforment, conservent et assurent la correspondance soit entre la mémoire et les stimuli environnementaux soit entre deux situations à comparer.

L’approche psycho-cognitive défend deux hypothèses principales : la nature abstraite de son objet et le principe de fonctionnalisme (Quinlan et Dyson, 2008).

 D’abord, la pensée de l’homme réside dans son "monde", c’est-à-dire un espace intérieur dans lequel le monde extérieur est représenté d’une certaine façon. Cette première hypothèse attribue une nature abstraite à la psychologie cognitive dissociable des objets physiques du monde. Ainsi, le comportement humain peut s’expliquer par l’analyse du mental selon ce champ de recherche.

 Ensuite, le principe du fonctionnalisme suppose que la compréhension d’un processus cognitif importe si seulement il joue un rôle. Ainsi, le système mental est décrit comme un système de traitement d’informations au service d’une action donnée. L’opposition entre approche psycho-cognitive et approche classique de la décision découle essentiellement selon Charreaux (2002) de la différence entre information et connaissance. Selon lui et reprenant la distinction faite par Fransman (1998, p. 148), l’information se définit comme « un ensemble de données se rapportant aux états du monde et

aux conséquences contingentes à ces états qui découlent des événements du monde résultant des causes naturelles ou sociales » alors que la connaissance représente « un ensemble ouvert, subjectif, résultant de l’interprétation de l’information par les individus et contingent à leur modèle cognitifs »22 (Charreaux, 2002 ; p.25). La connaissance est une structure complexe avec des constituants reliés par des liens de divers degré (Smith et al., 2009). La subjectivité humaine est au cœur de la décision économique. Les situations les plus complexes peuvent être représentées en s’appuyant sur les représentations que s’en font les acteurs (Rascol- Boutard et Briole, 2004). La part et la place de chaque concept sont analysées de même que l’interconnexion entre les différents concepts. Les lois qui gouvernent l’action ne sont plus objectives, mais elles découlent de l’expérience de vie de chaque acteur. Les acteurs ne partageant pas a priori les mêmes modèles cognitifs, ce courant de pensée permet de mieux expliquer pourquoi certaines personnes vont percevoir des opportunités économiques à un moment donné alors que d’autres sont ignorantes envers ces mêmes situations. Comme Krueger (2007) qui utilise les postulats en sciences cognitives pour expliquer le phénomène de l’entrepreneuriat, nous disons aussi que cette approche possèdent les clés d’une meilleure compréhension de l’action de l’investisseur individuel qu’est le BA et peut-être pour une amélioration de sa pratique. Pour Palich et Ray Bagby (1995), c’est la spécificité des processus cognitifs des acteurs qui explique la différence entre ceux qui sont capables de détecter les opportunités et ceux qui ne le sont pas.

Le champ de la psychologie cognitive, parmi ses diverses interrogations scientifiques, propose des perspectives d’explication de la décision en situations ambiguës et incertaines23. Nous avons donc besoin d’ancrer notre analyse sous cette approche scientifique. Plus précisément, nous décrivons comme un processus intuitif, cette stratégie cognitive à travers laquelle le BA va choisir et traiter les informations en lien avec une firme entrepreneuriale afin d’y déceler une opportunité d’investissement.

22 L’asymétrie d’information mesure donc une distribution inéquitable des données objectives sur un état du monde mais qui peut se résoudre en recherchant l’information parfois coûteuse. L’asymétrie de connaissances met plutôt l’accent sur les capacités mentales entre acteurs en rapport avec l’interprétation de l’information.

23« When economists only explain what must occur for the hole economy if actors can bear uncertainty, cognitive psychology helps us

explains why some persons not others are more willing to escape the ignorance and the paralysis induced by uncertainty » (Mc Mullen et

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