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Le contre-exemple de l’obligation de fidélité

Chapitre premier : La protection des contractants contre les actes des tiers

Section 1 : Les atteintes aux droits contractuels

B. Le contre-exemple de l’obligation de fidélité

38. Le mariage était jusqu’à une époque récente opposable à tous. La

jurisprudence admettait traditionnellement la responsabilité du tiers complice du

64 En droit libanais, la situation est beaucoup plus compliquée du fait que le mariage n’est pas soumis

conjoint adultère envers celui qui a été trompé65 ainsi que les enfants66. Pourtant, un nouveau courant jurisprudentiel favorable à l’exclusion de la responsabilité du tiers complice est apparu67.

Dans un litige qui a donné lieu à un arrêt rendu le 5 juillet 2001, une épouse réclama une somme d’argent à titre de dommages-intérêts, en invoquant que toute personne qui, en connaissance de cause, aide autrui à enfreindre le devoir de fidélité inhérent au mariage par sa participation à un adultère commet une faute l'obligeant à réparer le préjudice subi par le conjoint trompé. De plus, l’épouse avança que toute faute, même légère, qui a causé un préjudice à autrui, engage la responsabilité de son auteur. Cependant, la Cour de cassation a approuvé les juges de fond ayant rejeté sa demande, en énonçant que « après avoir relevé qu'il n'était pas prétendu que Mme Y..., qui n'a jamais rencontré Mme X... antérieurement à sa liaison ni au cours de celle-ci, aurait, par son attitude, créé le scandale ou cherché à nuire spécifiquement au conjoint de son amant, qu'il n’était pas davantage soutenu qu'elle aurait à la suite de manœuvres détourné M. X... de son épouse, la Cour d'appel a pu décider que le seul fait d'entretenir une liaison avec un homme marié ne constitue pas une faute de nature à engager la responsabilité de son auteur à l'égard de l'épouse » 68. Par conséquent, contrairement au principe général, la victime est privée de son recours contre le tiers complice d’adultère. Cette faculté sera réservée seulement au conjoint trompé qui rapporte la preuve que le complice avait l’intention de nuire ou avait réalisé des manœuvres qui sont à l’origine du divorce.

39. Cette tendance jurisprudentielle n’a pas été sans influence sur la doctrine

qui s’est divisée par la suite. Certains auteurs mettent en cause la distinction opérée par la jurisprudence entre le fait de contribuer à l'inexécution en matière contractuelle et le fait de participer à la violation d'une obligation légale69. Le mariage ne se réduit

65

CA Paris, 25 mars 1955 : D. 1955, jurisp. 444. – CA Grenoble, 16 mars 1970 : Gaz. Pal. 1970, 2, jurisp. 6, note A. T.– Cass. 2e civ., 2 avr. 1979 : Bull. civ., II, n° 110. – Cass. 2e civ., 21 juin 1979 :

Bull. civ., II, n° 193. – TGI Lille, 13 mars 1984 : Gaz. Pal. 1990, 2, jurisp. 675, note X. LABBÉE. 66 TGI Chartres, 22 mars 1973 : Gaz. Pal. 1973, somm. 241 – TGI Lille, 13 mars 1984 : préc. 67

CA Bordeaux, 13 mai 1997 : RTD Civ. 1997, 909, obs. J. HAUSER – Cass. 2e civ., 4 mai 2000 :

JCP G 2000, II, 10356, note Th. GARÉ.

68 Cass. 2e civ., 5 juill. 2001 : Bull. civ., II, n° 136, p. 91 ; RTD Civ. 2001, 856, obs. J. HAUSER ; D.

2002, 1318, obs. Ph. DELEBECQUE.

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pas à un contrat, mais cela ne justifie pas qu’il serait moins inviolable qu'un contrat70. Une autre partie de la doctrine semble favorable à la décision de la Cour de cassation. La solution ne se justifierait pas par la nature de l'obligation violée mais par les intérêts que la loi cherche à protéger. L’évolution des mœurs est incontestable. L’adultère qui était choquant autrefois l’est moins à nos jours. Ainsi si la sanction du non-respect du devoir de fidélité entre les époux est en déclin, il serait inacceptable d’y obliger les tiers71. Qui plus est, il est probable que la jurisprudence protège le tiers complice du fait que celui qui agit par amour ne peut être condamné de la même

façon que celui qui agit afin d’atteindre un profit économique72. Le doyen

CARBONNIER73 estime que déclarer le tiers responsable d’une manière systématique

et le condamner à indemniser le conjoint lésé sans prononcer parallèlement le divorce est une sanction sévère à son égard. L’action en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 1382 du Code civil contre le complice de l’adultère ne doit pas être confondue avec celle prévue à l’article 266 du Code civil.

40. En définitive, les solutions apportées par la jurisprudence française

montrent la consécration d’un principe de responsabilité du tiers complice ou auteur de la violation des engagements contractuels envers le créancier. Ce dernier doit être protégé, afin de jouir pleinement de ses droits, contre l’intervention de toute personne étrangère. Pourtant, des tempéraments à ce principe ont été prévus dans le souci de ne pas heurter l’équilibre des intérêts concurrents. En droit libanais, un tiers fautif ne peut échapper à la condamnation. Les solutions adoptées ne sont pas loin de celles consacrées en droit français. En effet, le Code civil libanais, « qui a puisé dans les divers codes occidentaux, a été révisé par JOSSERAND, qui a laissé son empreinte sur les diverses dispositions du Code relatives la responsabilité civile »74. Une étude

70 Cass. 2e civ., 4 mai 2000 : RTD Civ. 2000, 810, obs. J. HAUSER. 71 Cass. 2e civ., 5 juill. 2001 : RTD Civ. 2001, 893, obs. P. JOURDAIN. 72

R. WINTGEN, op. cit., p. 257, n° 294.

73

J. CARBONNIER, Droit civil, T. 2, La famille, PUF, 19ème éd., 1998, p. 105 et s., n° 58.

74 C. CHEHATA, « La théorie de la responsabilité civile dans les systèmes juridiques des pays des

Proche-Orient » : RIDC, 1967, 883 et s. ; L. JOSSERAND, « Le Code des obligations et des contrats et le mouvement législatif et jurisprudentiel contemporain », in Mélanges à la mémoire de Paul

HUVELIN, Livre du vingt-cinquième anniversaire de l’École française de droit de Beyrouth, Paris,

1938, p. 163 ; Ch. CARDAHI, « Le projet de Code des obligations du Liban ( ses attaches avec le passé...) » : Bulletin mensuel de la société de législation comparée, soixantième année, p. 683, n° 10 et s. ; D. DEROUSSIN, « Josserand, le Code civil et le Code libanais des obligations et des

du principe de la responsabilité du tiers fautif du point de vue des deux systèmes juridiques atteste cette ressemblance.

contrats », in, Le Code civil français et le dialogue des cultures juridiques, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. 49 et s.

Section 2 : Le principe de la responsabilité des tiers envers le créancier de