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LE DIRECTEUR ADJOINT DES MINES DANS SES OEUVRES

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 93-97)

Après avoir fait installer le téléphone - j'ai intrigué auprès du Directeur des Postes - car cela m'ennuie de laisser ma femme et ma fille seules dans cette grande maison isolée, c'est à nouveau le départ avec un chauffeur supplémentaire Bernard H. II se trouve que ce dernier est le neveu du garagiste aussi ai-je la priorité dans la réparation de mes voitures, ce qui est primordial.

Cette fois ma tournée se fera en totalité à la boussole, en terrain difficile, avec a priori une seule possibilité de ravitaillement en eau, sur le Béli. je vais donc faire deux parcours de l'ordre de 200 kilomètres, ce qui nécessite quatre à cinq jours sans rencontrer d'eau.

A partir de Dorei, je pars vers l'est pour reconnaître un massif de quartzite puis je me dirige vers le sud. Au bout de quatre jours, j'atteins la mare de Tin Takamaren, où il y a encore un peu d'eau dans les puits.

J'y rencontre quelques Touareg mais surtout un groupement de Peuhls, semble-t'il, puisque leur nom est Dicko. Ces Peuhls, qui sont subordonnés aux Touaregs dont ils gardent les troupeaux, ne sont pas, comme les Sellas, des esclaves ; ils louent leurs services de

pasteurs dont ils ont d'ailleurs l'apparence biblique, habillés de bure, armés d'un long bâton ou d'une lance. Ce qui surprend particulièrement est leur teint, très clair, plus clair que celui des Touaregs très souvent métissés au sud du Sahara. Leur type sémite très prononcé, le fait qu'apparemment ce petit groupe vit replié sur lui-même, si j'en juge par la faiblesse du métissage, me font penser à une colonie d'origine juive comme, parait-il, il s'en est installée dans la vallée du Draa en sud marocain.

Il me reste à parcourir une cinquantaine de kilomètres pour rejoindre Tin Akoff. Au moment où je dois traverser un oued à sec, au pied d'une dune, j'aperçois tout un troupeau d'autruches, de jeunes adultes, mais qui ne font quand même pas loin du quintal. C'est une aubaine pour mon personnel mais aussi pour les Touaregs qui raffolent de cette viande. Ces autruches ne sont pas effrayées, j'ai le temps de les compter : 29 au total et je choisis

tranquillement un beau mâle que je vise un peu bas sous le ventre : je me suis aperçu en effet que mon Mauser tire nettement trop haut ce qui peut expliquer que Mamadou ait manqué notre première autruche puisqu'il avait visé...à la tête ! La mienne, les poumons traversés, s'abat au bout de quelques mètres. A Tin Akoff j'offre cette belle bête au chef qui apprécie beaucoup ce geste et me remercie par le méchoui traditionnel.

A la tombée de la nuit nous sommes en train d'écouter la radio sur un Pizon Bros que j'ai ramené de France. Comme cet appareil, très sophistiqué pour l'époque, marche sur secteur, pile ou batterie, je le branche sur la batterie du power wagon. II peut capter, sous le ciel sans nuage, dans cet univers dépourvu de parasite, des émetteurs aux antipodes comme Radio Canada par exemple.

Nous sommes entourés de Touaregs qui écoutent religieusement cet engin

extraordinaire, mais parmi eux se trouvent deux commerçants arabes qui voyagent beaucoup et donc ont l'habitude de la radio. Ces derniers me demandent une émission en langue arabe et je leur trouve un poste d'Afrique du nord. Or je m'aperçois que mes Touaregs se renfrognent car les Arabes, tout fiers d'entendre leur langue, triomphent sans discrétion. Le chef, excédé, me demande à son tour une émission en tamacheq. La balle est dans mon camp : les uns sont anxieux, les autres narquois. Je tourne le bouton de l'appareil, cherchant désespérément une solution quand soudain j'ai une illumination.

Je me tourne vers le chef :

"- Tu sais, le soleil vient de se coucher et les Touaregs font maintenant la prière. Je pense que c'est fini pour ce soir". Je ne sais si je l'ai convaincu mais je lui ai sauvé la face et c'est l'essentiel.

Je complète au nord du Béli mes levers géologiques puis c'est de nouveau un itinéraire de cinq jours sans ravitaillement en eau. Tous les matins s'est institué un nouveau cérémonial : la mise en place de mon chèche que j'ai adopté à l'instar des nomades. A cet effet, Mamadou m'a fait acheter une bande de percale de 40 centimètres de large et de cinq mètres de long, car la longueur du chèche est à la mesure de l'importance de celui qui le porte.

Je n'ai bien sûr pas la technique pour me coiffer et juste avant le lever du campement, après le petit déjeuner, Mamadou tend ce grand bout de tissu dont je maintiens l'extrémité sur mon crâne, et tourne autour de moi jusqu'à ce que l'édifice soit correctement drapé, et chacun d'y aller de son commentaire plus ou moins spirituel, en particulier Bernard qui s'en tient au casque colonial.

J'adopte également une autre habitude du désert, celle du thé que nous prépare Souleiman. Nous entrecoupons ainsi la journée de pauses "thé" ce qui nous fait boire moins d'eau et constitue un excitant nécessaire sous cette chaleur qui commence à être accablante. L'itinéraire que j'ai décidé de faire est difficile : partant de Fadar-Fadar il monte vers le nord, passe entre ln Tillit et Gossi pour rejoindre la piste inter coloniale au nord de Dorei. C'est le tout terrain intégral mais les forêts d'épineux sont parfois si denses qu'il me faut écarter les arbres les plus minces au détriment de ma carrosserie et surtout de mes pneus.

Cela fait déjà quelques temps que nous avons régulièrement, tous les jours, une ou deux crevaisons : réparer est très fatigant car les roues du power wagon sont larges et lourdes et nous n'avons qu'une pompe à main. Heureusement mon grand moustachu de Mamadou est une force de la nature et, à l'aide du démonte-pneu, il arrive à extraire la chambre à air que l'on répare en collant une pièce. Un jour nous avons sept crevaisons et Mamadou, quoique aidé par Bernard, en a par dessus la tête et veut me rendre son tablier...

Tout s'arrange mais le problème "crevaison" est insoluble : les épines rentrent dans les pneus et s'enfoncent petit à petit jusqu'à la chambre à air ; à la limite il faudrait presque changer le train de pneus tous les deux mois ce qui n'est guère envisageable.

Je pense donc à faciliter le travail de mes chauffeurs en modifiant le plus possible ces méthodes archaïques et pénibles. Pour cela je dois me procurer une bougie gonfleuse qu'on adapte sur le moteur et utiliser un système qui permet de vulcaniser les chambres à air en brousse afin d'éviter que les pièces ne se décollent sous l'effet de la chaleur. Mais il me faudra attendre la campagne suivante 53-54 pour obtenir le nouveau matériel car, comme on me l'a suffisamment seriné (cf la dernière lettre), je dois systématiquement passer par la Direction Dakaroise, particulièrement au fait des problèmes de brousse !!!

Heureusement le moral de la troupe se maintient car les repas sont copieux. Nous nous régalons ainsi d'outardes que l'on peut approcher facilement en ce moment. En effet les feux de brousse ont commencé et ces animaux se rassemblent sur les parties incendiées pour y manger les petites bêtes qui ont été grillées : elles sont tellement occupées par ce festin qu'elles en oublient de se garder !

Nous rentrons le 29 janvier à Gao après 600 kilomètres de tout terrain pour repartir... le lendemain. En effet mon collègue Henri Radier et moi-même devons rejoindre, par la piste le long du Niger, Dori, au nord de la Haute-Volta, pour y rencontrer le Dr Junner, chef du Service Géologique de Gold Coast (aujourd'hui Ghana), notre Directeur adjoint qui l'accompagne, et notre collègue Paul Masclanis.

L'interprétation géologique de la Boucle du Niger apparaît comme un pièce maîtresse dans les différentes théories émises sur la géologie de l'Afrique occidentale et le Dr Junner, éminent géologue de terrain, désire donc en faire lui-même une coupe géologique en notre compagnie. Pour la première fois aussi nous allons pouvoir juger notre Directeur-adjoint sur le terrain.

De Dori nous rejoignons Tin Akoff où le chef targui est tout surpris de me revoir si vite venant du sud quand je l'ai quitté me dirigeant vers le nord. Voulant recevoir dignement tout cet aéropage de Blancs qui m'accompagnent, il me propose un boeuf ou deux

moutons mais je lui assure qu'un seul mouton fera amplement l'affaire et je le remercie chaleureusement de son hospitalité.

Le soir, nous nous apercevons que notre Directeur adjoint a oublié, dans le

transbordement à Dori, son matériel de couchage, or les nuits sont très froides même auprès du feu que notre personnel entretient toute la nuit. Je ne puis donc m'empêcher de partager couverture et matériel avec lui, quoique mes collègues estiment que "ça lui fera les pieds". Ils ne l'estiment guère d'autant que nous nous sommes rendus compte que, se méfiant de notre eau filtrée, notre prudent Directeur adjoint a apporté pour son voyage une caisse d'eau

minérale...sans doute obnubilé par cette caisse, en a t’il oublié son lit ! Naturellement il ne lui est pas venu à l'idée d'amener un quelconque cadeau quoique nous allons le prendre en charge pendant six jours au point de vue ravitaillement et qu'il touche des frais de déplacement supérieurs aux nôtres.

La traversée du Gourma se fait par In Tillit et Doro puis, après un jour d'arrêt à Gao, nous faisons la coupe géologique le long du Niger jusqu'à Tillabery. Au cours de ce trajet se passe un évènement du dernier grotesque; je ne sais pour quelle raison notre Directeur adjoint a pris le volant d'un des power wagon mais il va tellement vite qu'il ne peut éviter un mouton d'un troupeau qui transhume sur la piste. Et là, il atteint au sublime en verbalisant pour "vagabondage d'animaux sur la voie publique" le pauvre berger qui ne parle même pas le français (il a fallu le truchement d'un interprète) et qui reste tout hébété, le mouton mort à ses pieds !

Après ce morceau de bravoure nous quittons notre Directeur adjoint à Tillabery et rentrons à Gao le 5 février après avoir parcouru près de 2.000 kilomètres.

Depuis quelques temps ma petite Pascale supporte mal la chaleur sèche du pays et, malgré les bains fréquents, il lui arrive des périodes de diarrhées accompagnées de fièvre qui ressemblent fort à de petites déshydratations. II faut donc la maintenir dans une atmosphère relativement humide, aussi avons-nous disposé un grand bassin rempli d'eau sous le berceau, haut sur pattes, et voilons-nous toutes les ouvertures de la chambre de couvertures que nous maintenons mouillées par de fréquents arrosages. Il me faut donc beaucoup d'eau or la corvée d'eau, qu'assure le Mer-Niger, ne se fait qu'une ou deux fois par semaine pour remplir nos deux barriquots de 200 litres. Heureusement, Jurewicz, l'ingénieur des T.P., d'origine polonaise, est un homme compréhensif et il nous branche sur une conduite de dérivation du château d'eau, quoique cette solution exige une intervention spéciale à chaque alimentation. Pascale n'a guère d'appétit et, en désespoir de cause, nous avons fait venir des boîtes de légumes déshydratés que l'on ne trouve qu'aux Etats-Unis. Ma belle-soeur nous en adresse tout un lot, mais les tarifs douaniers sont très élevés en ce qui concerne l'importation des conserves : une astuce de calcul permet à l'administration douanière d'obtenir 50% du prix d'achat. En revanche les taxes sur les légumes sont très faibles d'où

le dilemme que je pose au douanier pas très futé (à Gao on l'appelle "le Roi") : s'agit-il de conserves ou de légumes en boîtes ? Comme le douanier est un brave type il se rend à mes arguments assez spécieux, il faut le dire.

Un casse-tête beaucoup plus sérieux lui est posé par un cirque ambulant qui a trouvé moyen, venant d'Algérie, de traverser le Sahara. Tous les animaux à fourrure ont été tondus,

tels les ours qui arrivent pelés, mais, et c'est là le problème posé au douanier, le cirque

introduit en Afrique Occidentale des lions; or si les textes prévoient l'exportation des lions, les règlements sont complètement muets quant à leur importation et pour cause ! Mon brave douanier soumet donc ce cas épineux à l'autorité supérieure et, en attendant qu'une décision soit prise, le cirque donne une série de représentations qui suscitent chez les Africains une admiration sans borne pour le dompteur : la peur du lion est légendaire, le combattre demande beaucoup de courage, mais le dompter dépasse l'entendement.

Ma distraction favorite, quand j'ai quelques loisirs, est la pêche au bord du fleuve. J'y capture surtout des "queues rouges" un genre de chevesne, et, au lancer, des poissons "chiens" qui ressemblent à nos brochets. Les pêcheurs professionnels africains, qui pêchent de nuit en pirogue, ramènent des capitaines énormes qui peuvent atteindre plusieurs

dizaines de kilos.

Au cours de mes parties de pêche, je rencontre souvent un homme tranquille, la bonne cinquantaine, doté d'une forte moustache à la gauloise, Eugène Brulard, le mécanicien chargé de la marche du groupe électrogène installé au bord du fleuve. Gégène, comme on l'appelle familièrement, est sans doute l'Européen le plus ancien installé à Gao: il a traversé en 1925 le Sahara avec la croisière noire, organisée par Citroën, et s'est définitivement enraciné près du Niger où il a acquis une concession. Il y coule en compagnie de sa femme africaine des jours heureux. Mais, en 1960, l'Indépendance vit le départ de tous les Européens, à l'exception de quelques anciens, six en tout qui, malgré certaines tribulations, prétendirent rester dans leur pays d'adoption. On les obligea cependant à partir et Gégène se retrouva à Marseille qu'il avait quitté quelques 40 ans auparavant. Il ne put se réadapter à notre vie trépidante et surtout aux métropolitains, aussi adressa t’il un appel de détresse au Président de la République malienne, Modibo Keita qui ne resta pas insensible puisque, paraît-il, il permit à Gégène de venir

CHAPITRE V

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 93-97)