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Section 2 : Les diverses perspectives de définition de l’intuition

2.2. Les différentes perspectives dans la conceptualisation de l’intuition

2.2.3. La perspective naturaliste de la décision

Ce courant de recherche, comme l’indique sa dénomination, veut analyser le comportement du décideur en train d’accomplir une action. C’est la NDM ou Natural

Decision Making (Klein, 1993). Il s’agit davantage d’une démarche méthodologique plus

qu’un mouvement théorique constitué (Lebraty, 2007). Le courant de la NDM s’est donné pour objectif d’étudier la décision des individus dans des contextes qu’ils comprennent et qui leur sont familiers en se focalisant sur le processus de pensée des experts (Lipshitz et al, 2001). L’homme revient donc au cœur de l’analyse de la prise de la décision. L’intuition va ainsi se définir comme sa méthode de décision subjectivement développée en contexte d’incertitude (Grandori, 2010). Elle permet le traitement d’informations très complexes et en grande quantité (Betsch et Glockner, 2010). Selon la NDM, l’intuition est l’approche réelle adoptée par les acteurs dans des situations caractérisées par des changements brutaux et continus, sous une contrainte temporelle et où aucun modèle analytique prédéfini n’existe (Giordano et Musca, 2012; Guarnelli et Lebraty, 2014; Klein, 1993). Elle est l’utilisation de l’expérience engrangée dans un domaine donné (Salas et al, 2010). L’expérience se cristallise sous forme de représentations mentales qui vont orienter la création du sens en situation grâce à une reconnaissance de schéma (pattern recognition) (Klein, 1993; Lebraty et Lebraty, 2010;

Simon, 1987). L’acteur n’est plus obligé de suivre des procédures formelles parfois longues et ennuyeuses.

La NDM définit l’expert en référence au consensus entre les membres d’une communauté accomplissant une tâche donnée et indépendamment de toute idée de quantification statistique (Kahneman et Klein, 2009). Les individus appartenant à cette moyenne qui va constituer le consensus, sont considérés comme détenteurs de compétences et de connaissances par leurs pairs. Ils sont capables d’utiliser leurs expériences pour comprendre les situations. L’expertise se définit par la profondeur, la nature abstraite et la complexité des modèles internalisés (Giordano et Musca, 2012). La NDM appelle à se focaliser sur le processus de raisonnement ou de compréhension des situations complexes. Ce qui représente un point de distanciation par rapport au courant classique de la décision qui n’étudie que la fin d’un processus de décision, c’est-à-dire la comparaison entre les options et le choix (Canet et al., 2012; Lebraty, 2007). L’intuition implique un rapprochement entre le cas connu et la nouveauté (Giordano et Musca, 2012). Ce rapprochement advient instantanément et de façon non consciente. La NDM suppose aussi que le modèle de décision ne peut pas s’enseigner (Klein, 1993) contrairement à un modèle de décision classique. Ce sont des connaissances tacites qui s’acquièrent par la pratique récurrente.

L’objectif de cette perspective de recherche est de démystifier la compétence supérieure (ou leur intuition) que sont supposés posséder les experts dans leurs domaines respectifs en décrivant les paramètres de leur décision même si ces deniers sont tacites et peu verbalisables (Kahneman et Klein, 2009). Les experts ne sont pas des génies, mais seulement ils profitent de leur exposition répétée à des cas similaires (Lebraty, 2007 ; Guarnelli et Lebraty, 2014). La compréhension de la situation (rencontre entre les modèles mentaux et les indices environnementaux) est ainsi mise en avant comme condition sine qua none de la prise de décision en contexte réel. Le cas le plus cité dans la recherche en NDM est l’étude sur les joueurs d’échecs où il fallait approximativement 10 000 heures de jeu aux acteurs afin d’acquérir les compétences pour devenir un expert d’échecs. L’expertise ici consistait à pouvoir identifier instantanément ces déplacements problématiques (Gobet et Simon, 1996). Canet et al. (2012) étudient le cas des équipes de médico-sociaux des conseils généraux. Ils trouvent que ces acteurs, grâce à leurs expériences, évaluaient intuitivement la situation de dépendance des personnes âgées sans suivre la procédure. Klein (1993) étudie le cas des pompiers où les acteurs observés utilisaient leurs expériences afin de déterminer l’option ou l’action à accomplir face aux flammes. Il s’agit d’un contexte qui ne laisse pas la possibilité et le temps de réfléchir à plusieurs situations possibles. La NDM a donc été utilisée dans

différents domaines mais très peu en science de gestion (Giordano et Musca, 2012). Il convient de préciser que les types de décision pris en compte ont les caractéristiques suivantes : des objectifs spécifiques partiellement définis et évolutifs ; une absence de certitudes quant au champ des possibles ; des logiques contradictoires et non-hiérarchisées ; des déterminants du problème changeant continuellement ; un horizon temporel limité exigeant des réactions rapides ; des enjeux importants ; de nombreux acteurs ; des normes et des objectifs globaux contraignants ; un décideur possédant un niveau d’expertise élevé pour la tâche qui lui est confiée (Lebraty et Lebraty, 2010 ; p.3). Les situations ainsi caractérisées sont par nature instables et souvent irréversibles nécessitant des décisions de grande importance. Au vu de ces caractéristiques de contexte, l’identification des opportunités d’investissement en lien avec la firme entrepreneuriale peut profiter des éclairages de la perspective naturalistique de la décision en ce qui concerne l’intuition.

L’approche par la NDM définit l’intuition comme un processus de compréhension des situations fortement ancré dans l’expertise ou l’expérience des individus. Elle met l’accent sur cet aspect expérientiel qui n’était pas autant développé dans les autres approches. Elle précise le caractère adaptatif du processus intuitif, c’est-à-dire qu’elle conduit à la configuration la plus appropriée dans chaque cas sans comparer les différentes alternatives. La NDM attire aussi l’attention sur la nécessité d’observer les experts en contexte naturel. C’est la démarche méthodologique la plus pertinente pour cerner comment les individus comprennent les situations complexes, uniques et incertaines.

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