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CHASSES ET PANNES

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 97-100)

Mi-février, nous nous lançons dans un nouveau raid, à l'est de Dorei, pour préciser le contact de micaschistes et quartzites, puis nous nous dirigeons vers la petite mare de Tin Takamaren.

Au pied d'une dune j'aperçois un petit troupeau d'autruches et j'ai l'impression de survenir en pleine cour d'amour, les mâles semblant danser autour des femelles. Je fonce vers ces animaux et je constate que le plus grand mâle s'attarde derrière le troupeau qui fuit et semble vouloir m'attirer dans une autre direction vers le haut de la dune.

Je suis en contre bas et je vise vers le bas du ventre, tenant compte de la correction à apporter à mon Mauser. L'animal s'effondre et Mamadou me montre l'impact de la balle, au cou, ce qui est quand même inattendu. Notre premier soin est de récupérer les belles plumes blanches et noires qu'il est plus facile d'arracher sur l'animal encore chaud.

A la demande de Bernard, je prends une photo mais, soudain, l'autruche se relève. Mamadou qui est à proximité l'attrape par le cou et, en la faisant tourner plusieurs fois sur elle-même, parvient à la faire retomber au sol. Souleiman se précipite et lui tranche la gorge, disant le rituel "bismillaïe" sans lequel toute viande est impure.

Nous ramassons les plumes éparses et c'est alors qu'une fois encore l'autruche, qui n'avait sans doute pas la moëlle épinière coupée, disparaît en courant. Je reste là, stupéfait, les bras ballants : quoique j'ai le Mauser en main je ne cherche pas à tirer de nouveau cette bête déplumée, le cou coupé. Au sommet de la dune, nous apercevons au loin le troupeau qui, après un grand arc de cercle, apparaît dans la direction où a disparu l'animal. A priori l'instinct doit les pousser à se rejoindre et nous approchons des autruches qui s'enfuient à nouveau : aucune trace de ma victime.

Nous gravissons une autre dune et apercevons un Bella qui avance vers nous, portant à la main la traditionnelle bouilloire à faire le thé. Où va t’il avec ce léger viatique quand nous sommes à une cinquantaine de kilomètres, à vol d'oiseau, de Dorei ? peut-être rejoint-il un troupeau en transhumance vers le Niger ?

Souleiman, après les salutations d'usage, lui demande s'il a vu notre autruche et, sur ses indications, nous la retrouvons debout, en contrebas de la dune. En nous apercevant elle essaie encore un mouvement et s'abat alors définitivement. Cette pauvre bête est donc restée debout pendant une demi heure, la carotide tranchée et a parcouru au moins un kilomètre. Véritablement extraordinaire ! Nous remercions le nomade en lui donnant un bon morceau de viande qu'il a bien mérité et il reprend son chemin solitaire dans cette immensité dunaire ! Décidément bêtes et gens ont dans ce pays une résistance hors du commun.

Toute cette viande est alors découpée et exposée au soleil dans le power. En effet, à l'exception du phacochère dont la viande trop grasse s'altère en quelques heures, toutes les bêtes du désert ont des viandes maigres qui boucanent rapidement sous ce climat chaud et sec. Je présume que c'est la raison pour laquelle le prophète Mahomet, homme du désert, a interdit la viande de porc à ses fidèles, de même qu'il a interdit l'alcool particulièrement dangereux sous ce soleil.

Le sixième jour, à quelques kilomètres de Tin Takamaren, le power fait un bond malencontreux au passage d'un oued et nous constatons rapidement que le radiateur fuit: les pales du ventilateur ont percé le radiateur dont cinq tubulures sont crevées. Espérant trouver encore un peu d'eau à la mare nous continuons à rouler en refaisant plusieurs fois le plein du radiateur. Mais Tin Takamaren est désert, la mare est à sec, il nous reste 50 litres d'eau et nous sommes à 80 kilomètres à vol d'oiseau d'In Tillit.

Nous allons donc essayer de réparer avec les moyens du bord et c'est là qu'intervient la chance, comme disent les Africains. A mon dernier séjour à Gao, Garcia le garagiste, vieux saharien, m'a conseillé, en l'absence de chalumeau, d'emporter une soudure à froid, en

prévision d'une panne de ce genre. Il lui était arrivé la même aventure en plein Tanezrouft, sur la piste transsaharienne, entre Bidon V et Tessalit (250 kilomètres sans eau).

- "Au début, raconte t’il, on suppose qu'on aura assez d'eau et on continue à rouler en alimentant le radiateur. Puis vient le moment où il faut faire un choix : continuer en risquant de ne pas arriver au prochain point d'eau et alors mourir de soif, ou attendre sur place un autre automobiliste problématique en limitant sa consommation d'eau et, pour ce faire, creuser une fosse sous la voiture pour se mettre le plus possible à l'ombre afin d'éviter l'évaporation. Surtout ne pas quitter la voiture car c'est la seule possibilité d'être repéré et de durer plus longtemps".

Heureusement nous n'en sommes pas là, car nous avons encore la jeep prévue

justement pour des cas de ce genre et, dans notre situation, c'est un atout moral sérieux. Mais c'est vraiment un véhicule d'appoint qui, à l'exception du moteur, part en quenouille et a déjà des défaillances. De plus, à cinq dans ce petit véhicule, nous ne pourrons guère emmener d'eau et d'essence aussi ne tenons nous guère à tenter l'expérience et à abandonner la plupart de nos affaires. Nous nous concentrons donc sur la réparation mais ce n'est pas une mince affaire que de démonter le radiateur qui est énorme et surtout il faut

que cette fameuse soudure soit efficace. C'est donc anxieusement que nous remettons le moteur en route et, apparemment, ça marche !

Le lendemain nous rejoignons à la boussole, à travers dunes, In Tillit et retrouvons avec plaisir les quelques Bellas qui sont encore là et avec lesquels nous partageons notre gibier, en échange de leur aide pour remplir d'eau nos barriquots. Le filtrage est quasi

impossible avec cette eau boueuse qui encrasse la bougie du filtre "Esser" : les sédiments très fins la rendent imperméable et il faudrait de l'eau claire pour la laver.

Ce genre de panne survint quelques années plus tard à un de mes collègues sahariens, Villemur, qui, avec deux autres géologues, Sainton et Rouaix, avaient été chargés d'établir, en plein désert, la carte géologique au 1/500.000 de El Mreti, soit 60.000 kilomètres carrés environ. Il n'y avait dans cette région qu'un seul point d'eau, celui de El Mreti justement, aussi la Direction des Mines avait-elle concentré le maximum de moyens pour cette opération : non seulement chacun des géologues avait deux power wagons en parfait état mais, au puits, restait en permanence un sous-officier radio en liaison avec le poste militaire le plus proche, c'est à dire Tindouf, en sud algérien, distant de 800 kilomètres.

Mes collègues devaient donc respecter un planning rigoureux, aussi, quand Villemur ne revint pas à la date prévue, en l'absence de ses deux confrères, l'alerte fut-elle donnée par le sous-officier qui demanda l'envoi d'une colonne de méharistes à marche forcée. En fait, quand le goum atteignit le puits, Villemur venait d'y arriver en tractant un véhicule en remorque.

Le résultat de l'opération fut l'indisponibilité d'un bon nombre de chameaux pour le goum : en effet un chameau parcourt normalement 60 kilomètres par jour, distance qu'il peut doubler en cas d'urgence. Mais c'est un animal très délicat et quand le raid est fini il lui faut alors six mois de pâturage pour se refaire.

Comme le radiateur s'est bien comporté, je décide de maintenir le programme initial et donc de continuer vers le nord-ouest pour atteindre la piste entre Gossi et Doro. C'est

cependant une région que je redoute car la végétation y est dense et le Power Wagon ne peut se frayer un passage, suivi de la jeep, qu'en force. Il est malaisé dans de telles conditions d'avoir des visées satisfaisantes à la boussole. En principe j'ai un axe général de marche, en l'occurrence le nord-ouest, mais j'oblique de part et d'autre de cet axe vers les pointements rocheux que j'aperçois, ce qui fait que, dans le meilleur des cas, je vais d'un pointement à un autre et mon itinéraire est parfaitement repéré à la boussole.

C'est malheureusement rarement le cas et je dois le plus souvent aller à l'aveuglette, me contentant de la direction donnée par Souleiman avec fatalement une erreur probable de plusieurs degrés. Pour pallier cet inconvénient, je lui fais indiquer à l'estime plusieurs lieux situés dans différents azimuts afin de préciser plus sûrement le point où nous sommes. Cela ne va pas sans palabre car je commence à m'y reconnaître dans ce pays que je parcours de long en large.

Les visées se passent de la manière suivante : Souleiman et moi nous éloignons des voitures pour éviter les influences magnétiques et, en l'absence d'un objectif remarquable, ne serait-ce qu'un arbre situé dans la direction indiquée, je me place derrière mon guide et vise suivant la direction du bras tendu. Quand cela est possible, je lui fais disposer plusieurs cailloux suivant la direction que je veux viser, ce qui est déjà plus rigoureux, si l'on peut dire!

Il est nécessaire d'apporter, suivant les itinéraires, un correctif au kilométrage car on est souvent astreint à des détours pour éviter un obstacle, comme des épineux un peu trop denses. II faut enfin faire intervenir la déclinaison du nord magnétique qui varie chaque année.

On réalise qu'établir une carte dans ces conditions demande beaucoup de soins mais, en m'appuyant sur les points astro faits par Casimir Coin, je pense arriver à un précision beaucoup plus acceptable que celle qui existe sur la carte dressée avec des moyens encore beaucoup plus sommaires par les méharistes qui m'ont précédé.

Le soir nous couchons à Gossi mais à un bonne distance de l'eau, dans un endroit aéré, pour éviter les moustiques. Comme le radiateur a l'air de tenir, nous nous dirigeons au réveil vers Hombori, tout en lançant, de part et d'autre de la piste, des pseudopodes vers les

pointements rocheux que l'on aperçoit à quelques kilomètres.

Assis dans la jeep, au côté de Bernard, je suis prêt à tirer avec le calibre 12, car on peut rencontrer quelques pintades ou outardes. Soudain une gazelle, couchée à l'ombre d'un

épineux, se dresse et s'élance sur notre travers. Je n'ai que le temps de lâcher un coup de fusil, du petit plomb, du 6, et la bête s'écrase au sol. Nous nous précipitons car elle essaie de se relever mais Souleiman lui tranche la gorge, la "bismillaïant" suivant le verbe de mon invention ! En fait elle a eu les quatre pattes brisées et, en tirant un peu bas, je l'ai atteinte au sommet de son bond quand les quatre sabots sont pratiquement réunis.

Cette gazelle est aussitôt vidée et suspendue par les pattes aux montants du power afin de boucaner. Comme nous rejoignons Gao le lendemain, cette viande sera la bienvenue dans nos familles respectives, en particulier chez les Africains qui ont aussi femmes et enfants.

CHAPITRE VI

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 97-100)