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ESSAI DE SYNTHÈSE

3. Chronologie et environnement

5.2. Le débitage lamellaire

Comme on l’a déjà souligné, la collection de Beedings a livré des nucléus de petites dimensions. Parmi ceux-ci, certains, ayant livré des lames dans des phases de débitage précédentes, ont donné, en fin de chaîne opératoire, quelques supports de formats lamellaires. Quatre nucléus ont ainsi fourni des supports dont la largeur se situait aux environs d’un centimètre. Il s’agit ici d’une production de supports de format lamellaire à la suite de la réduction de nucléus à lames, sans qu’il y ait forcément une volonté de systématiser une telle production de lamelles, d’ailleurs numériquement très restreinte. On pourrait simplement relier cela à un souci d’économie de la matière et donc d’exhaustion des nucléus, plutôt qu’à une véritable production intentionnelle et systématique de lamelles.

Cependant, un de ces nucléus (fig. 34.3) semble avoir livré des lamelles, également plus étroites (jusqu’à 5 mm de largeur), de manière plus abondante. En outre, il y a également deux nucléus (fig. 33.3 et 4) qui semblent n’avoir livré que des lamelles. Ils sont probablement réalisés sur des éclats massifs, dont l’un est cortical.

Un de ces deux nucléus est fragmentaire ; il présente un dos (en fait, la surface dorsale de l’éclat) aménagé par retouches plates envahissantes, la surface de débitage étant déployée sur la face ventrale de l’éclat et ayant livré des éclats lamellaires. Un coup de burin latéral a été porté à partir de la cassure, peut-être dans une tentative de débiter des lamelles sur la tranche de la pièce mais cet enlèvement a rebroussé.

L’autre nucléus présente deux plans de frappe opposés à partir desquels on a débité des supports lamellaires (moins de 4 cm de longue et de 1 cm de large), un des bords a ensuite été retouché. Ces nucléus présentent les mêmes caractéristiques générales que leurs homologues laminaires (aménagement du dos, débitage à deux plans de frappe opposés) et évoquent une sorte de version miniature de ces derniers.

Cependant, s’il y a donc bien des nucléus à lamelles, en sus des quelques enlèvements lamellaires qui ont été produits par les nucléus laminaires en fin de parcours, il n’y a pas une seule lamelle présente dans la collection et il est donc difficile d’en dire plus en ce qui concerne cet aspect de la technologie du LRJ, d’autant plus qu’on ne la retrouve pas dans les autres ensembles rattachés à ce complexe.

Ces petits nucléus à lamelles, s’ils sont formellement analogues aux nucléus laminaires, sont, d’un autre côté, très proches des « couteaux de Kostenki » présents dans la collection de Beedings (fig. 31.1, 32, 33.1 et 2). Cela pose la question, déjà souvent discutée, du statut de ces « couteaux de Kostenki » qui furent soit considérés comme des nucléus à lamelles, soit comme des outils, soit comme un type d’aménagement particulier lié la rectification de l’épaisseur et de la courbure de la lame en vue de son emmanchement, soit encore, pour certains sous-types, comme des pièces esquillées.

Cette multiplicité d’interprétations fonctionnelles tient en partie aux imprécisions de la définition de ce type qui ont conduit à classer sous cette appellation des pièces très différentes (Otte 1980 : 54 ; Kozłowski 1984). Ce que nous entendons ici par « couteaux de Kostenki » correspond aux pièces sur lame présentant des enlèvements lamellaires dorsaux à partir d’une troncature inverse ou d’une cassure. Cela correspond aux sous-types 4 et 4a définis par J. Kozłowski (1984 : 49) lors de son étude des couteaux de Kostenki du Gravettien de Corbiac. À Beedings, ils peuvent être aménagés sur une seule ou sur les deux extrémités d’une lame ou être associés à un autre aménagement (burin). Certains portent parfois des retouches latérales.

Même en précisant ainsi la définition pour éviter d’y inclure d’autres pièces qui ne sont finalement que des troncatures ou des pièces esquillées, le problème de l’interprétation de ces pièces à enlèvements lamellaires dorsaux n’est pas résolu.

On a déjà signalé l’absence de signification chronologique et culturelle à accorder à de telles pièces puisqu’elles se retrouvent depuis le Paléolithique moyen ancien jusqu’au Paléolithique supérieur récent, dans différentes régions d’Europe, au Proche-Orient, en Asie centrale, ainsi qu’en Afrique (cf. supra).

Les enlèvements lamellaires dorsaux de ces pièces ont parfois été interprétés comme un type d’aménagement facilitant l’emmanchement de la pièce en l’amincissant (Turq et Marcillaud 1976 ; Otte 1980 : 55 ; Kozłowski 1984 : 66). Mais il a également été montré que, dans certaines industries gravettiennes, les lamelles issues de cet « aménagement » ont été utilisées comme supports d’armature à dos (Klaric 2000). La conception de ces pièces en tant que nucléus à lamelles, en interprétant alors la troncature inverse comme un plan de frappe et la face dorsale de la lame comme une surface de débitage profitant des nervures (fig. 137), a également été proposée pour des pièces similaires du Late Stone Age kenyan (Newcomer et Hivernel-Guerre 1974) et des sites paléolithiques moyens d’Ettoutteville (Normandie ; Bourguignon et al. 2004 : 38) et de Champ-Grand (Loire ; Slimak et Lucas 2005). En contexte paléolithique moyen également, le site du Coustal (Corrèze) a livré un racloir déjeté qui a ensuite été réduit par cette technique. La tracéologie a montré qu’un des supports lamellaires ainsi produit a été utilisé pour travailler le bois (Fonton et al. 1991). Dans ce dernier cas, les auteurs relient ce procédé à un souci d’économie de la matière première conduisant à recycler un ancien outil en nucléus.

Comme cela a été souligné (Delagnes 1992 ; Slimak et Lucas 2005 : 86), il ne faut peut- être pas envisager ces deux hypothèses (amincissement d’outil versus nucléus) comme exclusives, y compris au sein d’un même assemblage. À cet égard, la collection de Beedings est particulièrement problématique.

D’un côté, on peut noter la présence d’un aménagement similaire sur la partie proximale de certaines pointes de Jerzmanowice, procédé qui se retrouve également sur des pièces provenant d’autres sites comme Kent’s Cavern, et pour lequel il est difficile de ne pas penser à un amincissement de la base de la pointe en vue de son emmanchement. En outre, la présence d’outils composites associant un aménagement Kostenki à des burins, ainsi que la celle de retouches latérales sur certains « couteaux de Kostenki », peuvent également laisser penser qu’on a ici affaire à des outils plus qu’à des nucléus. On peut ajouter à ces observations que certains des négatifs des enlèvements dorsaux sont de formats très restreints et irréguliers (fig. 33.1), ce qui les rend peu à même d’être considérés comme des supports potentiels.

Cependant, comme on l’a déjà souligné, il y a également une similitude entre certains de ces « couteaux de Kostenki » et certains des nucléus bipolaires de petite dimension. Si on les compare à ceux-ci, on se rend compte que c’est surtout le support utilisé qui mène à la

classification dans l’une ou l’autre catégorie : les pièces sur lames sont classées comme « couteaux de Kostenki », les pièces présentant un aménagement similaire mais réalisées sur éclats ou fragments corticaux sont classées comme nucléus. De plus, certains des « couteaux de Kostenki » présentent des enlèvements lamellaires réguliers et de dimensions « acceptables » (entre 3 et 5 cm de longue, 0,5 à 1 cm de large) et sans porter d’autres retouches.

Cette question rappelle celle de la fonction des pièces carénées à retouches lamellaires. Longtemps simplement perçues comme des outils, il s’agit souvent de nucléus à lamelles de petites dimensions, notamment utilisés pour la production de certaines lamelles Dufour, comme des études technologiques l’ont montré (Le Brun-Ricalens et al. (éd.) 2005). Cependant, une utilisation de ces pièces carénées en tant qu’outil a également été démontrée par la tracéologie (Schulte im Walde 1987 ; Symens 1988). Ce type de pièces nécessite donc une étude au cas par cas, les deux aspects (outil/nucléus) n’étant pas exclusifs, y compris pour une même pièce (Flas et Jacobs 2004 : 106).

Dans le cas de Beedings, l’absence de toute lamelle pouvant provenir des « couteaux de Kostenki », peut-être pour des raisons de sélection et de méthode de fouilles (collection récoltée en 1900), et le manque d’étude tracéologique sur ces pièces, ne permettent pas de trancher la question.

On retiendra donc que les nucléus laminaires présents dans la collection de Beedings montrent une production de supports lamellaires en faible nombre et qui n’est peut-être pas standardisée, mais plus simplement le reflet d’une volonté d’exhaustion des nucléus. À côté de cela, deux nucléus sur éclats épais ont bien livré des supports de format lamellaire. Ils sont morphologiquement proches des « couteaux de Kostenki » de la collection à partir desquels une production lamellaire peut être supposée mais non démontrée. Le fait que Beedings soit le seul ensemble LRJ pour lequel une production lamellaire puisse être observée pourrait être mis en rapport avec la richesse plus importante de cette collection qui ne correspond pas uniquement à une halte de chasse, contrairement aux autres sites.