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EVACUATION DE MA FAMILLE TRAITEMENT CONTRE L'AMIBIASE

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 120-123)

Le 15 mai, je rentre donc à Gao préparer le départ de ma famille pour la France. Bernard, quant à lui, est atteint de dysenterie amibienne âigue et son rapatriement sanitaire en France est décidé par le médecin militaire qui me conseille vivement de me soigner car j'ai également des amibes. Force m'est donc de constater que, malgré les précautions prises, nous n'avons pu échapper à cette maladie éprouvante, dont les séquelles se manifestent souvent jusqu'à la fin de la vie. A la réflexion, je pense que c'est en février que nous avons du attraper les premières amibes, quand nous n'avons pu filtrer l'eau de la mare d'In Tillit, tellement celle-ci était boueuse.

Maeva et Pascale embarquent le 22 mai dans un avion du Ministère de la Guerre qui, à travers le Sahara, les ramène à Paris avec une escale à Blida.

Le premier soin de ma femme est de soumettre Pascale à l'examen complet d'un pédiâtre qui devra tenir compte du fait que cette enfant de dix mois a non seulement du paludisme mais peut-être des parasites intestinaux car elle a souvent du sang dans les selles.

Quant à moi je suis définitivement bloqué à Gao : quelques jours plus tôt, la direction de mon power wagon s'est brusquement rompue dans un petit chemin le long du Niger et je n'ai évité que de justesse une baignade forcée en voiture. Mes deux voitures, déjà bien éprouvées au départ de la campagne, sont maintenant à bout de souffle. D'ailleurs Garcia, le garagiste, estime que la jeep doit être remplacée, car seul le moteur lui parait encore valable.

II ne me reste donc qu'à classer mes échantillons et à dresser cartes topographiques et géologiques dans cette grande maison vide qui me donne le cafard. Heureusement j'ai pris pension chez un autre célibataire, Jurewicz, le Directeur des T.P., un garçon très sympathique qui déjà m'a beaucoup aidé en résolvant le problème de mon alimentation en eau.

Nous passons nos soirées ensemble soit en bridgeant avec deux autres Européens momentanément célibataires, soit en allant au cinéma à ciel ouvert. Celui-ci est tenu par une famille de métis qui présente la particularité d'être issue d'un Père Blanc de Tombouctou, le Père Dupuis dit Yabouka dont la descendance, sans doute bénie de Dieu, est nombreuse et prolifique.

Pendant quelques jours Jurewicz m'emmène dans le désert du Tilemsi, à l'ouest de Gao, où il doit contrôler tout une campagne de puits dans des formations sédimentaires étudiées par mon collègue Henri Radier. Il m'arrive ainsi de ramasser, dans les déblais de puits, quelques morceaux d'ambre jaune provenant de résine fossile.

Deux puisatiers européens, aussi différents que l'on peut l'être, se partagent le fonçage des puits. Le premier, massif, viril, ex sous-officier de cavalerie, entend garder une certaine allure comme il est de tradition dans son arme.

Quoique seul en brousse, sous la tente, il n'admet ainsi de boire que du vin bouché, hors de prix à Gao : c'est, après tout, une manière de maintenir sa dignité mais je ne peux m'empêcher de constater que, par cette chaleur, ces vins ont perdu une bonne partie de leur vertu et je préfère le vin ordinaire, le Nabao, d'origine portugaise, qui, très riche en alcool, se boit très bien glacé. Cependant il est à remarquer que pendant la guerre, les officiers et sous-officiers des régions sahariennes ne percevaient de l'Intendance que du bordeaux en bouteilles qui ne tournaient pas malgré les transports, ce qui n'est pas le cas du vin ordinaire. Peut-être notre ami ne fait-il que perpétuer ces traditions sahariennes ?

Le second, beaucoup plus frêle, doit son surnom "jambe de laine" à sa patte folle, souvenir d'une piqûre faite par un infirmier africain, directement sur le nerf sciatique. Il partage davantage la vie des nomades, d'autant qu'il a un faible pour les jeunes touaregs; actuellement il nourrit un grand amour pour un jeune éphèbe qui lui coûte certainement plus cher que du vin "bouché" !

Tous deux sont très accueillants et ont le mérite de vivre, chacun à sa manière, en grand seigneur, sous ce climat démentiel qui, il est vrai, exacerbe le caractère des Européens solitaires.

Au retour de Gao, Jurewicz s'attend à voir de loin, dominant la plaine, le nouveau château d'eau édifié par une entreprise française de Tombouctou. Nous avons beau écarquiller les yeux, nous n'en voyons aucune trace et nous apprenons, à l'arrivée, qu'il a éclaté sous la pression de l'eau, la première fois qu'il a été rempli.

Je trouve l'histoire très drôle, tout à fait typique de l'Afrique, mais mon compagnon n'apprécie guère car cela suppose à priori des malfaçons importantes, comme une teneur très insuffisante en ciment par exemple. Mais peut-être s'agit-il simplement de négligence: en effet, sous ce climat très sec, l'évaporation est telle que le béton n'a pas le temps de prendre et il faut donc maintenir une certaine humidité en appliquant des sacs mouillés, ce qui n'a peut-être pas été fait. Quoiqu'il en soit, les travaux furent donc recommencés avec des spécialistes européens pour dresser et souder l'armature, ce qui ne pouvait se faire que de nuit par cette chaleur. L'entreprise termina le château, mais saignée à blanc, elle dut ensuite déposer son bilan.

Sur les instances du médecin, je me décide à suivre le traitement contre l'amibiase qui consiste en une piqûre journalière d'éméthyne-strychnine : il s'agit de deux poisons, le premier ayant pour mission de détruire l'amibe, le second intervenant comme contrepoison. Les

piqûres sont très douloureuses et, au bout de 16 jours, je ne sais plus quelle partie de mon individu offrir à l'infirmier : j'ai les muscles tellement endoloris que je reste couché une bonne partie de la journée. Je reconnais que ce traitement de cheval a eu un effet radical, et qu'il a eu le mérite d'étouffer dans l'oeuf cette maladie redoutable par ses séquelles.

Pendant tous ces jours d'immobilisation forcée, je vais souvent rejoindre un ancien chef de goum en retraite, le capitaine Charpentier. C'est un petit homme encore très agile et vif, qui s'est pris d'amitié pour moi et, dans sa maison en banco du quartier africain, nous passons de longues heures à jouer aux échecs. Sa principale activité est de faire transiter, aux saisons plus clémentes, des caravanes de bétail à travers le Sahara qu'il connaît comme sa poche. N'y a t’il pas une piste qui porte son nom !

II m'arrive aussi de me laisser reprendre par mon vieux démon du pocker. J'ai souvent de la chance et, certain soir, je gagne une somme assez rondelette mais, si l'un de mes

adversaires me règle rubis sur l'ongle, l'autre me quitte avec de vagues promesses. Il s'agit d'un gendarme qui vient de perdre entre deux et trois mois de salaire, aussi je n'en fais pas une affaire d'honneur - lui non plus ! - d'autant que le pocker n'est pour moi qu'un jeu et non un moyen d'existence.

Pendant toute cette période, la température atteint souvent 45° à l'ombre et il est même observé 49°, sous abri, au terrain d'aviation. Les tornades sèches se succèdent, mettant les nerfs en pelote et, une nuit, c'est une véritable tempête de sable qui s'insinue partout : les meubles sont couverts de sable et, au réveil, j'en ai dans les yeux, les cheveux, sous les draps. Mi-juin, une première tornade humide rafraîchit momentanément l'atmosphère mais a pour résultat immédiat de provoquer le retour des moustiques.

L'hivernage va bientôt commencer et je n'ai plus rien à faire à Gao aussi je décide de rentrer à Dakar par avion. Mes collègues sahariens acceptent de transporter par la route mon réfrigérateur qu'il faut réparer à Bamako car son allergie à la glace, même sous ce climat, n'est pas normale. A Jurewicz je confie ma chienne Fanny et ses trois chiots, tandis que je laisse mes véhicules à Garcia avec mission de les remettre en état.

Le retour en DC3 sur Bamako, en cinq escales, puis sur Dakar en DC4 dure toute la journée. Sur la boucle du Niger, le pilote me fait venir dans le cockpit afin d'avoir une vue d'ensemble sur les formations du Gourma, sans transpirer cette fois. Je regrette une fois de plus la disparition des photos aériennes dans l'incendie de la forteresse volante de l'I.G.N. car mes observations auraient été beaucoup plus complètes et précises, surtout sur le plan

CHAPITRE X

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 120-123)