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INQUIETUDE DES EUROPEENS A DAKAR

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 180-184)

Le changement brutal de climat - il fait 15 à 20° de moins qu'à Douentza -provoque chez mes enfants quelques réactions sans gravité, poussée de fièvre rapide, boutons infectés. De même la nourriture radicalement différente - beaucoup de poissons, fruits de France, grande variété de légumes, dont nous faisons une débauche - a paradoxalement pour résultat de nous donner de l'urticaire. Mais, rapidement, tout rentre dans l'ordre d'autant que nous profitons à satiété de la plage de N'Gor où l'hôtel d'Air France est construit depuis quelques années : le sable est fin, la mer calme car la baie est en grande partie isolée du large par une île et des brisants.

Pour nos déplacements nous avons remplacé la dauphine, vendue l'an dernier à un collègue, par une 2CV achetée également à un autre collègue : les voitures se transmettent maintenant en circuit fermé dans notre village géologique et sont souvent retenues à l'avance.

Début juillet l'hivernage est là avec sa chaleur lourde et humide et Maeva a pris une grande décision : couper sa queue de cheval malgré l'engouement de ces dames pour ce genre de coiffure. Quant à Pascale, elle fête, ce 3 juillet, son anniversaire et reçoit, comme il se doit, toute la petite colonie enfantine autour d'un goûter où abondent les bonnes choses. Mais cette vie familiale, dans un appartement relativement confortable, n'a qu'un temps car le jeune Directeur des Mines par intérim, Servant, me charge d'une mission délicate au nord Dahomey: nous sommes sans nouvelle d'un sondage, contrôlé géologiquement par Ibrahim N'Diaye, notre premier géologue sénégalais, et on me demande d'aller sur place voir ce qu'il en est.

Le 24 juillet c'est donc un autre voyage par avion vers Cotonou, via Abidjan, avec un technicien appartenant au Service de l'Hydraulique, chargé d'exécuter les sondages électriques dans le forage. A Yoff l'avion est là mais curieusement le départ n'est pas donné. En fait il y a force palabre de la part d'une équipe de footballeurs ivoiriens : ces messieurs,

semble t’il, sont vexés qu'on leur ait retenu des places sur un avion plus lent, un DC4, qui ne rejoint Abidjan qu'après un détour par Bamako, et prétendent prendre l'avion direct, le nôtre, un DC6, qui est complet. Où va se nicher la susceptibilité africaine !

C'est une affaire grave et les relations sénégalo ivoiriennes risquent d'en pâtir

puisqu'un personnage important de Côte d'Ivoire arrive à la rescousse. Les heures passent et la situation se dénoue enfin mais manifestement l'avion est surchargé et ne décolle qu'en bout de piste : il est d'ailleurs piloté par Eboué, le fils du gouverneur noir qui, en 1940, fut le premier à se rallier à De Gaulle avec son territoire, le Tchad.

Nous sommes donc obligé de passer une nuit à Abidjan ce qui permet de visiter cette ville qui présente encore l'aspect colonial traditionnel avec ses maisons à galeries en bois. Bientôt, grâce au pont Hauphouet Boigny sur la lagune, elle s'élargira et deviendra la véritable métropole que nous connaissons avec quelques splendides réalisations comme l'hôtel Ivoire. Après une escale à Lomé, capitale du Togo, nous rejoignons Cotonou dans un petit avion, un Héron, qui ne compte qu'une vingtaine de places, malgré ses quatre moteurs.

Malheureusement, quand nous voudrons récupérer aux bagages notre matériel de géophysique qui pèse 300 kilos, on nous dira qu'il est resté à Dakar pour permettre à quatre ou cinq sportifs ivoiriens de ne pas déchoir. Ah, mais !

Mon compagnon attendra donc son matériel qui mettra une bonne semaine pour arriver, tandis que je rejoins Gouandé dans l'extrême nord du Dahomey, près de Tanguéta, en compagnie du responsable local de la société de forage, un compatriote du nord, autodidacte donc très dynamique et de surcroît sympathique.

Mon homologue sénégalais m'attend sur place ; il est amical, décontracté, sans

complexe mais, aux dires des sondeurs, il ne vient que très rarement sur le chantier et préfère vivre à quelques 80 kilomètres au sud, à Natitingou où la gente féminine est davantage présente.

La machine, une Faihling 1500 identique à celle utilisée à Irma, a atteint la profondeur de 250 mètres dans une série qui, d'après les cuttings, me semble bien imperméable si l'on excepte les 15 mètres supérieures ; naturellement, sans contrôle, les sondeurs, qui défendent les intérêts de leur société, ont additionné les mètres de forage. Cependant, en attendant les résultats de la géophysique, je fais poursuivre quelques mètres le sondage pour étudier les caractéristiques de la boue tout en menant, parallèlement, une étude géologique rapide de la région.

Le soir, non loin du camp, caché sous un petit ponceau qui m'offre un bon poste, je tire, à la passée, des canards sauvages qui survolent un petit cours d'eau : j'alimente ainsi la popote car j'atteins un score honorable, 80% de réussite.

Au cours de mes investigations en compagnie de mon collègue et d'un ingénieur du Service de l'Hydraulique, je fais la connaissance, à la frontière du Togo, d'un pasteur américain, ancien pilote de guerre, qui possède un Piper Cup; il accepte, pour un prix abordable, de me faire survoler la savane du nord de la chaîne de l'Atakora, en particulier le parc national de la Pendjari bien vert en cette période d'hivernage : autant joindre l'utile à l'agréable. Personnellement je ne verrai que quelques cobas ou hippotragues, ainsi qu'un beau troupeau de buffles tandis que mes compagnons, qui me succèdent, apercevront un troupeau d'éléphants : toujours mon incompatibilité avec ce splendide animal !

L'ethnie locale, les Sambas, me rappelle les Bassaris car, comme eux, ils vivent très près de la nature. Les hommes, un chiffon sur les reins, portent également l'étui pénien en paille mais, souvent, ils arborent une "trompette" beaucoup plus orgueilleuse. Je filme ainsi un paysan qui laboure à la main avec un soc muni d'un manche en bois : c'est un travail harassant qui demande beaucoup de puissance mais, en l'occurrence, je suis surtout captivé par la trompette qui accompagne irrésistiblement l'outil dans son mouvement. Je rencontre aussi des chasseurs avec leurs arcs, ainsi que des musiciens, crêtés de plumes blanches, une espèce de kora en bandoulière, et tous sont précédés par ce symbole phallique.

Les femmes n'ont, pour couvrir leur nudité, de face comme de dos, qu'un bouquet de feuillage maintenu à la taille, mais, comme sous toutes les latitudes, elles ne sauraient se dispenser de bijoux : piquant de porc épic perçant le cartilage de la base du nez, défense de phacochère trouant la lèvre inférieure, plaque circulaire en ivoire sur les oreilles et gros cercles de métal cuivré aux bras.

Malheureusement, après l'Indépendance, les tribus du sud, beaucoup plus "civilisées", considéreront que ces gens ont des moeurs de "sauvage" et leur imposeront, manu militari, shorts et pagnes ; comme je le constaterai lors d'un voyage en 1963, ils ne retrouvent alors leur authenticité qu'en se cachant, au cours de fêtes clandestines.

Leur habitation est également bien particulière et apparaît comme un genre de fortin circulaire formé par la jonction de tours en banco, en quelque sorte un petit château fort, sans douve ; l'entrée est très étroite et la partie centrale est recouverte d'une terrasse en banco où se trouve pratiquée une ouverture, sans doute pour la fumée.

En ce qui concerne le sondage, toutes les données réunies en quelques jours

concordent et confirment ma première impression négative : sans plus attendre, j'arrête les frais et ferme le chantier.

Au retour, sur la côte du Golfe du Bénin, je visite un village lacustre dans une lagune; Les paillotes rectangulaires, parfois décorées de plaques triangulaires en bois, peintes de couleur vive, sont perchées sur pilotis tandis que, sur de grandes perches, sèchent les filets des pêcheurs. Les gens circulent uniquement en pirogue, de même que le bana-bana qui vient vendre ses produits. Au centre du village émerge un petit îlot au bord duquel un sondage, implanté par Slansky, un de mes collègues, a trouvé une nappe légèrement artésienne : les femmes, assises dans leurs pirogues, n'ont donc qu'à ouvrir leur robinet pour remplir leurs canaris d'eau douce.

Je profite de quelques jours de battement pour visiter les lieux historiques du bas Dahomey, comme le Palais Royal d'Abomey, construction basse autour d'une cour carrée. J'y resterai en arrêt devant une mitrailleuse Maxim dont l'histoire est assez savoureuse, si l'on peut dire : prise aux Français en 1870 par les Prussiens, elle fut donnée ou vendue par

Bismarck à Béhanzin, le dernier roi du Dahomey, particulièrement sanguinaire, qui s'en servit contre...les Français ; reprise par ceux-ci vers 1893 elle devint l'un des ornements du Palais Royal, transformé en musée, et de ce fait transmise à la nouvelle république du Bénin. Objets inanimé, avez-vous donc une âme ?

Au petit port de Ouidah on me montre les concessions européennes (française, anglaise, espagnole, portugaise) où s'achetaient, aux potentats africains, les esclaves destinés aux Antilles et à l'Amérique du nord. J'aurai d'ailleurs l'occasion, quelques années plus tard, de lire sur ce sujet un travail d'un Dahoméen particulièrement objectif, mais dont

malheureusement je n'ai pas gardé la référence : les esclaves, vendus aux négriers européens par les "seigneurs de la guerre" africains, étaient essentiellement des prisonniers de guerre mais aussi, plus rarement, quand les besoins d'argent étaient pressants, des "captifs" employés aux travaux agricoles ; faisaient exception les esclaves de case, les domestiques liés de près aux familles seigneuriales.

La concession portugaise constitue encore une enclave indépendante maintenue, à la suite d'obscurs accords, après la conquête du Dahomey. II est vrai que pendant des siècles cette région a été nettement sous l'influence du Portugal ce qui s'est traduit par un métissage prononcé et, chez les Africains, par de nombreux patronymes portugais. En 1960, la nouvelle république du Bénin mit fin à cette situation anachronique mais le représentant du Portugal refusa de se soumettre : en signe de protestation il mit le feu à sa voiture puis fut expulsé manu militari vers le Nigeria.

De retour chez moi pour le 15 août, je trouve que Pascale, sous la houlette de sa mère, a beaucoup progressé en lecture et...en natation car elle fait maintenant des mouvements dans l'eau sans bouée. Quant à Thierry, s'il est bagarreur et indiscipliné, il n'a cependant pas encore surmonté sa répulsion pour la mer où il ne se risque que du bout des pieds.

L'ambiance n'est pas bonne dans la colonie européenne car on ne sait trop ce que l'avenir nous réserve d'autant que, en Algérie, la guérilla prend de plus en plus d'ampleur ce qui ne nous incite guère à l'optimisme.

En Afrique Noire nous pressentons, sinon l'Indépendance, du moins une autonomie que je voudrais la plus large possible, surtout du point de vue financier. J'espère ainsi que notre aide, matérialisée en partie par le FIDES - 1200 milliards (de l'époque) en dix ans - sera reconsidérée avec plus de discernement et que, aux yeux des Africains, nous en aurons enfin le mérite et non plus les conseillers généraux, en grande majorité africains, chargés de la distribuer.

Cette intervention française est tellement discrète que j'ai entendu un chimiste sénégalais de la Direction des Mines, proche de Senghor, prétendre que le FIDES venait du plan Marshall, donc d'origine américaine. J'aimerais aussi que l'impôt, très impopulaire quoiqu'il soit destiné à ces pays, soit maintenant perçu par les Africains eux-mêmes et ne soit plus un motif de propagande antifrançaise. Je trouve enfin scandaleux que les 4000 étudiants

africains, à qui l'on offre en France une bourse double de celle des métropolitains, soient en grande majorité antifrançais.

En fait je déplore que la politique coloniale de la France soit maintenant, en métropole même, le fait de ministres et parlementaires africains tandis que, en Afrique, les fonctionnaires, depuis le Gouverneur Général jusqu'au plus humble, soient à la dévotion de ces messieurs : étrange situation ! Bref je partage assez bien l'opinion de J. Cartier de Paris-Match qui préconise en quelque sorte le repli sur l'Hexagone et, n'ayant de surcroît aucune confiance en cas de pépin dans les gens qui nous gouvernent, je pose des jalons pour quitter

l'administration et m'expatrier au Canada.

J'ai cependant répondu favorablement à une proposition des militaires qui m'invite à une période de réserve au 7e RTS (régiment de tirailleurs sénégalais), pour être nommé capitaine. Je passe dans cette unité deux semaines très intéressantes, dans un milieu

accueillant où officiers et sous-officiers m'intègrent immédiatement. Ce sont des baroudeurs qui, en tant que "marsouins" ont tous combattu en Indochine avec des fortunes diverses. Les uns ont été blessés comme le capitaine qui a "pris" une balle au foie et un lieutenant qui a perdu un poumon sur une mine piégée, ce qui ne l'empêche pas, en tant qu'officier des sports, d'emmener ses hommes tous les matins dans un cross sévère que je suis difficilement.

D'autres ont été prisonniers des Viets comme l'adjudant, "encagé" pendant sept ans, et dont le caractère est particulièrement heureux : j'ai l'impression que, pour lui, après ce qu'il a subi, les petits ennuis quotidiens ne sont que broutilles qu'il faut prendre sereinement. Quant aux tirailleurs, dont beaucoup sont des mossis si j'en crois leurs balafres rituelles au visage, ils m'adoptent immédiatement car ils reconnaissent vite en moi un homme de la brousse. Tous les moyens sont mis à ma disposition et il m'arrive ainsi de piloter près de Dakar un petit tank de 15 tonnes qui franchit les dunes vives avec une facilité déconcertante.

CHAPITRE VII

LA PISTE BAMAKO - DOUENTZA

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 180-184)