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Section 3 : l’opportunité d’investissement : l’incertitude perçue par les apporteurs de

3.1. L’innovation et la firme entrepreneuriale

La firme entrepreneuriale doit avoir une stratégie d’innovation avec des objectifs de croissance et de profitabilité à long terme (Carland et al., 1984; Matthews et Scott, 1995). Cette notion d’innovation est utilisée dans différents contextes et semble désigner des réalités diverses avec des terminologies renvoyant à divers niveaux de nouveauté introduite (Asselineau, 2010). Elle est associée à une remise en cause de l’existant, mais la nature ou le degré de cette dernière reste à définir pour la firme entrepreneuriale.

3.1.1. L’innovation et le marché

La première définition revient à Schumpeter (1934) qui caractérise l’innovation comme l’essence même du développement économique. Selon lui, elle est synonyme de « destructions créatrices », c'est-à-dire qu’il s’agit d’un processus dynamique indispensable au monde dont l’objectif est de remplacer les technologies existantes par de nouvelles. L'OCDE (2005) définit l’innovation comme « la mise en œuvre d’un produit ou d’un procédé nouveau ou sensiblement amélioré, d’une nouvelle méthode de commercialisation ou d’une nouvelle méthode organisationnelle dans les pratiques de l’entreprise, dans l’organisation du lieu de travail ou dans ses relations extérieures ». Elle peut alors revêtir plusieurs formes, pourvu qu’elle endosse le caractère nouveau pour les acteurs sur un marché donné (Damanpour, 1987 ; Wu et Hsieh, 2011). Sandberg (2002) prolonge cette définition en évoquant l’innovation comme « une chose » apparaissant pour une première fois et qui connaît un succès commercial. L’idée d’un succès commercial est reprise par Shavinina et Seeratan (2003) qui évoquent le concept de l’innovation comme la somme des phases de genèse, d’acceptation et d’implémentation d’une nouvelle idée, du nouveau processus, du nouveau produit ou du nouveau service. L’innovation est alors cette invention qui se solde par l’introduction ou l’implémentation économique sur un marché ou à une première utilisation d’une façon de faire dans le cadre d’une innovation de procédé (Subrahmanya, 2005; Utterback, 1971). L’innovation est indissociable de sa diffusion ou de son adoption par le marché. Pour Lehmann-ortega et Moingeon (2010), l’innovation se traduit par l’introduction

d’un nouveau modèle économique qui va coexister ou remplacer un ancien et impacter le marché. L’idée peut être la plus étincelante du siècle, si elle n’est pas acceptée par le marché comme une réelle réponse à un besoin, alors nous ne devrions pas parler d’innovation. Elle restera une invention comme des milliers d’autres tant que son potentiel lucratif ne sera pas démontré (Chabaud et Ngijol, 2010). Les investissements en lien avec l’innovation doivent couvrir non seulement la R&D (la technique) mais aussi les dépenses assurant le succès commercial (le modèle économique).

3.1.2. Innovation technologique et innovation administrative

Pour faire la distinction entre le caractère technologique et non-technologique d’une innovation, il faut considérer la firme comme un tout composé de deux sous-systèmes : le système social qui regroupe l’ensemble des membres de l’organisation et des relations entre ces membres ; le système opérationnel qui représente l’ensemble des équipements et des méthodes opérationnelles utilisées pour transformer les matières premières en produits finis ou services (Damanpour, 1989; Emery et Trist, 2008). Les nouvelles idées relatives au système administratif et qui font l’objet d’implémentation sont considérées comme des innovations administratives. Les idées qui sont relatives au système opérationnel sont qualifiées d’innovations technologiques. Pour Jaskyte (2011), les innovations technologiques sont relatives à l’activité principale de la firme et orientées directement par le marché ou la clientèle. Elle a alors pour objectif de satisfaire un besoin latent sur le marché ou un besoin déjà satisfait mais d’une meilleure façon. Elle doit influencer le lien entre l’entreprise et sa clientèle. L’innovation dite technologique doit avoir un impact direct sur les produits et/ou les services de la firme (Daft, 1987). Son produit peut être physique ou non. Par exemple, l’amélioration apportée à ses services par un cabinet en management ou un groupe hôtelier, même sans l’emploi d’une nouvelle technologie ou en l’absence d’une nature physique de leur prestation, est qualifiée d’innovation technologique. Une innovation technologique va naître de l’intérieur d’une firme pour s’imposer à l’extérieur (Gary, 1993). Par ailleurs, l’OCDE (2005) estime clairement que les mises à jour courantes ou saisonnières ne constituent pas des innovations. La stratégie d’innovation n’est en réalité présente que lors de la première implémentation de l’idée. Ceci valide notre définition de la firme entrepreneuriale se limitant à la phase de démarrage. C’est un statut provisoire lié à la phase où l’entrepreneur essaie de faire adopter son idée par le marché.

Les innovations administratives sont plutôt internes à l’organisation11. Elle a pour but d’apporter des changements aux structures de fonctionnement quotidien, aux procédures de recrutement, aux schémas d’allocation des ressources, à la structuration des tâches, à l’autorité et aux systèmes de rémunération et d’incitation (Crompton, 1983; Daft, 1987; Gary, 1993; Rura-Polley et Clegg, 1999). La nouveauté administrative, la plupart du temps, émerge à l’extérieur pour s’imposer dans la firme. Avec elle, l’entreprise modifie ses pratiques par rapport à ses composantes afin d’améliorer son efficacité quotidienne.

Une innovation technologique peut s’observer dans le secteur des technologies de l’information, du service ou dans d’autres secteurs industriels. Elle vient de l’intérieur de la firme pour s’imposer sur le marché. L’innovation administrative emprunte plutôt le chemin inverse. Par ailleurs, il faut préciser qu’innovations technologiques et administratives ne sont pas exclusives (Damanpour, 1987). L’investisseur externe en capitaux propres en général ou le BA en particulier, ne va être intéressé que par l’innovation technologique orientée par le marché. Ces acteurs financent la création d’entreprise et donc l’idée sur un plan administratif ne recevra peut-être leur soutien que si elle conduit à l’installation d’un cabinet de consulting par exemple. Et dans ce cas, il ne s’agit plus d’innovation administrative mais technologique puisque constituant l’activité à titre principal.

3.1.3. Le degré de nouveauté ou l’innovativeness

Pour qualifier le degré de l’innovation, deux dimensions sont généralement croisées : la capacité technologique (innovation sur la chaine de valeur) et la capacité du produit (modification de la valeur client) (confer figure 3 ci-dessous) (Asselineau, 2010; Kasmire, Korhonen, et Nikolic, 2012; Veryzer, 1998). La capacité technologique fait référence au degré d’amélioration des fonctionnalités du produit ou à la nature des composantes intégrées dans le produit. La capacité du produit fait référence au bénéfice perçu et vécu par les utilisateurs du produit. Le croisement des deux dimensions permet de définir le degré d’innovation ou l’innovativeness d’une idée.

11"Administrative innovations involve procedures, rules, roles, and structures that are related to the communication and exchanges among

Figure 3: Innovation stratégique : degré d’innovation (d’après Moingeon et Lehmann-Ortega (2006) dans Asselineau (2010))

L’innovation incrémentale est le premier degré de nouveauté. Elle correspond à de faibles améliorations sur les deux dimensions de catégorisation. Elle correspond à des légers changements apportés à un produit/service existant (Cheng et Shiu, 2008; Villon de Benveniste, 2013). Elle permet à la firme mature de protéger son avantage au sein de l’océan rouge (Kim et Mauborgne, 2005) ou marché saturé (Garcia et Calantone, 2002). L’innovation incrémentale permet d’exploiter pleinement la création technologique dans le temps en protégeant la relation établie avec le marché (Varadarajan, 2009). Le parfait opposé de l’innovation incrémentale est l’innovation de rupture ou radicale. Cette dernière entraîne l’avènement d’un nouveau produit/service avec un changement significatif de l’offre (Veryzer, 1998). Elle présente une nouveauté avec la capacité à bouleverser le statu quo, à rendre obsolète l’existant entraînant ainsi l’émergence d’une nouvelle industrie, la transformation ou la disparition d’une ancienne (Koberg, Detienne, et Heppard, 2003). Pour Garcia et Calantone (2002), l’innovation radicale bouleverse l’industrie dans sa globalité en impactant significativement la firme porteuse à l’échelle individuelle. Elle entraîne une reconfiguration totale du marché. Les stratégies perturbatrices sur la figure 3 ci-dessus regroupent les cas soit de disruption commerciale soit de disruption technique. Dans le premier cas, il s’agit d’affecter un produit existant légèrement modifié à la satisfaction des besoins existants sur un autre marché ; dans le second cas, il s’agit plutôt d’améliorer

substantiellement une idée existante dans sa chaîne de valeur afin de mieux satisfaire des besoins actuels (Veryzer, 1998).

Il n’existe pas aujourd’hui de limites établies stables et universellement acceptées qui permettent de définir le degré d’innovation. Il n’existe pas de seuil ou d’échelle précise pour la classifier. L’innovation incrémentale étant plus du ressort de la firme mature, nous l’écartons du champ d’intervention des investisseurs en capitaux propres que sont les BA. La philosophie d’investissement de ces derniers ne consiste pas à accompagner des organisations matures. Les BA s’intéressent à la firme entrepreneuriale indépendante et le projet porté par cette dernière ne peut être une innovation incrémentale. L’innovation radicale est plutôt rare (Garcia et Calantone, 2002). Nous ne pensons pas qu’elle représente la cible principale des BA. L’innovation dans la firme entrepreneuriale consiste en : « l’introduction réussie dans un

secteur, d’un modèle économique nouveau, né de la modification de la proposition de valeur pour le client et/ou l’architecture de valeur » (Lehmann-ortega et Moingeon, 2010: p.62).

Qu’il s’agisse d’une disruption commerciale ou technique (Veryzer, 1998), l’aspect implémentation réussie ou adoption par le marché est clé (Chabaud et Ngijol, 2010). Il est donc plus probable de voir les BA s’intéresser à des innovations technologiques perturbatrices. Si le degré de nouveauté reste un questionnement permanent, il est plus admis qu’il est positivement corrélé avec le niveau d’incertitude (Villon de Benveniste, 2013). Plus la nouveauté sera significative, plus l’incertitude sera élevée sur le succès du produit ou de l’idée. L’incertitude est à la fois liée à la nature intrinsèque de l’idée et à la réussite commerciale.

La firme entrepreneuriale doit porter une innovation technologique, c’est-à-dire relative à son système opérationnel. Cette caractéristique n’a aucun lien avec le secteur d’activité. Il est aussi certain que l’innovation incrémentale doit être écartée de sa stratégie. L’innovation perturbatrice est la cible la plus probable du BA. Le réel degré de nouveauté que la firme doit apporter pour intéresser le BA ne peut pas être défini a priori, même si la littérature en innovation stratégique nous donne quelques indices. Il doit être mieux caractérisé et c’est ce que nous nous attelons à faire ci-dessous. Nous allons voir la manière dont les projets qui intéressent cet investisseur sont décrits dans la littérature. La nature de l’incertitude qui les entoure est aussi explorée de manière plus approfondie.

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