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ESSAI DE SYNTHÈSE

6. Économie de subsistance

Plusieurs facteurs empêchent de baser une étude de l’économie de subsistance de ces groupes sur des données fiables et n’autorisent que des propositions relativement générales et floues. Parmi ces facteurs, on peut mentionner : l’ancienneté des fouilles ; les mélanges de diverses industries ; l’absence d’études archéozoologiques précises, voire même de décompte de la faune découverte ; l’importance, en particulier pour les grottes britanniques, de l’activité des hyènes ; le grand nombre de sites sans contexte stratigraphique ni faune associée.

Dans ces conditions, les quelques affirmations de J. Campbell (1977 : 110, 112) quant à des pratiques cynégétiques particulières, telle la chasse aux oiseaux à Soldier’s Hole, sont à nuancer. En effet, la présence de restes d’oiseaux dans les dépôts de cette grotte n’est pas forcément à relier à l’activité humaine. L’hypothèse reprise par J. Campbell d’une fracturation anthropique de certains de ces ossements (oie et cygne) pour en récupérer la moelle semble plutôt incongrue puisqu’il n’y a pas véritablement de moelle à récupérer dans ceux-ci (H. Monchot, com. pers.). En outre, aucune trace de découpe n’a été remarquée. S’il y a bien vingt-huit espèces d’oiseaux, dont les restes sont répartis sur toute la séquence stratigraphique de ce gisement, un seul de ces ossements provient d’un niveau (« spit 12 ») ayant livré des pointes foliacées (Harrisson C. 1988 : 260).

De même, les restes de poissons et de coquilles d’œufs de canard découverts à Pin Hole lors des fouilles de L. Armstrong ne peuvent être rattachés avec certitude à une occupation humaine du Paléolithique supérieur ancien, ni a fortiori à la pointe de Jerzmanowice livrée par ce site.

Seul le site en plein air de Glaston (Thomas et Jacobi 2001), le plus récemment découvert, a livré des indications plus précises d’une association de restes fauniques et d’un ensemble LRJ. L’étude détaillée de ces restes n’a cependant pas encore été publiée. Si la plus grande partie des ossements découverts sont liés à l’activité des hyènes, ce n’est pas le cas des restes de chevaux qui étaient directement associés à la faible industrie lithique et qui ont, en outre, été brisés volontairement (récupération de la moelle). On a donc là un exemple établi de chasse au cheval par les utilisateurs des pointes de Jerzmanowice.

Dans les autres sites, la faune stratigraphiquement associée aux pointes de Jerzmanowice nous renseigne sur les espèces présentes dans l’environnement, le gibier potentiellement chassé (Donahue et al. 1999 : 110), mais ne permet pas d’établir de lien direct entre certains restes et les artefacts rattachés au LRJ.

Comme on pouvait s’y attendre au regard du climat et de l’environnement de l’Interpléniglaciaire (cf. supra), les ossements provenant des mêmes dépôts que les ensembles LRJ montrent une faune caractéristique de la « steppe à mammouth ». Cela est très visible dans les sites britanniques où l’on retrouve toujours le même cortége d’espèces de grands herbivores comprenant le mammouth, le renne, le cheval, le rhinocéros laineux, ainsi que le mégacéros et le bison (Currant et Jacobi 2002). Les mêmes espèces apparaissent « associées » aux ensembles LRJ continentaux (bassin mosan) mais ces niveaux incluent parfois des espèces de milieux plus boisés (cerf, chevreuil, abondance de l’ours des cavernes ; Cordy 1988). Á Ranis 2, les mêmes espèces sont présentes : mammouth, renne, rhinocéros laineux, cerf et ours des cavernes (Hülle 1977). Les données sont moins claires pour les couches 6 à 4 de la grotte Nietoperzowa où la grande faune, en dehors de l’ours des cavernes très abondant, est peu représentée (cheval et boviné indéterminé).

Un problème particulier concerne l’idée d’une chasse à l’ours des cavernes par les porteurs du LRJ. Cette proposition a été formulée de manière détaillée par W. Chmielewski (1961 : 81) après ses fouilles dans la grotte Nietoperzowa, en s’inspirant d’une hypothèse déjà avancée par L. Kozłowski (1924 : 141). La couche 6 de ce site montrant l’association d’une faune très largement dominée par l’ours des cavernes à une industrie caractérisée par les armatures (pointes de Jerzmanowice, lames appointées, pointes foliacées bifaciales), dans un dépôt cendreux et riche en charbon, l’auteur conclut à la pratique d’une chasse spécialisée à l’ours utilisant l’enfumage pour faire sortir les animaux de la cavité. Il a, par ailleurs, proposé la même explication pour les couches 13 et 10 de la grotte Koziarnia où de faibles industries du Paléolithique moyen étaient associées à des traces de charbon (Chmielewski et al. 1967 : 63).

L’idée que l’ours des cavernes était un gibier chassé par l’homme était assez répandue à l’époque. W. Hülle (1935 : 30 ; 1977 : 107) et G. Freund (1952 : 137) proposaient la même interprétation pour les restes d’ours de Ranis 2. De même, F. Prošek (1953 : 189) émettait l’hypothèse d’une chasse à l’ours pour le matériel szélétien de la grotte Dzeravá Skala et K. Valoch (1973 : 60) pour les pointes foliacées bifaciales isolées découvertes dans certaines grottes moraves (Pod Hradem, Rytířská). La proposition de W. Chmielewski concernant la grotte Nietoperzowa fut également parfois reprise (Kozłowski 1988a).

Le développement d’études archéozoologiques et taphonomiques plus détaillées va conduire à un rejet justifié de cette vision des choses et montrer que ces ossements ne sont que le résultat de la mort des animaux pendant l’hibernation (Kozłowski 1990b : 429 ; Stiner 2002). Pour la grotte Nietoperzowa, l’étude des restes d’ours par M. Wójcik (1971), reprise par Ph. Allsworth-Jones (1990a : 197), conteste l’interprétation avancée par W. Chmielewski. La courbe d’âge des ours de la couche 6 n’est, en effet, pas différente de celle des niveaux sans traces d’activité humaine et l’homme n’a donc pas joué de rôle prépondérant dans l’accumulation de ces restes.

Cependant, sans remettre en cause l’idée que la majorité des associations entre des restes d’ours des cavernes et des artefacts soient fortuites, plusieurs études récentes ont montré que l’ours faisait bien partie, rarement certes, du gibier de l’homme préhistorique. Ainsi, et malgré le fait que la possibilité d’une chasse à l’ours au Paléolithique continue d’être rejetée par certains (Binford 2002), cette pratique a-t-elle notamment été établie pour l’occupation datant du Paléolithique moyen ancien de Biache-Saint-Vaast (Auguste 1992). Parfois, les ossements d’ours portent des traces d’activité humaine pouvant être reliées à la récupération des fourrures sans qu’il y ait de certitude quant au fait que ces ours aient bien été tués par l’homme, comme c’est le cas pour les couches Xc (Châtelperronien ; David 2002) et VII

(Aurignacien ; David et Poulain 2002) de la grotte du Renne à Arcy-sur-Cure. L’exemple le plus clair d’une chasse à l’ours paléolithique provient des niveaux gravettiens du Hohle Fels où des restes d’ours portent une large gamme d’actions humaines, dont une vertèbre dans laquelle est fichée une armature de silex (Münzel et Conard 2004). Ces exemples de chasse à l’ours ne sont pas si surprenants si l’on considère le grand nombre de témoignages ethnographiques relatant cette pratique, utilisant des techniques peu éloignées de celles disponibles au Paléolithique (sagaies, couteaux, gourdins ; Hallowell 1926 : 31-43). Cette chasse est généralement pratiquée à la fin de l’hiver ou au début du printemps, pour profiter de l’état de faiblesse de l’animal à la fin de sa période d’hibernation. Certaines populations, dont les Ainous et les Lapons, utilisaient parfois la technique de l’enfumage pour faire sortir les ours de leur tanière, comme W. Chmielewski le proposait pour la grotte Nietoperzowa. Il n’est donc a priori pas impossible qu’il y ait eu une chasse à l’ours à la grotte Nietoperzowa. Si l’étude de M. Wójcik infirme l’idée qu’une grande partie des ours de la couche 6 aient été tués par l’homme, cela n’exclut pas la possibilité que quelques individus l’aient été. Pour établir clairement s’il y a eu ou non chasse à l’ours, une étude des traces d’origine anthropique portées par les ossements est nécessaire, et pas seulement une approche statistique basée sur l’âge du décès des animaux.

En ce qui concerne l’économie de subsistance du LRJ, on peut donc juste avancer que les grands herbivores présents dans le milieu de steppe/toundra de la plaine septentrionale de l’Europe durant l’Interpléniglaciaire étaient probablement le gibier habituel. La chasse au cheval est attestée à Glaston. L’idée d’une chasse à l’ours, en particulier à la grotte Nietoperzowa, ne peut être rejetée a priori mais devrait être étayée avec des données fiables, ce qui n’est pas le cas pour l’instant.