• Aucun résultat trouvé

ENTERREMENT MYTHIQUE DE M. GRIAULE, L'ETHNOLOGUE

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 175-180)

Nous ne sommes pas loin de l'échéance du 15 avril et il me faut aller à Mopti connaître le verdict du Service de l'Hydraulique et lui communiquer quand même les informations techniques sur ma précédente tournée avec Pagès. J'en profiterai pour ramener du

ravitaillement, le vin en particulier, ainsi que quelques fûts d'essence et bidons d'huile pour terminer ma campagne.

En définitive j'apprends que, au vu de mes résultats transmis aussi bien à la Direction des Mines qu'au Service de l'Hydraulique, ce dernier a lancé un appel d'offres concernant l'exécution de huit forages, avec éoliennes, dans l'erg du nord Gondo. Comme il est

indispensable que j'implante moi-même les sondages et que je les surveille, il serait mal venu de me supprimer mon logement et en principe je le garde donc jusqu'à la fin de la campagne suivante.

A Mopti j'ai maintenant quelques contacts avec la population européenne et je

sympathise avec d'autres "nomades", les antiacridiens, qui, comme leur nom ne l'indique pas avec évidence, s'occupent de la lutte contre les sauterelles. J'ai d'ailleurs eu l'occasion de voir un épais nuage de ces énormes criquets s'abattre sur une brousse épineuse et la vitesse avec laquelle il dénude un arbre est spectaculaire.

Je fais connaissance aussi du juge De Roure et de sa jeune femme. Après la Nouvelle Calédonie, leur précédente affectation, Mopti, quoique au bord de l'eau, leur semble bien chaud, surtout en ce mois d'avril où les Européennes se terrent dans leur maison à la recherche d'un peu d'ombre et de fraîcheur.

De Roure va cependant à la chasse, le week-end, et il s'est armé pour affronter la grosse bête comme le lion. Or, en cette fin de saison sèche, les fauves s'attaquent souvent aux troupeaux et, un jour, un chef targui lui propose un affût auprès d'une vache qui vient d'être dévorée en partie et que les lions viendront certainement terminer la nuit suivante.

A deux heures du matin encore rien, aussi notre juge décide t’il d'aller se désaltérer de petit lait dans la raïma du chef. Mais, quand il revient à son poste, la vache a disparu. Prévenu le chef se met en quête des traces qui les mènent tous les deux dans un toghéré boisé, hors de l'eau, car le fleuve est en plein étiage. Soudain le chef s'arrête et montre du doigt le lion que De Roure discerne mal dans la nuit. Quand il le distingue vraiment il s'aperçoit qu'il est très près, quatre mètres au plus, acculé contre une termitière, la vache étendue devant lui. Le chef, courageux, couvre son compagnon de sa lance dressée en oblique et l'invite silencieusement à tirer. Mais notre chasseur est vraiment trop près du fauve, son fusil pèse une tonne et, malgré le dévouement du chef, il fait honteusement demi-tour. Gare au gorille ! dira Brassens. Quand on se dit chasseur de lions il faut aller jusqu'au bout ne serait-ce que par amour propre, surtout quand on occupe une fonction qui impose en principe le respect et la crainte.

A Douentza, Maeva est toute heureuse de n'avoir pas à repartir à Dakar dans

l'immédiat quoique les possibilités en légumes soient maintenant restreintes. Au marché on ne trouve guère que les petits oignons cultivés par les Dogons et le jardin ne permet, chaque jour, qu'un brouet clair pour les enfants fait avec un poireau et du céleri. De Mopti je n'ai rapporté qu'un chou rouge car les "vivres frais" sont pillés par les Européens à l'arrivée de l'avion, aussi je me suis entendu avec une commerçante, que nous connaissons depuis Gao, afin qu'elle nous expédie chaque semaine, par la postale, un colis de légumes avec un peu de fromage.

En ce moment la colonie européenne est au complet, huit individus en tout dont trois enfants, et assez souvent nous organisons chez l'un ou chez l'autre le dîner qui se poursuit par

des parties de cartes, comme la canasta. Il arrive aussi à Sicard, qui s'ennuie le soir, de nous rejoindre à l'improviste sur notre terre-plein où nous mangeons au vu de tous, en apportant un plat qui cette fois est du poulet au riz. Comme tout colonial chevronné il adore manger

pimenté, or, le midi, il a trouvé que son repas était trop fade. Vexé, son cuisinier a donc nettement forcé la dose et la sauce est un feu liquide. Si Maeva n'insiste pas après la première bouchée, nous, les hommes, faisons face stoïquement afin de ne pas permettre au maître coq, qui narquois, nous surveille du coin de l'oeil, de triompher facilement. Quand Maeva fait desservir, elle recommande ironiquement le poulet à Bara et quelle n'est pas sa surprise de le trouver quelques minutes plus tard se régalant, mais à chaudes larmes ! Pourtant les Noirs ont généralement un estomac blindé et Mamadou Traoré, par exemple, est capable d'avaler au goulot une mixture à base d'huile et de pili-pilis, les petits piments rouges.

Sicard nous "concocte" aussi des plats africains curieux qui lui viennent du Dahomey où il a passé de nombreuses années, ainsi le poulet à la pâte d'arachide - ce qui est classique - mais agrémenté d'ingrédients divers comme marc de café, bananes et mangues, le tout naturellement très relevé.

Pendant la première quinzaine d'avril la chaleur sèche s'accentue et la température oscille entre 41 ° et 45° à l'ombre. Les enfants vivent nus et boivent énormément : ils ont d'ailleurs été habitués à boire directement aux bouteilles d'eau filtrée disposées au pied du frigidaire.

En attendant que mes parkinsonias se développent, l'ombre est inexistante devant la maison, sauf à l'aurore et au crépuscule qui, sous les tropiques, ne durent guère plus d'un quart d'heure. Aussi les enfants sont-ils confinés dans la maison, inondée constamment par le jardinier, et où tout le monde barbotte nu-pied sur le carrelage. Maeva ou Bara les emmènent promener en fin d'après-midi dans le parc de la résidence et ils ont également la possibilité, avec Jacques leur petit voisin, de s'ébattre sur un grand tas de sable que j'ai fait déposer sur le terre-plein.

- Maman, un "corpion" appelle soudain Pascale, la "grande soeur", et nous nous précipitons auprès des enfants qui nous montrent triomphalement une boîte de conserve sous laquelle ils maintiennent prisonnier un scorpion que, instinctivement, ils sentent dangereux. Bara survient, saisit adroitement le scorpion, lui arrache le dard venimeux puis, débonnaire, relâche l'animal rendu ainsi inoffensif!

Fin avril début mai, je fais une tournée avec l'administrateur et...un jeu de cartes pour meubler nos soirées en jouant à la crapette à la lueur de la lampe tempête. En fait Sicard doit superviser la récupération de l'impôt dans la région de Mondoro car les Dogons rejettent définitivement l'autorité de Balobo Maïga, le chef songhaï, dont c'est normalement la fonction en tant que chef de canton. Comme je connais bien cette région et que je dois y retourner, Sicard me demande d'organiser cette expédition commune : décidément je deviens l'intermédiaire privilégié entre l'administrateur et cette population.

Nous passons tout d'abord par Irma où je constate que le niveau piézométrique, qui baissait légèrement mais régulièrement depuis janvier, accuse une remontée de 40

centimètres: ceci implique qu'il existe quand même une certaine alimentation depuis les bordures du bassin et que celle-ci met, depuis les dernières pluies, sept mois au moins pour parvenir dans la zone la plus profonde de la nappe.

A Mondoro, je contrôle la bonne marche de l'anémomètre dont je dois récupérer les premières bandes enregistrées afin de les remettre au Service de l'Hydraulique. Pour simplifier les choses j'ai pris en charge, sur mes propres crédits, la paie du gardien qui, comme je lui ai appris, apporte beaucoup d'attention à ce que la plume soit constamment pourvue d'encre liquide.

Comme je viens de recevoir à Douentza une quantité impressionnante de caisses contenant les pièces d'une éolienne destinée en principe à ce village, je suis tout heureux de

communiquer cette bonne nouvelle au chef en lui expliquant comment ce nouveau système permettra désormais d'extraire l'eau du puits sans effort.

La venue d'un administrateur à Mondoro est un évènement exceptionnel aussi, très sensibles à cet honneur, les villageois ont-ils préparé une petite fête avec méchoui et convié les villages environnants à des courses de chevaux, dotées de prix par le Commandant de Subdivision comme il se doit. En l'occurrence il s'agit uniquement de courses de fond sur un parcours qui atteint bien quatre kilomètres.

Que ce soit chez les Peuhls, les Songhaïs ou les Dogons, l'amour des chevaux est le même quoique cet élevage soit un luxe pour cette population relativement pauvre, car ces animaux ne sont d'aucune utilité : l'attelage est inconnu puisque les moyens de transport sur roues n'existent pas et la culture se fait à la daba. En fait ces nobles bêtes, au sens strict du terme, ne sont là que pour le plaisir, pour la parade, et sont donc l'objet de soins jaloux. C'est aussi un critère de richesse, de puissance, et Dieu sait si cela est important chez les Noirs! Nous séjournons également dans d'autres villages où, pendant que l'administrateur reste enfermé dans des cases surchauffées où l'on compte inlassablement des billets poisseux, je vais visiter des puits dont un en cours de creusement : j'en fais la coupe géologique en y descendant encordé, ce qui est toujours une aventure.

En rentrant à Douentza, je trouve un télégramme de mon syndicat me demandant de faire une grève d'avertissement de deux heures le 4 mai. Effectivement j'ai reçu plusieurs circulaires s'insurgeant contre le fait que financièrement nous étions dévalués vis à vis des métropolitains, mais de là à inciter les géologues à une action solidaire aussi "lourde de conséquences" ! Vraiment mes collègues dakarois n'ont plus le sens du ridicule.

La chaleur est maintenant insupportable et Thierry, qui a deux ans et demi, la supporte mal. II a une forte fièvre mais pour lui prendre la température nous sommes obligés de

"rafraîchir" dans le frigidaire le thermomètre médical qui est bloqué au maximum à 42° ! J'envisage l'évacuation des miens par avion - encore faut-il faire les 200 kilomètres qui nous en sépare - mais au bout de deux jours, le matin, notre galopin redemande à manger, ce qui est chez lui bon signe, car il a un gros appétit.

Puis c'est le petit voisin, Jacques, qui est malade ; mais nous en tenons la cause car les cacahuètes du singe ainsi que la réserve de chocolat sont introuvables. Ce qui est surprenant c'est que les deux miens aient échappé à l'indigestion car les trois diables ne se quittent plus. Depuis plusieurs semaines il est impossible de dormir dans la maison et nous cherchons un peu d'air sur la terrasse. Quand je suis absent Bara couche sur une natte, en haut de l'escalier, et je laisse un fusil à Maeva qui craint les animaux baladeurs. La nuit, en effet, si pour le moment la hyène ne nous importune plus, c'est au tour des lions qui viennent rôder dans les champs, immédiatement au nord de la maison, en s'exprimant parfois en courts rugissements rauques.

Le 9 mai, mon frère, actuellement célibataire, nous fait une visite éclair. II ne reste qu'une nuit mais nous avons ainsi des nouvelles de Claude qui vient de lui donner en France, un fils, Marc, que nous admirons en photo.

Le surlendemain, je rejoins un petit village, Tintan, sur la bordure nord du plateau dogon, car l'administrateur de Bandiagara me demande, pour améliorer l'alimentation en eau de cette région, l'étude d'une retenue sur un petit torrent qui disparaît en contrebas dans les sables de la plaine.

En compagnie des notables locaux, je remonte ce petit cours d'eau alimenté par une source en flanc de falaise ; parfois, là où l'eau s'attarde, quelques beaux arbres et des bouquets de bananiers apportent une tache apaisante dans le rocher nu, grillé par le soleil.

L'édification d'un petit barrage ne semble pas présenter de difficultés et je détermine un site qui me parait favorable. Un tel ouvrage a d'ailleurs été exécuté, quelques décennies plus tôt, à Sangha, sous l'impulsion de Marcel Griaule, ethnologue renommé, qui a consacré une bonne partie de sa vie à l'étude du peuple dogon.

Il se trouve d'ailleurs que ce savant vient de mourir et mon ami Sékou Kansaye, maintenant député dogon, m'apprend qu'il a organisé son enterrement mythique à Bandiagara: à cette occasion il y aura un véritable festival chorégraphique dogon qui doit durer deux jours. Je n'ai garde de négliger cette invitation et surtout d'oublier ma caméra qui me permet de fixer sur pellicule des instants inoubliables.

Les danseurs sont habillés de noir avec, parfois, une espèce de jupe en paille teinte en pourpre. La tête est couverte d'un masque surmonté soit d'une crête en plumes rouges, soit d'une perruque en paille colorée en vert, soit de cornes allongées horizontalement. Assez souvent le masque se termine, verticalement, au-dessus de la tête, par une espèce de croix aux bras supérieurs levés et inférieurs baissés : c'est le masque Tanaga qui n'a de valeur que pour une cérémonie et qui sera, ensuite, abandonné dans la falaise. Pour la petite histoire, cette croix figurera sur le drapeau de la Fédération du Mali qui, comprenant le Sénégal et le Soudan, ne durera qu'un an, de 1959 à 1960.

Ces danses, très rythmées par le tam-tam, sont endiablées et demandent parfois

beaucoup de souplesse quand le danseur, portant le masque Tanaga, rase, dans un mouvement tournant, le sol avec la croix qui lui surmonte le chef. Il arrive aussi que les danses se fassent sur des échasses, le danseur ayant en main une espèce de chasse-mouches en queue de cheval. Je quitte cette manifestation d'amitié franco-soudanaise, dont j'ai gardé le meilleur souvenir, pour rejoindre la maison où un petit malheur est survenu qui a fortement marqué les enfants. Leur compagnon de jeu, le singe, avait la fâcheuse habitude d'exciter les chiens de passage auxquels il échappait en se réfugiant sur son arbre ; or, cette nuit, comme sa corde s'était enroulée autour du tronc, il n'a pu rejoindre les branches et a été déchiqueté par toute une meute : quand Maeva est intervenue, il était trop tard.

Le temps s'est rafraîchi car les premières pluies, très précoces cette année, ont fait leur apparition, aussi, confiant les enfants à Madame Pagès, j'emmène Maeva dans une dernière expédition, au village d'Ibi, non loin de Sangha, où m'a t’on dit, il y a une grande fête pour les semailles.

II n'est plus question ici de danses sacrées avec masques et costumes exécutées par les seuls initiés, mais, comme ailleurs en Afrique noire, de rondes endiablées et de danses

frénétiques où toute la population participe. L'ambiance est très chaleureuse et,

pour nous faire honneur, le chef m'a fait confectionner un riz au poisson qui est ici le plat de luxe.

Au retour de cette escapade il est temps de plier bagages, les routes seront bientôt impraticables. Aussi, le 29 mai, nous nous mettons en route avec trois voitures car le médecin africain nous a confié, pour l'emmener en réparation à Bamako, sa land rover qui est animée de mouvements inquiétants : elle tangue et roule si bien qu'on se croirait en mer et je ne peux m'empêcher d'apposer sur le pare-brise la note suivante : "avant utilisation, prière de se munir de nautamine".

A Bandiagara, nous passons les heures chaudes au campement avant de rejoindre Mopti à la fraîche, mais impossible de remettre en route le power wagon. Mes chauffeurs avouent leur impuissance et il faut l'intervention du mécanicien de l'administrateur pour découvrir la panne : dans le tableau de bord, rupture du fil qui mène au démarreur. Il est maintenant trop tard pour repartir mais heureusement le gendarme et sa femme nous offrent gentiment l'hospitalité.

Après Mopti nous quittons la piste de Bamako pour rejoindre Djenné en traversant le Bani sur un petit bac, poussé à la perche, tout juste suffisant pour mes trois voitures. Dans

cette ville sainte de l'Islam nous attendent l'administrateur Sénac et surtout sa femme Mata, une tahitienne, qui fut, en quelques sorte, à Papeete, la nurse de Maeva. Sénac se maria à quatre femmes de race différente et curieusement, Mata, qui fut sa troisième femme est redevenue la cinquième. Il eut aussi quatre filles, une de chaque épouse, toutes élevées en Béarn par sa mère.

En compagnie de nos amis, nous visitons Djenné ville typiquement soudanaise avec ses cases rectangulaires en banco, à gouttières en poterie, ses ruelles étroites et profondes et sa splendide mosquée, construite en 1902 par un des premiers administrateurs français: elle figure d'ailleurs sur un timbre d'AOF. Cette mauvaise langue de Sénac me raconte que les pieux marabouts ont pris l'habitude "d'arroser" leur thé d'alcool de ricqles qui, s'achetant en pharmacie, est considéré comme un médicament !

Après cette journée de détente, les enfants affrontent encore, sans gros problème, deux jours de voiture puis une journée et demie de train.

CHAPITRE VI

LES SAMBAS AU NORD DAHOMEY

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 175-180)