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Section 2. ELEMENTS CONSTITUTIONNELS DU DEVELOPPEMENT DURABLE

4. LE DEVELOPPEMENT DURABLE DANS LA LIGNE DE MIRE

Un certain nombre de réflexions ont été émises autour de la question du développement durable. Nous citons les suivantes.

4.1. La variable "croissance"

Allant de plus en plus vers des optiques visant la croissance zéro ou carrément la décroissance, le modèle de la croissance illimitée ne tient plus la route. Face à l’épuisement des ressources non renouvelables, l’hypothèse de substituabilité des facteurs a tenté de démontrer, en vain, qu’une quantité accrue de techniques, de connaissances et de compétences doit pouvoir se suffire d’une quantité moindre de ressources naturelles pour assurer la durabilité des capacités de production et de satisfaction du bien être des individus. Concernant cette substituabilité des facteurs, Mauro Bonaluti1 nous explique la situation par un exemple très simple : on ne pourra jamais obtenir le même nombre de pizza en diminuant toujours la quantité de farine, même si l’on augmente le nombre de fours ou de cuisiniers.

4.2. Les trois piliers

Le rapport entre chaque pilier démontre l’existence de forces inégales. Selon Lucie Sauvé, les forces liées à l’économique sont supérieures à ceux liées à l’environnement. " Il n’y est question que de ne pas dépasser la capacité de support des milieux pour répondre aux besoins (non discutés) des sociétés de type occidental actuelles et futures" (Sauvé, 1998)2.

Sylvie Brunel estime (2004, p.59)3, que l’arbitrage entre les piliers est fonction de différents objectifs. Ainsi, depuis le 11 septembre 2001, l’occident privilégie des alliés sûrs et utiles (même dictatoriaux) et octroie des aides pour la lutte contre le terrorisme au lieu de la lutte contre la pauvreté.

1 Bonaïuti M. La teoria bioeconomica. La «nuova economia» di Nicholas Georgescu Roegen, Carocci, Rome 2001, p. 53. Cité dans Latouche S., 2003, À bas le développement durable ! Vive la décroissance conviviale ! In Objectif décroissance, Bernard M. et al. éds., Paris Parangon, pp.19-26.

2 Sauvé L., 1998, L'éducation relative à l'environnement: Entre modernité et postmodernité-Les propositions du Développement durable et de l'avenir viable, Colloque du 19-30 octobre : L'avenir de l'éducation par rapport à l’environnement dans un monde postmoderne?, Montréal.

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4.3. Le concept du développement durable en lui-même

Plusieurs observateurs critiques (Latouche1, Stengers2, Rist3, Sachs4, ...) associent le développement durable à un programme politico-économique mis en avant par certains acteurs sociaux qui siègent à l’ONU et qui cherchent à promouvoir l’idée que seul un nouvel ordre mondial fondé sur le libre marché et qui impose des règles donnera naissance à un développement économique permettant la résolution des problèmes sociaux et environnementaux. D’après le Calgary Latin American Group5, 1994, la planète est considérée comme un réservoir de ressources qui doit être globalement administré par des organisations régionales ou mondiales, il s’agit aussi de former un public prêt à collaborer à des décisions prises par le haut de la pyramide (selon la typologie de Bertrand et Valois, 1992)6

4.4. Autres critiques

- Une réflexion importante émise par Olivier Godard (2005)7 est que le développement durable n’est pas une solution mais seulement l’identification des problèmes. En effet, plus on avance dans le concept, plus on sent la difficulté de sa mise en place, les constats sont faits régulièrement mais les actions correctrices prennent beaucoup de temps avant qu’elles ne soient unanimement ratifiées, car cela nécessite obligatoirement une volonté politique et c’est cette volonté qui renvoi Olivier Godard vers une autre vision du concept. Le développement durable est une astuce politique internationale pour éviter les exigences écologiques et le sous-développement ou en d’autres termes un moyen de gagner du temps, l’exemple le plus

1 Latouche S. :

(1994), Développement durable: un concept alibi, Main invisible et mainmise sur la nature, Revue Tiers-Monde, Tome XXXV, n° 137, Janvier-Mars, pp. 77-94.

(2001), Les mirages de l’occidentalisation du monde : En finir, une fois pour toutes, avec le développement, Le Monde diplomatique, mai.

(2003), À bas le développement durable ! Vive la décroissance conviviale ! In Objectif décroissance, Bernard M. et al. éds., Paris Parangon, pp.19-26.

2 Dartevelle P. et al., 2005. Décroissance ?. In Espaces de Libertés, éd. Centre d'action laïque, n° 331, Bruxelles, Mai.

3 Rist G., 1996, Le développement : Histoire d’une croyance occidentale, Paris : Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 2e éd. 2001, pp. 19-46.

4 Sachs W., 1996, L'anatomie Politique du Développement durable, In. L'ère post-moderne. Quelques signes et priorités, Interculture, Cahier 130, Hiver, Vol. 29, n° 1, pp. 15-37.

5 Cité dans Partoune C. et Ericx M., Le développement durable - analyse critique, In Diversité culturelle, répertoire d'Outils Cris par les Formateurs de l'Institut d'Eco-Pédagogie (IEP), réédité en septembre 2011.

6 Idem.

7 Godard O., 2005, Le développement durable, une chimère, une mystification ?, Mouvements Vol. 4, n ° 41, pp. 14-23.

57 frappant reste jusqu'à présent la ratification du protocole de Kyoto par les pays les plus polluants et les voltes faces des Etats-Unis à plusieurs reprises.

- Pour Edgar Morin1 "le développement, notion apparemment universaliste, constitue un mythe typique du sociocentrisme occidental, un moteur d’occidentalisation forcenée, un instrument de colonisation des sous développés du Sud par le Nord". Il met le doigt sur le bras de fer perpétuel qui existe entre les pays développés et en même temps sur ce qu’ils imposent aux pays en développement. Cet auteur parle aussi de l’ambiguïté de l’avenir de notre terre en déclarant que "l’histoire n’est ni en son terminus stagnant ni triomphalement en marche vers l’avenir radieux. Elle est catapultée dans une aventure inconnue" (Rist, 1996, p. 43)2.

Pour certains auteurs comme Serge Latouche, c’est la fin du développement parce que l’économie du développement vit une impasse devant être dépassée par des avancées théoriques et conceptuelles (Belem, 2010, p. 28)3. Selon ce même auteur, la nouvelle économie dite de l’immatériel basée sur les services et le virtuel n’est pas forcement plus propre, il cite pour appuyer son idée le rapport "Ordinateur et environnement"4 fait pour l’ONU en 2004 dans lequel, on découvre que même si le développement de logiciels nécessite surtout de la matière grise, ça reste une production très gourmande en termes de consommation, c'est-à-dire que pour fabriquer un seul ordinateur qui sera utilisé pour le développement d’un logiciel, on devra consommer 1,8 tonne de matériaux, dont 240 kilos d’énergie fossile, et une puce de 2 grammes a besoin de 1,7 kilo d’énergie ainsi que d’une énorme quantité d’eau.

- Serge Latouche refond même la base la plus sérieuse du développement durable et remet en cause le principe de l’écoefficience que nous présenterons plus amplement dans le chapitre suivant. D’après le même auteur, il est bien agréable d’économiser 30 à 40 % de matières premières et produits intermédiaires en accroissant l’efficience et en luttant contre le gaspillage mais qu’il y a de fortes chances de voir une dégradation globale. Fabriquer un produit moins polluant par unité devra encourager la multiplication de sa consommation, ce

1 Morin E., 2002, Une mondialisation plurielle, le Monde, 26 Mars.

2 Morin E., 1990, La Terre, astre errant, Le Monde, 14 février. Cité dans Rist, G. 1996, p. 43.

3 Latouche S., 1988, "Contribution à l’histoire du concept de développement", Cité dans Belem G., Du développement au développement durable : cheminement, apports théoriques et contribution des mouvements sociaux, Les cahiers de la CRSDD, collection recherche, No 06, 2010, pp1-92. p. 28.

4 Lire l’encadré "une remise en cause des bases du développement durable" présenté dans Cahiers Français, 2007, Dossier Développement et environnement, n° 337, mars-avril, p. 26. Extraits choisis par la rédaction des Cahiers Français dans l’ouvrage de Latouche S., 2006, Le pari de la décroissance, Paris,Fayard. pp. 45-50.