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Section 3 : l’opportunité d’investissement : l’incertitude perçue par les apporteurs de

3.2. L’investissement en amorçage et le paradigme de l’incertitude subjective

3.2.2. L’incertitude et la firme entrepreneuriale

Les arguments d’unicité et de précocité font de l’investissement en early stage, un objet incertain et inestimable objectivement (Cornelissen et Clarke, 2010; Huang et Pearce, 2015; Maxwell et Lévesque, 2014; Navis et Glynn, 2011). En effet, l’issue de l’investissement fait par le BA ne peut pas être connue au préalable. La connexion entre les intuitions initiales des entrepreneurs et le succès de la firme est complexe à établir à cause de la multitude de facteurs d’exécution et de facteurs externes (Dimov, 2007). C’est un réel pari sur l’avenir. Il n’existe pas de produit référent sur le marché pour servir de comparaison et de prévision (Bessière et Stéphany, 2015a). En early stage, l’information autour de la firme entrepreneuriale est incomplète (Hill et Levenhagen, 1995). Il n’existe pas ou très peu d’informations objectives et validées empiriquement. D’ailleurs, celles qui existent ne représentent que les projections d’une équipe entrepreneuriale très optimiste (Wallnöfer et Hacklin, 2013). Leurs significations sont ambiguës et peu pertinentes (Bonnet, Wirtz, et Haon, 2013). Les parties prenantes à l’idée ne peuvent pas prédire précisément l’effet futur de la firme sur son environnement. Il n’existe pas non plus de certitude sur les capacités de l’équipe entrepreneuriale à manager et à répondre aux changements dans son contexte (Wirtz, 2011). Le jugement ex ante sur l’éventuel succès commercial de la firme est peu pertinent. La faisabilité et le potentiel perçus ne sont que le produit de croyances individuelles (Dimov, 2007). Ainsi, le succès de la firme est un objet incertain (Hill et Levenhagen, 1995; McMullen et Shepherd, 2006)12.

L’incertitude renferme des réalités diverses et multiples. Elle est surtout indissociable de la personne qui doit décider malgré elle. Il fait migrer une décision dans le champ de la subjectivité (Stigliani et Ravasi, 2012). L’incertitude est cet état de la nature où l’on ne peut prédire la fréquence d’apparition des événements de manière objective. Elle stipule que le postulat de base du calcul des probabilités est inapplicable. Ce postulat prétend la

12 « Early stage firms are those firms with product in testing and/or pilot production, and may or may not be generating revenue, and

usually have been in business less than 30 months. The earlier the stage of entrepreneurial firm development, the greater the probability of entrepreneurial firm failure and bankruptcy, and the greater the illiquidity (time to realisation through an exit, such as an initial public offering (IPO) or acquisition) of the investment.» (Cumming et Yohan, 2009).

classification en sous-groupes homogènes des événements où la connaissance ne porte que sur les attributs communs au sous-groupe et non chacun de ses constituants. L’incertitude s’applique à toutes les actions humaines (Foss et Klein, 2012) 13 et plus particulièrement aux décisions d’affaires. Foss et Klein (2012) décrivent la situation d’incertitude en la comparant au risque et en reprenant la classification de Knight (1921). L’incertitude est liée au calcul de probabilité. En effet selon Knight, il existe trois types de probabilité en matière de décision : la probabilité a priori, la probabilité statistique et la probabilité estimée. Dans le premier cas, la probabilité est obtenue sur une base déductive avec une présomption d’équiprobabilité des évènements. Il n’existe aucune base empirique pour l’inférence de la fréquence d’apparition des évènements. Dans le second cas, la probabilité est statistiquement calculée sur la base d’un historique des données collectées. Les observations empiriques permettent des classements dans des sous-catégories et la fréquence d’apparition de chacune d’elles est évaluée. Ces deux types de probabilité correspondent à la situation de risque. Selon Hoppe (2007), qui cite les travaux de Mises (1966), les événements sont classés comme étant des composants uniques d’une classe homogène dont les caractéristiques sont connues. La capacité de l’individu à connaître va donc se limiter aux attributs des classes. La probabilité ne peut donc être calculée que si un événement se répète et peut être comparé à d’autres à l’intérieur d’une classe donnée (homo oeconomicus). La probabilité est dite de classe. Elle est toujours basée sur un ensemble d’éléments identiques et ne peut être dissociée des observations empiriques. Les probabilités de classe sont qualifiées d’objectives parce qu’elles peuvent être obtenues de la même manière par tout acteur lambda qui maitrise la démarche de calcul. L’approche est universelle.

Pour la probabilité estimée, il n’existe aucune base valide et objective pour classer les options. L’incertitude naît alors de cette impossibilité de classification des événements. L’individu essaie de faire un jugement de probabilité tout en sachant que l’ordre qu’il applique à l’univers n’a aucune base empirique (Foss et Klein, 2012). Selon Hoppe (2007), sous la vraie incertitude, la probabilité est une estimation ou un jugement intuitif différent des probabilités calculées ou empirique ou a priori. Ici, le cas sous observation est unique et on ne peut pas calculer des probabilités objectives. Mises (1966) cité par Hoppe (2007) parle de probabilité de cas par opposition aux probabilités de classe et pour désigner l’impossible rapprochement objectif entre la situation unique et une classe d’événements existante. En incertitude, l’acteur essaye une classification du cas unique dans le but de satisfaire ses

besoins de contrôle et de prévisibilité de l’avenir mais il le fait sans aucune base objective (Wiltbank et al., 2009). Le fait incertain ne peut être perçu ontologiquement. Pour Inbar, Cone et Gilovich (2010), l’incertitude se caractérise par trois paramètres : la complexité ou le nombre d’aspects nécessaires à la prise de décision ; le caractère séquentiel ou holistique de la tâche ; le degré d’objectivité dans l’évaluation de la décision, c’est-à-dire est-ce qu’il existe des critères et des règles objectives universellement reconnus pour savoir si le choix est bon ou pas. Ces trois paramètres ne sont pas indépendants. Le contexte de décision incertaine est celui qui est mal structuré, c’est-à-dire que le décideur ne maîtrise pas soit l’état initial, soit l’état final, soit le moyen de passage d’un état à l’autre (Pezzuti et al., 2014). Pour Sadler- Smith et Sparrow (2007), l’environnement est incertain lorsqu’il n’y a pas de consensus sur les objectifs, les relations de cause à effet et que les acteurs ne vont pas maîtriser les contraintes sous lesquelles l’action va se dérouler. Dans ce cas, il est impossible de prétendre à une rationalité au sens classique du terme (rationalité substantive) dans le processus de choix. Des probabilités objectives ne peuvent donc être évaluées. En incertitude, l’information requise pour une décision n’existe pas (Chabaud et Ngijol, 2006). Les prévisions faites en incertitude intègrent une probabilité subjective dépendante de la quantité d’informations dont dispose un acteur sur un événement donné (Langlois, 1982).

La probabilité réelle de réussite d’une firme entrepreneuriale, celle qui intéresse le BA, ne peut être connue par les acteurs économiques que nous sommes en early stage. Son innovation doit perturber le marché existant. L’idée qui n’est pas encore mise en œuvre a une valeur certes, mais elle reste une « illusion ». Sans prototype effectivement endossé par le marché, aucun rattachement à un existant ne peut se faire et aucune prévision n’est possible. Les promesses de quelques prospects ne peuvent justifier une tendance du marché afin de catégoriser l’idée d’innovation. Avec un projet d’innovation technologique porté par une firme entrepreneuriale, il est impossible de connaître toutes les contraintes qui entourent son évolution. Les variables clés ne peuvent être identifiées et reliées objectivement. Il existe trop d’inconnues dans cette équation vers l’adoption de l’idée par le marché et donc la réussite de la firme. L’information nécessaire pour évaluer l’incertitude ne peut être collectée en early

stage (Alvarez et Barney, 2007). Le calcul des probabilités de succès ne dépend ni du temps

nécessaire ni de la capacité de collecte et d’analyse des individus. L’information requise n’est tout simplement pas encore créée (précocité) et l’unicité de l’idée entrepreneuriale discrédite toute idée de classification dans une catégorie connue. La valeur de l’innovation portée par la firme entrepreneuriale est en devenir (Bertheau et Garel, 2015). Elle ne possède pas de référence sur le marché et il n’existe pas de relations de cause à effet explicitant son potentiel

de réussite (Cornelissen et Clarke, 2010). A cette étape, on est encore face à ce que les anglo- saxons appellent « unknown unknowns » (Huang et Pearce, 2015; Wallnöfer et Hacklin, 2013). Nous en déduisons que l’idée entrepreneuriale en amorçage se loge dans un contexte d’incertitude knightienne non seulement par sa nature mais aussi par l’absence d’informations pertinentes sur sa qualité à cette étape. Le BA, pour investir dans la firme entrepreneuriale, intervient sous les contraintes posées par l’incertitude.

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