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ESSAI DE SYNTHÈSE

7. Kostenki 8-I : un ensemble jerzmanowicien ?

Après avoir décrit différents aspects du LRJ, qu’il s’agisse de sa chronologie, de sa typologie ou de sa technologie, il est possible d’aborder le problème de l’intégration dans ce complexe de l’industrie fournie par le niveau supérieur de Kostenki 8, question qui a fait l’objet de points de vue contradictoires (cf. supra).

L’intégration de cet ensemble dans le LRJ est principalement basée sur la présence de pièces à retouches bifaciales partielles, en particulier de pointes foliacées laminaires similaires aux pointes de Jerzmanowice. W. Chmielewski (1961 : 40) soulignait également la « similitude […] tout à fait surprenante » des techniques de débitage (débitage laminaire unipolaire et bipolaire), la commune absence des grattoirs, ainsi qu’une tendance à aménager certaines des pointes de Jerzmanowice par un pédoncule.

7.1. Arguments typologiques

Comme cela a été souligné par J. Kozłowski (1983 : 61), il n’est pas pertinent de comparer la composition de l’outillage de Kostenki 8-I avec celle des ensembles jerzmanowiciens en raison de la nature très différente des occupations (industrie riche d’un site d’habitat en plein air d’un côté, ensemble restreint correspondant à des haltes de chasse en grotte de l’autre). On ne peut donc rejeter une classification de Kostenki 8-I dans le LRJ sur la

seule base de l’abondance dans cette collection de types d’outils (burins, pièces esquillées, racloirs, …) qu’on ne rencontre pas ou peu dans le LRJ. Cela vaut aussi pour la présence d’une industrie osseuse (poinçons, lissoirs) et d’éléments de parure (surtout des canines perforées) dans le site russe (fig. 115).

On peut cependant déjà infirmer l’observation avancée par W. Chmielewski d’une commune absence des grattoirs. D’une part, s’il n’y a, en effet, pas de grattoirs dans les ensembles LRJ polonais, il y en a bien dans certains des autres sites rattachés à ce complexe (surtout à Beedings, ainsi qu’à Goyet, cf. supra). Et, d’autre part, il y a bien des grattoirs à Kostenki 8-I. Cette supposée absence de grattoirs était également affirmée par R. Klein (1969 : 143). Il semble que ce soient les classifications typologiques particulières utilisées par les fouilleurs de ce site qui aient laissé croire à une absence de ces pièces. Elles sont cependant bien présentes (39 exemplaires, 5,88 % de l’outillage) (fig. 111, 112 et 114). On a vu que certaines de ces pièces présentent souvent des esquillements inverses (cf. supra), sous le front du grattoir, peut-être cela a-t-il conduit à leur classement comme pièces esquillées. Ce type de stigmate, relevant peut-être d’une utilisation en percussion lancée (Rigaud 1977), n’a pas été observé sur les grattoirs de Beedings.

En ce qui concerne les pièces à retouches bifaciales partielles, qui sont l’argument principal d’un rapprochement de Kostenki 8-I et du LRJ, plusieurs remarques peuvent être avancées. Il existe des pièces qui sont similaires aux pointes de Jerzmanowice ; elles sont cependant peu nombreuses puisqu’elles ne sont que 12, représentant 1,8 % de l’outillage, et sont quatre fois moins nombreuses que les simples lames appointées (49 exemplaires).

De plus, certaines de ces pointes à retouche bifaciale partielle présentent des particularités qui les différencient sensiblement des pièces rencontrées dans le LRJ. Ainsi, deux d’entre elles se démarquent-elles par une retouche ventrale extrêmement limitée (fig. 107.1, 5 et 6). En outre, quatre autres ont un pédoncule plus ou moins marqué (fig. 108.2 et 3). Ces pièces pédonculées à retouche bifaciale partielle se retrouvent également en faible nombre dans d’autres catégories d’outils, comme les burins, les grattoirs ou les troncatures (fig. 109) ; il n’est pas impossible qu’il s’agisse d’anciennes pointes « recyclées ». Par ailleurs, plusieurs fragments (9) de lames relativement étroites (entre 1,3 et 2 cm de large), et portant des retouches bifaciales partielles, pourraient correspondre à des fragments de pédoncule.

Comme on l’a vu (cf. supra), la tendance à la pédonculisation identifiée par W. Chmielewski dans la couche 4 de la grotte Nietoperzowa ne se base que sur une seule pièce dont la provenance stratigraphique réelle est inconnue et pour laquelle l’identification même d’un pédoncule est sujette à caution (fig. 76.2). Ce caractère, qui est donc plus fictif que réel, de l’ensemble le plus récent de la grotte Nietoperzowa était utilisé comme argument supplémentaire pour accréditer l’idée de traits communs entre le stade récent du Jerzmanowicien polonais et l’industrie de Kostenki 8-I. Si certaines des pointes foliacées de ce dernier site présentent bien cette particularité, il s’agit, en fait, d’une différence supplémentaire, et non d’une similitude, avec le LRJ.

Les autres pièces à retouche bifaciale partielle découvertes dans le niveau I de Kostenki 8 sont de types divers et ne peuvent être classées comme pointes de Jerzmanowice. Ces formes se rapprochent généralement plutôt de racloirs ou de couteaux (fig. 110).

Sur base des pièces à retouches bifaciales partielles il n’est donc pas évident de confirmer ni d’infirmer l’hypothèse d’un lien entre le LRJ et Kostenki 8-I. D’un côté, il y a

des pointes de Jerzmanowice et surtout une importance similaire de l’utilisation de la retouche bifaciale partielle appliquée à des lames (quel que soit le type d’outil), mais, d’un autre côté, les pointes de Jerzmanowice de Kostenki 8-I sont peu nombreuses et présentent parfois une pédonculisation qui les différencie des pièces du LRJ. Cependant, on pourrait contre- argumenter en considérant que la faiblesse des pointes de Jerzmanowice est relative, due à la richesse et à la variété typologique du reste de l’industrie qu’on ne retrouve forcément pas dans les haltes de chasse de la plaine septentrionale de l’Europe et, que la pédonculisation n’est qu’un caractère secondaire ne justifiant pas à lui seul le rejet d’une forme de continuité entre le LRJ et Kostenki 8-I.

On voit donc que, tout en montrant une série de différences entre le site russe et les ensembles LRJ, la seule analyse typologique n’apporte pas de réponse claire à cette question. Pour aller plus loin, il est nécessaire d’établir les caractéristiques technologiques de Kostenki 8-I pour les comparer aux procédés de débitage observés dans le LRJ et voir si on peut y trouver des similitudes ; puisqu’on a vu que les distances géographique et chronologique entre les ensembles du LRJ n’empêchaient pas une certaine homogénéité des modalités de débitage.

7.2. Technologie de la collection de Kostenki 8-I

7.2.1 Débitage laminaire

Si les supports laminaires dominent largement l’industrie (ca. 600 lames pour ca. 100 éclats et 18 lamelles), seuls deux nucléus laminaires nous sont parvenus. Il semble que les autres aient été fortement réduits et modifiés par le débitage, consécutif à la production laminaire, d’une série d’éclats relativement petits et irréguliers conduisant à l’abandon de nucléus informes ou discoïdes de petites dimensions. Rappelons à cet égard que, comme pour les autres industries de la région de Kostenki, la matière première majoritairement utilisée (ca. 98 %), est un silex gris foncé à grain fin, d’origine lointaine (environ 100 km) (Andrei Sinitsyn, com. pers.).

Avec des nucléus aussi réduits, il est difficile d’estimer la taille des blocs sélectionnés pour le débitage. En outre, les lames sont très fragmentaires et les artefacts retouchés nombreux, compliquant encore cette estimation. Cependant, la présence de quelques pièces entières (p.ex., fig. 111.5), sur lames, de 10 à 12 cm de longueur, ainsi que de fragments d’outils entre 9 et 10 cm, indiquent qu’une partie des blocs débités devaient avoir une longueur d’au moins 15 cm.

Une préparation du nucléus par l’aménagement d’une crête est parfois pratiquée, comme l’indique la présence de 11 lames à crête. L’aménagement de néo-crête semble être moins courant puisque seules trois lames néo-crêtes ont été observées. Dans l’ensemble, et malgré le grand nombre de pièces dont le cortex a pu être éliminé par la retouche, les lames complètement ou partiellement corticales (75) sont nettement plus nombreuses que les éléments à crête ou sous-crête (48). Cela indique que l’aménagement de crêtes n’était pas systématique et que leur installation ne conduisait pas à un épannelage important du bloc.

Les deux nucléus sur lesquels on peut encore observer les caractéristiques du débitage laminaire montrent la pratique d’un débitage à partir d’un seul plan de frappe, avec une surface de débitage courbe.

Ceci est confirmé dans l’observation des lames produites. En effet, sur 188 lames pour lesquelles le sens de débitage du support et des enlèvements précédents sont déterminables (nombre relativement faible en raison de l’importance de la patine, de la retouche et de la fragmentation), 180 montrent un débitage unipolaire et seulement 8 un débitage à partir de deux plans de frappe opposés.

Cette pratique presque exclusive d’un débitage laminaire à partir de nucléus à un seul plan de frappe, à la surface de débitage courbe et souvent convergente (nucléus pyramidal), trouve une autre confirmation dans l’importance des lames courbes (152) par rapport aux lames rectilignes (46).

En outre, cette technique a conduit à avoir fréquemment une surface de débitage formant un angle assez aigu (inférieur à 70°) par rapport au plan de frappe. Cela explique la présence de talons de type « lipped flake » (10 sur 135 talons de lames observables), c'est-à-dire un talon dont la lèvre est trop large et emporte une partie du plan de frappe, accident de taille qui apparaît lors du débitage ou du façonnage au percuteur tendre sur un bord formant un angle assez fermé (Inizan et al. 1995 : 38).

Les talons observables (135) se singularisent également par la présence régulière d’une très forte abrasion, allant parfois jusqu’à une sorte de polissage du bord du talon (19 cas). Les talons facettés sont les plus nombreux (58), devant les talons lisses (47), les dièdres (24) et les punctiformes (6), pour un seul talon cortical. L’utilisation de la percussion tendre, outre la présence de talons de type « lipped flake », est bien visible par le nombre important de talons présentant une lèvre (114) et par leur épaisseur faible (112 talons égaux ou inférieurs à 5 mm, pour une moyenne de 3,9 mm). Si un percuteur en quartzite est présent dans la collection, il a pu servir à la préparation des nucléus ou à tout autre tâche de percussion mais pas, ou très peu, au débitage des lames. La partie proximale des lames montre également la pratique fréquente de la réduction de la corniche avant le débitage du support (118 cas).

Au cours du débitage, l’aménagement du plan de frappe est fréquent, comme l’indiquent l’importance du facettage des talons mais aussi la présence de 11 tablettes partielles, dont 8 ont été réutilisées en outils.

En ce qui concerne le format des lames produites, on a vu qu’on dispose de peu d’informations sur leur longueur originelle en raison de l’importance de la fragmentation et de la retouche. Aucune lame brute complète n’a pu être observée.

La largeur des lames dont la partie mésiale est conservée et brute (154 exemplaires) va de 1,2 cm (limite arbitraire avec le groupe des lamelles, cf. infra) à 3,7 cm, pour une moyenne de 2,23 cm (fig. 138).

L’épaisseur, mesurée sur les pièces laminaires où elle n’a pas été modifiée par la retouche (358 pièces), va de 0,3 à 1,4 cm, pour une moyenne de 0,66 cm (fig. 139).

7.2.2. Débitage lamellaire

Il n’y a très probablement pas de chaîne opératoire de débitage lamellaire. Les lamelles, simplement séparées des lames par leur largeur inférieure à 1,2 cm, sont très peu nombreuses (18) et seulement deux ont été retouchées (fig. 114.1). Ce faible nombre de lamelles ne peut être justifié par un manque de finesse dans la récolte du matériel car les chutes de burins abondent dans la collection. D’ailleurs, aucun nucléus à lamelles, ni prismatiques, ni sous la forme de couteaux de Kostenki ou de pièce carénée, n’a été découvert.

Ces lamelles ont une largeur située entre 0,8 et 1,2 cm et se placent donc dans la continuité du gabarit des lames. En outre, leur épaisseur, entre 0,3 et 0,6 cm, ne sort pas de la variabilité de celle des lames. Il s’agit donc simplement de supports de petits formats débités au cours de la production laminaire et qui ne correspondent pas à une production systématique et indépendante.

7.2.3. Débitage d’éclats

Parmi les éclats présents dans la collection, qu’ils soient bruts ou transformés en outils, environ la moitié sont complètement ou partiellement corticaux. Cela indique qu’ils proviennent sans doute, pour la plupart, des phases d’aménagement des nucléus à lames (épannelage, création des crêtes, ravivage du plan de frappe, …).

Cependant, il y a deux autres modes d’obtention des éclats, surtout observables à partir des nucléus :

- le débitage d’éclats de petites dimensions, qu’on ne retrouve pas utilisés dans l’outillage, aux dépens des nucléus à lames en fin de chaîne opératoire ;

- le débitage d’éclats de type Kombewa, sur la face ventrale d’un éclat massif (trois nucléus de ce genre, pour un seul éclat Kombewa observé dans la collection).

En outre, il faut également mentionner un éclat très similaire à un éclat Levallois (talon facetté épais, débitage au percuteur dur, négatifs dorsaux de préparation centripète) et un éclat laminaire aux caractéristiques proches. Ce sont cependant les deux seules pièces de la collection qui évoquent cette technologie et cela semble insuffisant pour être affirmatif quant à la pratique du débitage Levallois à Kostenki 8-I.

7.3. Discussion

Après cette étude technologique, il est possible d’apporter des éléments neufs au débat touchant au rapprochement du LRJ et de l’industrie de Kostenki 8-I. En effet, les différentes caractéristiques observées dans la production laminaire de cette collection s’écartent fortement de ce qui a été reconnu dans les ensembles LRJ. Le débitage des lames à Kostenki 8-I se marque par l’utilisation pratiquement exclusive d’un procédé unipolaire. Cette technique produit des lames le plus souvent courbes et de format relativement léger. Cela contraste avec les lames du LRJ qui sont très majoritairement issues d’un débitage à deux plans de frappe opposés, rectilignes et de gabarit plus massif (largeur moyenne de 2,23 cm à