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LA SECHERESSE S'ACCENTUE MIGRATIONS DES ELEVEURS PEUHLS

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 116-120)

Nous sommes maintenant à la période de Pâques et j'en profite pour reprendre un peu la vie de famille. Le Niger a beaucoup baissé et nous pouvons, en prenant une pirogue, nous baigner tous les trois, face à Gao, de l'autre côté du fleuve, au pied d'une grande dune ocre qui rougeoie au coucher du soleil. Les caïmans ne se manifestent pas dans ce coin mais, en revanche, gare aux poissons torpilles qui envoient des décharges électriques.

Nous avons la visite de petits Noirs du voisinage qui viennent s'amuser avec ma fille et l'un d'eux lui amène, en guise de jouet, un bébé caïman d'une vingtaine de centimètres. Mais Pascale pousse mal : à 10 mois elle se traîne difficilement à quatre pattes. Elle se nourrit mal, malgré les légumes déshydratés de Californie. On a toujours peur des petites déshydratations, avec diarrhée et fièvre, malgré l'humidité que l'on maintient dans sa chambre, en drapant les murs ainsi que le berceau de draps et de couvertures mouillées.

Je commence à me faire beaucoup de soucis car la déshydratation, qui se transforme souvent en toxicose, a alors une évolution extrêmement rapide : deux de mes collègues ont ainsi perdu leur bébé en 24 heures, et l'on raconte qu'une année tous les bébés européens sont morts à Tombouctou. Seule la chambre climatisée peut arrêter ce processus mais il n'en existe qu'une, à l'hôpital de Bamako, pour tout le Soudan.

Ma femme, pendant qu'elle était infirmière dans cet hôpital, a d'ailleurs été sidérée par l'évolution rapide de cette maladie. C'est ainsi qu'elle a vu un bébé, rapatrié en France à la sortie de la chambre climatisée, se déshydrater à une telle allure que l'ambulance chargée de le conduire au terrain d'aviation a fait demi-tour pour le ramener in extremis.

L'air est de plus en plus sec, le vent de sable commence à souffler. La température oscille entre 40° et 45° à l'ombre et, conséquence imprévue, le réfrigérateur à pétrole se refuse à faire de la glace. Comme ma femme est à nouveau enceinte, j'envisage donc de les renvoyer toutes les deux en France par un avion militaire qui pourra les prendre mi-mai. D'ailleurs, avec cette sécheresse, les légumes locaux sont de plus en plus rares – quelques tomates, aubergines ou choux - et nous serons bientôt réduits aux nouilles, riz avec quelques pommes de terre que nous conservons dans une petite caisse remplie de sable. Lorsqu'elle videra cette caisse, Maeva jettera, avec le sable, une vipère à corne qui y avait fait son nid : belle peur rétrospective !

Il m'arrive une mésaventure du même genre en allant à la pêche à la grenouille. Avec mon voisin Percier, qui est revenu du Tanezrouft, et un de ses amis, nous avons remarqué que les grenouilles du Niger sont particulièrement grosses aussi, en bons Français, décidons-nous d'en faire un plat. Nous partons, la nuit tombée, avec une lampe à carbure destinée à éblouir les grenouilles que nous assommons ensuite à l'aide d'un lance-pierres. La pêche se révèle fructueuse mais, soudain, je sens comme une épine qui me rentre dans le talon, ce qui n'a rien d'étonnant puisque je suis en samara. J'essaie donc de retirer cette épine mais je ne trouve rien aussi je me mets à éclairer le sol et j'aperçois alors un beau scorpion jaune, long comme mon index.

Je rentre aussitôt chez moi pour téléphoner au médecin qui est à l'hôtel de l'Atlandide en train de se réhydrater à grand renfort de whiskys perrier. Contre la promesse d'un autre whisky chez moi, il se décide à venir mais il me dit qu'il ne peut rien faire car il n'a pas de sérum. D'ailleurs ce genre de piqûre, me dit-il, n'est vraiment grave que dans les muqueuses ou certains centres nerveux. Il me laisse donc avec ces bonnes paroles en guise de

tendance à s'ankyloser et que le venin agit comme un vasoconstricteur. Le lendemain, remis d'aplomb, je raconte négligemment ma mésaventure et constate alors que cette mauvaise plaisanterie est arrivée à plus d'un et que ce n'est pas avec ce genre d'histoire que je vais épater les populations sahariennes !

Ces quelques jours sont bien sûr occupés au sacro-saint rapport mensuel, à l'établissement des cartes et surtout à la réparation des voitures. J'ai, entre autres, réglé le problème des crevaisons en brousse, en faisant l'acquisition d'une collection impressionnante de chambres à air que je fais réparer en série chez le garagiste ceci, malgré un nouveau "poulet" de la Direction qui "craint que les Services Financiers ne fassent des difficultés pour régler de telles factures" (sic) !

Il me faut également, en l'absence de Henri Radier qui vient de partir en congé, contrôler à sa place, dans le Tilemsi, un forage de recherche d'eau. Grand chasseur, le gérant de l'Atlandide m'accompagne car il pense tuer une ou deux gazelles pour améliorer l'ordinaire de son hôtel. Au bout d'une heure, vers l'est de Gao, nous sommes sur le grand reg vide à l'infini où seuls les mirages nous laissent apercevoir une végétation fantôme. Nous apercevons au loin une bande de gazelles qui trottent sur cette étendue caillouteuse, à la recherche de quelques rares markoubas. Pour les chasser nous adoptons la technique suivante : Mamadou Traoré conduira le power wagon tandis que nous nous installons à l'arrière, sur les barriquots, nous appuyant sur le toit de la cabine pour tirer.

A notre approche, la harde s'enfuit mais Mamadou accélère pour mettre la voiture à sa hauteur. A 80 kilomètres à l'heure, pour échapper à ce monstre métallique, elle oblique brutalement à 90° et passe devant notre engin. C'est l'instant que nous attendons et, avec ensemble, nous tirons. Par hasard je fais coup double, deux gazelles d'une seule chevrotine, et nous voici à la tête de trois bêtes. C'est assez et je calme l'ardeur de mon compagnon, d'autant qu'il est temps de rejoindre les sondeurs toujours très hospitaliers à qui je suis tout heureux d'offrir une de ces bêtes, tandis que le patron de l'hôtel prendra la seconde ; je me réserve la dernière pour la maison et bien sûr mon personnel.

Mi-avril, c'est un nouveau départ vers Hombori ; pendant que j'organise la répartition du chargement, j'entends un grand cri en provenance des W.C. à la turque. Je me précipite pour me trouver devant un gros serpent genre couleuvre, qui essaye d'engloutir un margouillat ( genre de lézard ), pendant que ma femme est à mi-hauteur, arcbouttée, presque en position de grand écart, entre les deux murs du petit édifice. Je cours chercher une pelle et tue ce pauvre serpent qui a provoqué chez Maeva cette détente extraordinaire: je la savais sportive, mais à ce point !

Ma femme réconfortée, nous partons avec les deux véhicules dont la jeep, au chassis ressoudé, qui ne m'inspire guère confiance. Je suis dans le power wagon, piloté par Mamadou quand nous apercevons, non loin de Gossi, un homme étendu sur la piste: il s'agit d'un Targui qui, les yeux grands ouverts, nous regarde sans parler. Souleiman me dit qu'il manque d'eau" (délicat euphémisme !) mais qu'avant de lui donner à boire, il nous faux lui humecter la peau ; aussi n'est-ce que lorsqu'il est bien mouillé que nous le faisons boire à petites gorgées.

Ce targui conduit à Gao son troupeau de moutons et sans doute espérait-il se ravitailler en eau à la mare de Gossi. A peine remis de ses émotions, il veut m'offrir une de ses bêtes que je refuse naturellement et, en lui conseillant de se nantir d'une guerba qui lui aurait évité d'en arriver à cette extrémité, nous lui laissons suffisamment d'eau pour atteindre la mare :

l'insouciance de ces nomades est vraiment surprenante car, sur la piste, il ne passe guère que la Postale une fois par semaine quand il n'y a pas d'anicroches, et il n'est pas du tout certain que le chauffeur bambara se soit arrêté pour un targui.

A partir d'Hombori, nous remontons vers le nord-ouest, dans les dunes à markoubas. Je compte faire un itinéraire de trois jours sans eau avant de rejoindre le massif de Gandamia au nord de Douentza. Il fait une chaleur intense et j'ai l'alternative suivante : soit rester à

l'ombre de la cabine du power, où la température voisine les 60°, car l'absence de pot d'échappement concourt à maintenir à une bonne température le plancher, soit être constamment exposé au soleil dans la jeep.

L'harmattan souffle un air très sec et nous buvons énormément, pour ma part dans les dix litres d'eau par jour. L'horizon est de plus en plus voilé par une brume habituelle en saison sèche mais qui, en cette période de l'année, atteint une forte intensité, d'autant que le vent de sable est de plus en plus fréquent. Les heures défilent lentement dans ce désert de sable et d'épineux et, seule, la nuit nous apporte un peu de fraîcheur et de repos.

Aussi c'est avec infiniment de plaisir que nous nous retrouvons sur le flanc nord du

Gandamia, auprès d'une source qui alimente le village de Kikara. L'eau s'écoule, merveilleuse, pour, après avoir formé une belle vasque, disparaître définitivement dans les sables au pied de la montagne. Bernard et moi ne nous lassons pas de regarder cette eau vive à l'ombre d'un bel arbre poussé, comme par magie, dans la pierraille. Elle est mise à profit par les villageois pour arroser de petits jardins et même quelques bananiers qui apportent une tâche verte dans ce grès noirci par la patine désertique.

Nous contournons le massif vers l'est et rencontrons à nouveau plusieurs sources qui alimentent de petits villages entourant leurs mosquées qui, curieusement, portent, en leur sommet, un oeuf d'autruche en guise de croissant. Il est vrai que les autruches sont élevées fréquemment dans ces villages qui les capturent toutes petites et il n'est pas rare d'en rencontrer une qui déambule parmi les cases en cherchant sa pitance. Evidemment,

lorsqu'elles ont atteint leur maturité, elles sont sacrifiées et font l'objet d'un festin qui réunit la communauté.

La population vit surtout de mil, qui se contente de sable et pousse facilement, pendant l'hivernage, dans les petites plaines au pied des différents massifs. Mais, en cette fin de saison sèche, on assiste à une concentration du bétail, surtout de zébus qui descendent du Gourma à la recherche de nourriture et viennent pâturer dans les champs de mil où ne reste que la paille. Tout le monde y trouve son compte car, en échange de subsistance, les bêtes, par leurs

déjections, apportent un amendement qui fertilisera le sol aux premières pluies.

C'est en fait les seuls mois de l'année où cultivateurs et pasteurs, souvent de races différentes, vivent en bonne harmonie. A d'autres époques il n'est pas rare d'entendre parler de bagarres, parfois sanglantes, quand les troupeaux divaguent dans les champs ensemencés, ou viennent piller le grain non encore récolté.

A un soixantaine de kilomètres à l'ouest de Hombori, je rencontre un troupeau impressionnant qui campe sur une grande mare à sec. Les nomades, en l'occurence des Peuhls, ont creusé plusieurs puits dans la mare afin d'en utiliser la nappe phréatique, très abondante puisque, d'après mes calculs, elle fournit une centaine de mètres cubes par jour, ce qui permet d'abreuver environ 5.000 zébus.

Inlassablement, les pasteurs tirent, dans des sacs de cuir attachés à une corde, les dellous, l'eau qu'ils déversent dans des abreuvoirs creusés dans des troncs d'arbres. Il est quinze heures, l'heure la plus chaude et, comme nous sommes en période de ramadan, ils se mouillent un peu la peau du visage ou s'humectent les lèvres.

Ils habitent des cases en demi sphère, formées de nattes, de la hauteur d'un homme, dans lesquelles on pénètre, à quatre pattes, par une petite ouverture. J'essaie d'y faire la sieste sur une natte à même le sol, mais faute d'aération j'ai l'impression d'être dans une étuve et je transpire abondamment sans pouvoir dormir.

On pourrait penser que ces troupeaux devraient permettre d'alimenter un commerce de viande de boucherie mais ce serait mal connaître les pasteurs, touaregs ou peuhls, qui

répugnent à se séparer de leurs bêtes car elles leur fournissent non seulement les produits de base mais aussi sont les garants visibles de leur fortune : la dot d'une femme se compte en vaches et j'ai ainsi appris que le chef targui de Tin Akoff avait donnée 100 vaches pour épouser la sienne.

Par ailleurs, il est certain que l'acheminement des animaux, par leur propre moyen, jusqu'à une grande ville, sur quelques 500 kilomètres en moyenne, provoque des pertes sensibles, les bêtes arrivent efflanquées, quand elles ne meurent pas, ce qui n'encourage guère le pasteur. Finalement toutes ces populations préfèrent vivre en autarcie, et les échanges ne se font que dans les petits marchés d'intérêt local comme celui de Douentza.

De retour à Gao, j'apprends que notre géologue en chef parisien, mais un ancien d'A.O.F. (Afrique Occidentale Française), Alphonse Obermuller, a choisi le mois de mai, le mois le plus chaud, pour visiter ses géologues sahéliens. J'apprécie le geste mais, en ce qui me concerne, cela tombe assez mal car ma femme et ma fille sont malades : Maeva supporte assez mal sa deuxième grossesse et est alitée, tandis que Pascale a de plus en plus de diarrhées et d'accès de fièvre. Comble de malchance, Bernard est atteint de dysenterie amibienne : soumis à un traitement draconien, il ne peut m'accompagner. De toutes façons la jeep, dont la pompe à eau est inutilisable, est pour le moment immobilisée car les pièces de rechange sont plutôt rares à Gao. Je trouve heureusement chez mes voisins militaires, compréhension et soutien et il est entendu que, pendant mon absence, les ménages des deux capitaines se

partagent ma famille. II m'est donc possible d'accompagner mon visiteur avec le power wagon jusqu'à Douentza.

C'est donc une nouvelle course à travers le Gourma, par une chaleur torride, accentuée encore à l'intérieur de la cabine, mais A. Obermüller, en vieux géologue africain, a la fierté de rester impassible. Il écoute courtoisement l'exposé géologique que je lui fais tout en roulant et parfois intervient avec son accent alsacien très prononcé. D'un commun accord nous nous offrons même, près de Gossi, une reconnaissance d'une journée vers le nord au cours de laquelle il peut contrôler mes méthodes de travail.

Le pays est totalement désert jusqu'à Hombori ; se fondant à l'horizon dans une brume sèche, c'est immuablement le même paysage de taillis maigre d'où émergent quelques dunes à markoubas où quelques collines noires et pelées. Grâce à l'eau des massifs gréseux, la vie reprend entre Hombori et Douentza mais cependant, à l'exception de quelques nomades, la population se cloître à l'intérieur des villages, à l'ombre des cases, et nous sommes seuls sur la piste.

A Douentza, je quitte mon compagnon qui est pris en charge par R. Dars jusqu'à Ouagadougou. Puis ce sera au tour de mon collègue P. Aicard, venu spécialement du Togo, de l'emmener au fin fond du Niger jusqu'à Zinder où il reprendra l'avion. II faudra ensuite à P. Aicard retourner chez lui, soit un périple de près de 4.000 kilomètres de piste par cette canicule.

CHAPITRE IX

EVACUATION DE MA FAMILLE

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 116-120)