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L'ADRAR DES IFORHAS ET LE TANEZROUFT

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 100-113)

A Gao, le courrier m'apprend que je dois prendre livraison de Casimir Coin à Bidon V, rendez-vous en plein désert tout à fait typique de notre genre de vie. Casimir est en train de jalonner de points astro le territoire de mon collègue Rouaix qui opère à la pointe nord du Sahara soudanais vers Taoudennit, oasis qui recèle un gisement de sel gemme exploité depuis des siècles. Cette région n'est accessible que par la piste transsaharienne et Bidon V, quoique en territoire algérien, est le point de rencontre pour les deux parties.

C'est l'occasion unique de sortir Maeva de son trou et nous confions notre petite Pascale à notre voisine qui a également une petite fille et dont le mari entretient la piste transsaharienne, en plein Tanezrouft, pour le compte du Mer-Niger.

Avec le seul power wagon, nous prenons vers le nord l'ancienne piste qui, par la vallée du Tilemsi, rejoint directement Tabankort où se trouve un puits profond, vétitable gouffre. Si la végétation se raréfie rapidement, en revanche les mirages nous montrent fréquemment, à l'horizon, de belles oasis qui s'évanouissent soudainement.

Sur les grands regs dénudés, quelques troupeaux de gazelles s'enfuient à notre approche. Mon chauffeur force un peu l'allure et, par le travers, j'en tire une à la chevrotine. Ce n'est guère du goût de Maeva mais je tiens à assurer le ravitaillement de mon personnel. La gazelle vidée est suspendue, pour boucaner, d'un côté du power tandis que de l'autre est

accrochée une guerba, outre en peau de bouc, qui contient une vingtaine de litres d'eau, toujours assez fraîche grâce à l'évaporation qui intervient à travers la peau. Cette guerba, que l'on peut transporter à dos d'homme, est indispensable en cas de panne, mais quoique ils en aient eu une, l'année précédente, cinq hommes sont morts de soif dans cette région.

Il s'agissait de trois géomètres européens, accompagnés de deux Africains, partis à la chasse à l'ouest de Tabankort. Ces géomètres étaient chargés, par le Mer-Niger,

d'étudier un nouveau tracé de la piste transsaharienne, passant par Bourem, petite

agglomération sur le fleuve au nord de Gao. Au cours de cette partie de chasse, leur dodge tomba en panne à une trentaine de kilomètres à l'ouest de Tabankort, et nos Européens décidèrent de rejoindre la piste nord-sud qu'ils devaient fatalement rencontrer vers l'est. Ils attendirent donc la nuit et sa fraîcheur, emportèrent la guerba pleine et se dirigèrent aux étoiles, ce qui est immédiat dans ce pays où le ciel est limpide. Malgré cela ils ne furent retrouvés que quelques jours plus tard, morts de soif, mais à l'est de la piste, déchiquetés par les hyènes. Le dernier vivant, un Européen, décrivit leur lente agonie dans un carnet qu'il accrocha à l'épineux près duquel il mourut. Que s'était-il passé ?

Une seule hypothèse plausible : ils avaient traversé la piste sans s'en apercevoir, ce qui peut s'expliquer quand on sait qu'elle n'est signalée que par des traces de roues plus ou moins profondes suivant la nature du terrain. Mais leur grande faute a été, à mon sens, de ne pas s'être fait accompagner par un nomade qui, avec son sens du terrain, aurait évité cette erreur fatale.

Le soir nous campons à Anefis, où se trouve un second point d'eau et passons la soirée avec un Européen solitaire qui assure les vacations radio, pour le Mer-Niger, soit vers Gao, soit vers l'oasis de Tessalit. En principe tous les véhicules sont signalés ce qui assure une certaine sécurité.

Comme je suis en avance pour mon rendez-vous, je décide de quitter la grande piste pour passer par Kidal, petite localité dont le rôle essentiel est d'être le bagne du Soudan. Cette incursion vers l'est me permet, abandonnant la vallée de Tilemsi, de pénétrer le massif de l'Adrar des Iforhas.

C'est un avant goût de l'enfer, sous le soleil meurtrier. La roche est uniformément noircie par la patine désertique dûe au vent de sable, la végétation est inexistante, l'eau absente ; la nature hostile et sans vie s'appesantit sur nous tandis que nous pénétrons dans des défilés de roches obscures, couleur de jais. Malgré la chaleur, on est saisi par cette froideur minérale que l'on ne peut s'empêcher d'admirer.

Pendant la guerre mon ami J. Cauquy, que je connus à Tambacounda où il dirigeait les Travaux Publics, parcourait, en tant qu'officier du Génie, cette région à chameau. Un jour, éberlué, il vit au loin des gens qui semblaient balayer le sol aride entre deux blocs de rochers. A la jumelle il constata que c'étaient des Bellas qui travaillaient très activement, ce qui êtait d'autant plus curieux. Renseignements pris, ces Bellas se dépêchaient de ramasser un carré de crams-crams, ces petites graines piquantes, qui avaient poussé là, on ne sait comment, avant que d'autres nomades surviennent et prennent leur part de récolte. II est difficile d'imaginer que des êtres humains en soient réduits à une telle extrémité.

C'est un soulagement quand nous arrivons à Kidal et sa forteresse, mais, là, le silence qui nous accueille est différent, carcéral. Les rues vides sont d'une propreté impeccable car sans cesse balayées par les bagnards.

Clauzel, l'administrateur - qui deviendra ambassadeur - est absent et nous sommes reçus par le chef du goum, un jeune sergent-chef qui nous fait les honneurs des lieux et nous invite gentiment chez lui. Nous y sommes accueillis par sa compagne, une Targui très claire qui a un magnifique bébé. Nous apprendrons malheureusement, quelques mois plus tard, que ce bébé est mort, victime sans doute de déshydratation. Notre hôte est véritablement mordu par le désert et, quand nous le verrons à Gao, il sera complètement dépaysé dans cette ville. En 1960, après l'Indépendance, incapable de rentrer en France, il passera au service du Gouvernement Malien qui lui confiera la direction du goum de Gourma Rharous.

Hors l'hivernage, s'échapper de ce bagne est impossible, c'est la mort à coup sûr, sauf pour quelques Touaregs, originaires de ces montagnes, qui s'alimentent en eau à quelques gueltas secrètes et peuvent ainsi survivre. L'un d'eux, évadé du bagne, a d'ailleurs constitué une troupe de bandits qui s'attaque aux goums et rançonne les tribus Touaregs. Ce targui était un simple pasteur qui en tua un autre pour une histoire d'eau : les deux troupeaux étaient arrivés ensemble au puits et chacun prétendait abreuver ses bêtes le premier, ce qui était vital car la quantité d'eau était limitée.

Un jour, traqué par le goum de Kidal, à la tête duquel se trouve Clauzel

l'administrateur, il tue, de très loin, le goumier qui est au côté du Commandant de cercle puis tire une balle aux pieds de ce dernier : ultime avertissement de ne plus avancer.

Il est poursuivi également par le goum de Tessalit dont le chef, le lieutenant Kerfanto, est un breton avec qui je sympathise beaucoup. Kerfanto est un homme d'une autre époque, chevaleresque, et il est incapable de tuer par surprise ce nomade. Ils se connaissent d'ailleurs très bien et c'est ainsi qu'au cours d'une rencontre, auprès d'un puits, s'institue une trêve pour permettre le ravitaillement en eau.

Mais le Targui et les siens tuent plusieurs goumiers, s'attaquent aux chameaux du goum qui pâturent dans le désert et surtout commencent à imposer leur loi aux tribus touaregs, qui le craignent d'autant plus que les Français semblent incapables d'en venir à bout. Il faut donc absolument en finir et utiliser les grands moyens. On commence par se saisir des familles, les smalah, et on arrive ainsi petit à petit à démanteler sa bande, à l'isoler.

Un lieutenant parachutiste Vincent est adjoint à Kerfanto et met au point une méthode inédite : il envoie une patrouille dans le secteur où l'on soupçonne que se trouve le Targui puis les hommes se camouflent dans les rochers tandis que les chameaux continuent leurs chemins, chargés de pierres d'un poids correspondant à celui des hommes afin de laisser une empreinte identique, de même profondeur.

En fin de compte cette technique paya l'année suivante. Le Targui, pensant que la patrouille était passée, chassait tranquillement quand il fut surpris par un groupe de goumiers ; il y eut échange de coups de feu, un sergent fut blessé, mais le Targui fut tué. Aussitôt les goumiers, eux-mêmes touaregs, lui coupèrent la tête qu'ils emmenèrent dans les campements touaregs pour bien prouver aux nomades que le bandit était mort et qu'ils n'avaient plus à craindre d'être rançonnés.

De Kidal nous rejoignons la piste transsaharienne vers le nord, par un chemin

caillouteux à peine tracé, qui sinue entre des pointements toujours aussi sombres quelque soit la nature de la roche. Pendant une bonne centaine de kilomètres nous nous trouvons dans un ensemble chaotique, que l'on pourrait croire volcanique tellement la patine noire est uniforme, et un sentiment d'isolement et de solitude nous étreint. Aussi sommes-nous heureux

d'atteindre Aguelhoc, le dernier des trois points d'eau sur les 500 kilomètres qui séparent Gao de Tessalit.

Tessalit, au pied de l'Adrar des Iforhas, est la dernière oasis avant le désert intégral. Un employé du Mer-Niger y habite en permanence une grande maison, assise sur une colline qui domine toute la vallée. Installé ici depuis l'origine du Mer-Niger, il régente l'oasis et reçoit toutes les personnalités qui traversent le Sahara aussi certains l'appellent-ils ironiquement "le Gouverneur".

Quant à moi, je l'ai trouvé accueillant et sympathique d'autant qu'il a une certaine prédilection pour les géologues, grâce à Karpoff, un de mes anciens, Russe blanc d'origine, qui établit la carte géologique de l'Adrar des Iforhas. Plusieurs fois il le vit revenir exténué, sans eau, à la dernière extrémité, s'écroulant en arrivant chez lui et rétrospectivement "il lui tire son chapeau".

Je rencontrerai, par la suite, plusieurs fois Karpoff quand il devint un hydrogéologue de grande réputation et il me raconta quelques péripéties de sa carrière vagabonde. C'est ainsi qu'il découvrit la nappe d'eau qui alimente Ryad, capitale de l'Arabie Saoudite. Le roi Ibn Séoud, pour le remercier, lui proposa soit une voiture américaine livrable à Paris, soit une montre en or. C'est ce dernier cadeau que choisit mon collègue, se méfiant à juste titre de la douane et de ses taxes. Je me dois aussi de rappeler le souvenir d'un autre géologue russe, Meyerdorf qui, perdu avec son guide, mourut de soif dans cette région un peu avant la guerre. Comme dans tout centre où il y a un certain passage, les voleurs ne sont pas absents et, sur les conseils de Souleiman, je fais décharger la voiture et entreposer le matériel dans une case mise à ma disposition.

Le lendemain nous abordons le désert dans toute son expression, le Tanezrouft, reg caillouteux uniformément plat dont on ne distingue pas les limites, sinon au sud, la ligne sombre de l'Adrar que nous venons de quitter et qui s'estompe rapidement dans la brume. Dans ces espaces infinis où la vue porte très loin, nous ne ressentons plus cette angoisse sourde qui nous poignait en venant de Kidal la veille, dans le défilé de la montagne, très rarement pratiqué en voiture.

II est vrai que maintenant la piste est excellente et relativement fréquentée, une ou deux voitures par semaine à cette époque de l'année où la chaleur devient forte : le gros passage des touristes se fait en décembre, janvier, à la saison fraîche. Cette piste est parfaitement entretenue par le Mer-Niger car c'est sa raison d'être.

Après une bonne centaine de kilomètres, nous apercevons non loin de la frontière algérienne, seul au milieu de cette immensité, le campement de Percier notre voisin de Gao

dont la femme garde Pascale. Percier est un Biarrot de vieille souche qui, pendant la guerre, quoique n'ayant que 17 ans, fut déporté à Dora. Il s'en sortit grâce à son heureux tempérament, mais avec un début de tuberculose. Après un traitement il fut engagé par le Mer-Niger qui, étant donné ses antécédents, lui confia ce poste en plein désert, dans cet air particulièrement sec, totalement exempt de pollution, qui lui fut bénéfique.

Percier a à sa disposition une caravane sous laquelle, à l'ombre, est installé un

poulailler, et une grande citerne mobile qui est alimentée en eau chaque semaine par camion-citerne. Chargé de l'entretien des 270 kilomètres de piste entre Tessalit et Bidon V il dispose d'un adjoint canarien et de manoeuvres bellas. Pendant que l'Espagnol nous prépare un plat de son cru à base de poulet et de riz et surtout de piments, il nous emmène ramasser quelques pointes de flèches sur des tertres, derniers témoins de villages néolithiques et donc d'un Sahara verdoyant il y a quelques milliers d'années.

Aux environs de la frontière marquée par une simple borne, nous observons aussi des couches de gypse, ramassons quelques roses des sables et, en fin de compte, nous nous "plantons" dans une plaque de fech-fech, formation poudreuse, fine comme du talc, dans laquelle le power wagon s'enlise. II nous faut nous extraire à l'aide des tôles perforées, les "creshbas" fixées en permanence le long du véhicule. Rouaix, mon collègue du Tanezrouft, me racontera qu'il lui est arrivé, en tout terrain, de passer une journée entière dans un fech-fech ininterrompu, avançant trois mètres par trois mètres, longueur des tôles. Incroyable mais vrai !

Au moment du départ Percier, par habitude, fait l'inspection du power wagon et se retourne vers moi, éberlué : la caisse arrière est vide. Je n'ai ni eau, ni caisse à outils, pas même une roue de secours et nous sommes à 150 kilomètres de Bidon V ! J'ai omis ce matin de donner l'ordre de recharger la voiture et mes Noirs, toujours aussi insouciants, s'en sont bien gardés. Pourtant en brousse je surveille particulièrement le chargement mais, dans le cas présent, je ne travaille pas, je fais plutôt du tourisme avec ma femme, impressionnés que nous sommes par ces sites désolés mais grandioses tellement différents de ma brousse épineuse du Gourma. Sur cette grande piste bien entretenue j'ai peu à peu baissé ma garde et relâché l'attention. Il est certain que le comportement est tout autre quand il s'agit de plaisir et non de travail mais c'est parfois le drame, comme pour ces géomètres de Tabankort qui, leur jour de congé, sont partis enthousiastes, pour une bonne partie de chasse. Seul, les risques étant vraiment négligeables par rapport à ceux que je prends dans le Gourma, j'aurai continué ma route. Mais avec mes pneus remplis d'épines, j'ai peur d'une crevaison qui obligerait ma femme à passer une nuit fraîche à la belle étoile, sans matériel de couchage, aussi je décide de faire demi-tour.

Le lendemain matin un message radio de Bidon V m'annonce que mes collègues viennent jusqu'à Tessalit où Rouaix en profitera pour compléter son ravitaillement. Quant à nous, nous mettons à profit cette journée pour visiter l'oasis et admirer des peintures rupestres d'une autre époque laissées dans les cavernes peut-être par les Garamantes qui, venant

d'Egypte, auraient traversé le Sahara verdoyant avec leurs chars. Raccourci remarquable, à proximité, nous apercevons une inscription laissée par les membres de l'expédition Citroën de 1925, venant d'Alger.

Au retour, nous prenons la piste directe jusqu'à Tabankort puis la nouvelle piste jusqu'à Bourem, ville rose au coucher du soleil grâce à l'enduit ocré de ses maisons cubiques. C'est un petit port sur le fleuve qui a été, deux ans auparavant, le théâtre d'une révolte

conduite par un marabout : il avait convaincu la population en lui affirmant qu'il avait

"marabouté" les fusils des toubabs qui ne tireraient en guise de balles que des cacahuètes! Les quelques Européens se réfugièrent à la résidence, sur le toit en terrasse où ils passèrent

compagnie saharienne motorisée, commandée par un de mes voisins de Gao, le capitaine Schmidt. Curieusement le gri-gri du marabout eut quelque effet puisqu'une mitrailleuse s'enraya, mais naturellement la révolte fut promptement matée.

Dans la plaine du Gondo, le cratère d’Irma, d’une centaine de mètres de diamètre et de 47 m de profondeur, créé par dissolution des dolomies. Ce cratère s’est formé sur l’emplacement d’une faille, visible dans le cratère, séparant le Continentale terminal au Sud et la série dolomitique au Nord (Partie 2, Chapitre 3)

Chicots gréseux du massif de garémi

La « gara Hombori » (700 m de hauteur de commandement)

Le plateau du gandamia vu de Douenza

Extrémité est du Gandamia

L’auteur à Tambacounda en Juin 1950

Le campement de Kédougou en 1950

Femmes Malinkés à Tomborokoto

Femmes peuhls avec coiffes à cimier autour du garde forestier Ibrahima Danfakha

La maison de Douentza entourée de parkinsonias plantés par l’auteur

L’auteur avec le chef songhaï Balobo Maïga

Pascale et Thierry en compagnie de 2 gardes

cercle à Douentza

L’auteur et sa fille avec la fille du chef peuhl de

Maeva à la borne de Tessalit (Mali) dernière oasis avant le Tanezrouft

Deux targuis du gourma à droite du guide Souleiman

Bac sur le Niger à Gao

Raïma touareg dans le Gourma avec Casimir Coin à droite

La case de l’auteur à Mako avec Seck le cuisinier lé preux en 1949

La chaussée de Mako sur la Gambie en 1950

CHAPITRE VII

Dans le document KABAKOUROU, Michel DEFOSSEZ (Page 100-113)