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Section 1 : Une démarche qualitative exploratoire pour l’étude des opportunités

1.2. La méthodologie qualitative interprétative

Le recours aux méthodes quantitatives avec la collecte des données secondaires ou primaires est la norme lorsqu’il s’agit d’analyser les décisions financières (Fried et Hisrich, 1994). On peut citer les exemples suivants : expérimentation (Chan et Park, 2015; Shepherd et Zacharakis, 2002; Zacharakis et Shepherd, 2005), expérience et questionnaire d’évaluation (Chen, Yao et Kotha, 2009), questionnaire d’évaluation des présentations en live (Clark 2008; Douglas et Shepherd, 2002), analyse de bases de données (Brush, Edelman et Manolova, 2012; Kirsch, Goldfarb et Gera, 2009; Latham et Tello, 2014; Miloud, Aspelund et Cabrol, 2012; Parhankangas et Ehrlich, 2014) et enquêtes (Macmillan, Zemann et Subbanarasimha, 1987; Ottavia, 2014 ; Bonnet, Wirtz et Haon, 2013 ; Redis, Certhoux et Pare, 2013). Au sein de la composante informelle du capital-risque, les bases de données sont rarement constituées sur l’activité d’investissement. C’est la première raison disqualifiant l’utilisation des méthodes quantitatives dans notre recherche. En sus, la nature de l’objet analysé (ici l’opportunité d’investissement) exige un recours à une méthodologie qualitative.

La recherche qualitative ne se résume pas à des techniques de collecte d’informations (Morgan et Smircich, 1980). Dans son fondement, il s’agit d’une démarche d’accès à la connaissance qui consiste à connaître la vraie composition d’une réalité sans faire de proportions. Le qualitatif, c’est lorsque le chercheur renonce aux bases de données et expérimentations en laboratoire pour aller au contact des individus afin de comprendre leur réalité sociale (Dumez, 2011). Les individus ne sont pas uniquement des facteurs ou des variables statiques dans l’environnement. Ils pensent, agissent intentionnellement en situation suivant le sens subjectif qu’ils affectent aux choses et interagissent. La recherche qualitative veut donc remettre le verbe des acteurs au centre de la compréhension des phénomènes sociaux en situation réelle afin de produire des théories dites substantives (connaissance située des phénomènes) (Morgan et Smircich, 1980). Elle est utilisée pour décrire, décoder et améliorer la compréhension des phénomènes présents, passés et futurs (Hlady-Rispal et Jouison-Laffitte, 2014). Alors que les quantitativistes mesurent, testent et quantifient, les méthodes qualitatives visent la compréhension, l’exploration située des faits par les acteurs. Les méthodes qualitatives veulent cerner le sens que les acteurs attribuent aux faits et à leur environnement. Elles se focalisent plus sur le processus, c’est-à-dire « comment les sujets dans un contexte construisent et comprennent leurs expériences ? », que sur les nombres et les occurrences statistiques (Gioia, Corley et Hamilton, 2013). Elles ont un potentiel

phénomènes sociaux grâce à des outils capables de s’adapter aux spécificités du terrain étudié (Rispal et Jouison-Laffitte, 2015). Ces différents outils offrent une meilleure réponse à la question du « comment » et du « pourquoi » du comportement humain. Ils permettent d’offrir une description détaillée des processus et du contexte grâce à la démarche herméneutique (Cope, 2011). La démarche herméneutique qualitative suppose la compréhension d’un phénomène à travers l’interprétation que s’en font les acteurs qui vivent cette réalité (Corley et Gioia, 2004). Elle suppose de s’imprégner du récit que fait l’acteur de son vécu en développement une certaine empathie. Les acteurs ont des expériences uniques et chacun est une source de connaissance potentielle (Thorpe, 2014). Les résultats du chercheur sont eux- mêmes une interprétation de l’interprétation des individus au cœur du phénomène. C’est la double herméneutique (Paillé et Mucchielli, 2012). La recherche qualitative reconnaît donc le chercheur comme interprétant (et non découvrant) la réalité sociale des sujets. L’enjeu pour lui est donc de réduire au maximum l’écart entre les deux interprétations tout en ne reniant pas le rôle de sa subjectivité dans la démarche. La capacité de jugement du chercheur est aussi importante que la connaissance subjective des participants (Nag et Gioia, 2012).

La méthode qualitative est donc la plus conforme aux hypothèses de l’épistémologie interprétative sous lesquelles nous positionnons notre quête de connaissance. Nous voulons comprendre le processus d’évaluation de l’opportunité d’investissement dans le contexte spécifique de l’amorçage entrepreneuriale. Notre recherche choisit donc d’accéder à cette connaissance en s’intéressant au vécu des investisseurs concernés par ce type d’activité. En concevant l’identification d’une opportunité comme une tâche cognitive subjective, seule son extériorisation à travers le langage, les symboles et les mythes permet de cerner cette réalité (Morgan et Smircich, 1980). Le produit discursif est alors le matériel empirique à analyser dans cette recherche. Ce sont les interprétations fournies par les individus qui nous permettent de donner une lecture du phénomène social. La méthode qualitative nous paraît être l’approche la plus adaptée à notre objectif de création de connaissance.

Nous avons été présents pendant un certain temps sur le terrain, de façon discontinue de Décembre 2013 à Mai 2016, pour mieux cerner comment adviennent les phénomènes. Dans un premier temps, nous avons procédé par observation du « comment se déroule la perception des BA en situation réelle ? ». Ensuite, nous avons procédé par entretien non structuré approfondi pour tenter de cerner le sens que les acteurs attribuaient aux comportements que nous avons observés. Le recrutement des participants à notre recherche s’est fait de façon progressive en fonction des opportunités qui se sont présentées sur le terrain. En sollicitant juste une première rencontre d’exploration, nous avons pu négocier

l’accès de façon plus approfondie à la réalité de l’opportunité d’investissement en amorçage. Ensuite, les premières réunions auxquelles nous avons assisté nous ont permis de solliciter des rencontres avec d’autres acteurs du contexte. Notre échantillon s’est constitué de façon progressive en fonction des opportunités et des besoins de compréhension. L’accès au terrain a donc été fait qualitativement contrairement aux méthodes quantitatives qui procèdent par échantillonnage statistique des populations. Notre interprétation s’est inspirée de ce temps passé dans le contexte et avec les acteurs impliqués. Des allers et retours constants entre la présence sur le terrain et les essais d’analyse ou d’interprétation ont donc été nécessaires pour construire la connaissance dans le cadre de cette recherche (Corbin et Strauss, 1990; Gioia, Corley et Hamilton, 2013). Nous n’avons donc pas attendu la fin de la collecte des données pour commencer à les traiter suivant une maquette définie a priori. Toutes ces caractéristiques attribuent la nature qualitative interprétative à notre démarche méthodologique. Elles nous éloignent d’une tradition de recherche quantitative (Thorpe, 2014).

La démarche qualitative interprétative n’est pas la tradition lorsqu’il s’agit d’étudier une décision dans le champ de la recherche en finance. Elle s’impose dans notre recherche parce qu’il s’agit de cerner comment l’investisseur perçoit subjectivement une opportunité d’investissement. Nous allons donc emprunter des principes à d’autres disciplines de science de gestion afin de justifier tout le raisonnement au cours de cette thèse.

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