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Section 2 : Les diverses perspectives de définition de l’intuition

2.3. Les différentes caractéristiques de l’intuition

2.3.5. Le jugement intuitif comme une solution efficace, économe en ressources cognitives

L’intuition implique une efficacité décisionnelle, c’est-à-dire qu’elle conduit à des décisions appropriées sans avoir à choisir délibérément entre les alternatives (Harteis et Gruber, 2008). Ces auteurs déduisent de leur étude empirique que l’intuition est une des composantes de la compétence professionnelle des acteurs sur les marchés financiers. Les prévisions faites de manière intuitive étaient plus proches de la valeur réelle de l’indice (l’indice du DAX et du taux de conversion de l’euro en dollars) que les prévisions faites de façon rationnelle en se basant sur des données historiques disponibles sur 12 mois. Harteis et Gruber (2008) affirment que l’intuition comme mode de décision est plus efficace lorsqu’il faut traiter des situations complexes (exemple de l’indicateur agrégé DAX) où une gamme très large de paramètres doit être prise en compte. Armstrong et Hird (2009) décrivent un être intuitif comme le parfait opposé de ces individus qui préfèrent évoluer dans des paradigmes existants pour résoudre les problèmes et donc minimiser le risque et les conflits. L’intuitif par nature sait remettre en cause les paradigmes existants produisant les solutions les plus improbables (Armstrong et Hird, 2009). En organisation, les intuitifs sont les non

créateurs d’entreprises ou d’entrepreneurs évoluant dans la phase de démarrage de la firme, ce qui leur permet de mieux gérer l’incertain. L’intuition experte permet d’atteindre des solutions précises et rapides (Coget et al., 2011). Sa forme émotive conduit plus souvent à la créativité alors que le raisonnement logique ne permet que l’extension des limites de la connaissance existante (Allinson et Hayes 2003). Pour Burke et Miller (1999), l’individu relie toujours ses choix intuitifs à des décisions correctes, acceptables et éthiques. Le raisonnement intuitif n’a alors rien de mystique ou de paranormal (Mitchell et al., 2005). C’est la confiance de son auteur en son jugement qui distingue l’intuition de certains processus mentaux non rationnels comme le guessing ou suppositions (Dane et Pratt, 2007). A travers des expériences, Butler, Guiso et Jappelli (2013) montrent que le recours à l’intuition réduisait l’aversion à l’ambiguïté et au risque de 30% par rapport aux acteurs qui n’ont aucune confiance en ce mode de raisonnement.

L’intuition n’est qu’un jugement accompagné d’une forte certitude qui conduit à l’action et dont le processus cognitif sous-jacent échappe totalement à notre conscience (Hodgkinson et al., 2009). L’individu croit fortement à l’exactitude de son intuition même si la plupart des évidences suggèrent le contraire (Burke et Miller, 1999; Dane et Pratt, 2004). C’est un état d’esprit qui accompagne la décision quand aucune approche universelle n’existe. Pour Hogarth (2010), l’intuition est surprenante sinon magique en ce qui concerne sa précision. La confiance caractérise les décisions intuitives parce qu’elles ne sont que des réactivations d’expériences (Grandval et Soparnot, 2007)

« Intuition improves the decision in some way: provides a check et balance, allows fairness in dealing with people, leads to a higher quality product, avoids baving to rework the decision, helps to focus on area needing attention, improves customer satisfaction, prevents negative outcomes, causes one to pay more attention. »

(Burke et Miller, 1999: p 95) Khatri et Ng (2000) mettent l’accent sur l’insensibilité à l’effort cognitif et le caractère non biaisé de l’intuition. Décider en incertitude demande des efforts cognitifs et l’intuition renforce l’auto-perception d’une capacité à décider dans ces cas. Elle est supérieure à un modèle quantitatif de raisonnement. Khatri et Ng (2000) rajoutent qu’un jugement intuitif dans sa nature n’est pas biaisé. Pour eux, accepter une telle assertion doit implicitement induire que même le raisonnement analytique l’est aussi. L’intuition se manifeste dans des situations assez complexes comme l’action des pompiers dans une situation de sauvetage, l’action des militaires en situation de combat, les choix entrepreneuriaux dans la phase de démarrage des firmes, autant de situations complexes. A travers une expérience, Ferreira et al.

(2006) cherche à vérifier l’impact de la quantité d’informations sur les modes rationnel et intuitif, la dernière devant rester invariable en fonction de la complexité. Les résultats montrent que l’augmentation de l’effort cognitif demandé (lorsque les indices présentés devenaient plus complexes) réduisait la qualité du raisonnement rationnel alors que le jugement intuitif restait inchangé. Plus il devenait plus difficile de mémoriser les indices, moins les acteurs utilisaient le processus formel. Il existe alors un réel lien entre le style cognitif et l’effort cognitif exigé par la décision. L’intuition permet de décider mieux avec moins d’effort. Selon Kahneman et Klein (2009), c’est seulement en cas de complexité modérée que le jugement intuitif surpasse l’approche rationnelle. Dijksterhuis et van Olden (2006), en définissant la complexité comme des situations de choix qui nécessite d’énormes quantités de données, attestent la supériorité de la pensée non-consciente sur la pensée délibérée analytique. Ils soumettent des sujets à des choix réels concernant la sélection de posters d’art. Les candidats ont eu la possibilité de repartir avec les posters choisis. Quelques semaines plus tard, leur degré de satisfaction par rapport au choix initial a été évalué. Ceux qui ont choisi intuitivement étaient plus satisfaits de leurs œuvres d’art que les individus ayant décidé rationnellement. Ces derniers exigeaient des compensations financières plus faibles pour se séparer de leur objet d’art que les premiers. Cette expérience démontre une supériorité de la pensée non-consciente intuitive même après quelques temps. L’intuitif croit en ses capacités et remet rarement en doute son intuition.

Mintzberg (1976) étudie des managers en activité et décrit la métaphore d’hémisphère gauche et droite du cerveau. Il explique que c’est à travers le « hunch » ou le jugement qui est une faculté individuelle et relevant de l’hémisphère droit du cerveau que ces managers arrivent à synthétiser implicitement leur contexte afin de prendre les décisions les plus pertinentes. Mintzberg (1976) affirmait déjà que les stratégies les plus créatives dans les entreprises, face à des environnements très complexes, sont le reflet de l’hémisphère droit ou de l’intuition d’une seule personne25. Hayashi (2001) constate que les dirigeants qu’il a rencontrés ont qualifié d’intuitives les décisions les plus importantes qu’ils ont eu à prendre dans leur carrière. De plus, ils affirmaient qu’une situation de choix dont les résultats sont certains à 99% sur la base de données explicites objectives seulement perd toute sa substance. Elle n’a plus de potentiel et devient obsolète. Ceci atteste de la capacité de l’intuition à conduire à des décisions stratégiques satisfaisantes ou même optimales grâce à des informations de nature très subjective.

Nous ne pourrons pas parler d’efficacité d’un mode de décision en occultant la place qu’il accorde à la notion d’erreur. Par exemple l’approche comportementale de la décision lui réserve une place essentielle puisque son développement vise à énoncer les différentes sources d’erreur afin de les limiter. Elle définit l’erreur ou le biais comme l’écart de la décision d’un acteur par rapport aux prévisions du modèle classique objectif (Tversky et Kahneman, 1974). Le degré d’erreur est donc l’output du raisonnement du chercheur. La notion d’erreur dans le jugement intuitif est circonscrite par la NDM. Elle affirme que c’est l’erreur qui déclenche l’analyse. En incertitude, les mécanismes de décision rationnelle ne sont pas appropriés, ce qui est source éventuelle d’erreur. La NDM va rechercher comment les acteurs concernés se comportent en situation réelle. L’erreur est ainsi l’indicateur d’une possibilité d’amélioration de la performance décisionnelle (Lipshitz et al., 2001). C’est donc pour cela qu’une des caractéristiques de l’intuition est l’efficacité. Elle est perçue par ceux qui y ont recours comme une façon de réduire la marge d’erreur due à l’absence d’une méthode standard. Il n’y a donc pas une base de mesure de l’erreur dans le processus intuitif. En étudiant le comportement en situation réelle, on est alors capable d’observer comment les acteurs font pour remédier à l’erreur initiale qui caractérise leur contexte de décision dépourvue d’approche standard de décision (Canet et al., 2012). Les comportements observés viendront alors nourrir le développement autour l’intuition.

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