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En France, la jurisprudence s’est intéressée à une catégorie particulière des

Chapitre second : La protection des tiers contre l’inexécution contractuelle

Section 1 : Les obligations des contractants

A. Des obligations de sécurité des personnes et des biens

69. En France, la jurisprudence s’est intéressée à une catégorie particulière des

tiers victimes : les victimes par ricochet. Dès lors qu’une partie au contrat décède à cause d’une inexécution contractuelle due à la faute de son cocontractant, les victimes par ricochet peuvent exercer une action en réparation de leur préjudice personnel. Elles n’agissent pas en leur qualité d’ayant cause de la victime directe, mais en leur nom personnel. Leur action ne peut être de nature contractuelle. En tant que tiers par rapport au contrat, ceux-ci peuvent agir uniquement sur le terrain délictuel. Selon

Monsieur WINTGEN, cette politique jurisprudentielle renferme des difficultés27. Il se

peut, selon la situation, qu’une victime par ricochet soit indemnisée alors que la victime initiale, en cas de survie, ne puisse pas bénéficier d’une indemnisation28. Ainsi, l’auteur propose que le régime de l’indemnisation des victimes par ricochet soit aménagé d’une manière plus conforme à celui de la victime initiale, que le

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Rapport du Conseiller rapporteur à la Cour de cassation Monsieur ASSIÉ, préalable à l’arrêt de l’Assemblée plénière du 6 octobre 2006 : Bulletin d’information de la Cour de cassation, 2006, n° 651, p. 40.

23 Cass. 1ère civ., 13 oct. 1992 : Bull. civ., I, n° 250 – Cass. 1ère civ., 20 janv. 1993 : JCP 1993, IV,

734.

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Cass. 1ère civ., 15 déc. 1998 : Bull. civ, I, n° 368, p. 255 ; RTD Civ. 1999, 623, obs. J. MESTRE ;

Defrénois 1999, art. 37008, n° 40, obs. D. MAZEAUD. 25 Cass. Ass. Plén. 17 nov. 2000 : Bull. civ, Ass. plén., n° 9. 26

Cass. Ass. plén. 13 juill. 2001 : Bull. civ, Ass. plén., n° 10.

27 R. WINTGEN, Étude critique de la notion d’opposabilité, les effets du contrat à l’égard des tiers en droit français et allemand, préf. J. GHESTIN, L.G.D.J., 2004, p. 303 et s., n° 347.

28 Ibid. ; B. STARCK, « La pluralité des causes de dommage et la responsabilité civile » : JCP 1970,

fondement de l’action de cette dernière soit délictuel ou contractuel. Le principe de la relativité de la faute contractuelle peut être écarté, exceptionnellement, au motif de la particularité de la situation des victimes par ricochet. Cependant, la Cour de cassation qui accueillait l’action contractuelle des victimes sur le fondement de la stipulation pour autrui a opéré un revirement de jurisprudence. Selon sa position nouvelle, les tiers peuvent invoquer l'exécution défectueuse du contrat sans avoir à en apporter la preuve.

Il en a été décidé ainsi au sujet d’une personne qui, souffrant d’une psychose maniaco-dépressive, avait été hospitalisée dans un établissement psychiatrique. Sur place, la malade avait fait plusieurs tentatives de suicide dont la dernière lui fut fatale. L’époux engagea alors une action contre la clinique en invoquant les fautes de l’établissement dans la surveillance de la patiente. Il réclama, sur le plan contractuel, la réparation des divers préjudices subis par son épouse. Quant à la réparation de son préjudice personnel ainsi que celui de sa fille, mineure, il emprunta la voie délictuelle. Saisie de la difficulté, la Cour de cassation a énoncé qu’en vertu du contrat d’hospitalisation et de soins le liant à son patient, l’établissement de santé privé est assurément tenu de tout mettre en œuvre pour assurer sa sécurité, les exigences afférentes à ce devoir étant fonction de l’état du malade29. Ainsi, en estimant que la clinique n’avait commis aucune faute de surveillance, alors qu’il avait été constaté que la patiente avait été laissée sans surveillance malgré la gravité de sa crise, et que seul l'appel d'une autre malade avait permis de lui venir en aide, les juges de fond n’ont pas, selon la Cour, tiré de conséquences légales de leurs constatations a-t-elle estimé. D’autre part, elle a considéré que le contrat d’hospitalisation et de soins lie la clinique à son patient en excluant toute autre personne. Par conséquent, l’action de l’époux « tendant à la réparation de son préjudice par ricochet et de celui de sa fille, avait nécessairement un caractère délictuel ». Mais le plus remarquable est l’affirmation de la Cour de cassation, selon laquelle « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer l’exécution défectueuse de celui-ci lorsqu’elle leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d’autre preuve ».

29 Cass. 1ère civ., 18 juill. 2000 : Bull. civ. I, no 221, p. 144 ; JCP 2000. II, 10415, rapport P. SARGOS

; RTD Civ. 2001, 146, obs. P. JOURDAIN ; Contrats, conc. consom. 2000, comm. 175, note L. LEVENEUR ; D. 2000, IR, 217.

Cette solution a été confirmée par la Cour régulatrice dans un arrêt rendu le 13

février 200130. En l’espèce, une personne hémophile avait été contaminée par le VIH

lors d’une transfusion sanguine réalisée avec des produits fournis par un centre de transfusion. En conséquence, elle avait été indemnisée de son préjudice spécifique de contamination par le Fonds d’indemnisation des transfusés et hémophiles. À la suite du décès de cette personne en raison de la contamination, sa fille demanda réparation pour le préjudice par ricochet, moral et économique, qu’elle avait subi. La Cour de cassation affirma qu’elle pouvait obtenir réparation de son préjudice du fait que « le centre de transfusion sanguine est tenu d’une obligation de sécurité de résultat en ce qui concerne les produits sanguins qu’il cède et que le manquement à cette obligation peut être invoqué aussi bien par la victime immédiate que par le tiers victime d’un dommage par ricochet ».

Ainsi, au sens de ces deux arrêts ci-dessus, lorsqu'un centre médical commet une faute contractuelle à l’égard de son patient, les parents de celui-ci peuvent invoquer cette même faute sur le plan délictuel afin d’obtenir la réparation de leur préjudice par ricochet. Certains auteurs trouvent dans ce courant jurisprudentiel une application de la théorie de l’opposabilité du contrat par les tiers31. La situation de fait ou de droit créée peut être invoquée par le tiers pour fonder une action en responsabilité délictuelle. Mais la souplesse que prévoit la Cour de cassation en énonçant que les victimes n’ont pas à rapporter d’autre preuve pour établir la faute délictuelle et que tout manquement constitue ipso facto une faute délictuelle vis-à-vis du tiers a été critiquée. Toutefois, si la solution a pu être considérée comme excessive dans sa généralité, elle se justifie néanmoins en l’espèce exceptionnellement du fait que la situation des victimes par ricochet est assez particulière 32. Autrement dit, la solution de la Cour de cassation dans ces deux espèces reste délicatement recevable

ayant été rendue dans des circonstances « propres à la responsabilité médicale »33.

30 Cass. 1ère civ., 13 févr. 2001 : Bull. civ. I, no 35, p. 21 ; D. 2001, somm. 2234, obs. Ph.

DELEBECQUE ; RTD Civ. 2001, 367, obs. P. JOURDAIN.

31

P. JOURDAIN, « La faute délictuelle identifiée à la faute contractuelle » : RTD Civ. 2001, 146 ; Ph. DELEBECQUE, « Toute faute contractuelle est-elle ipso facto une faute quasi-délictuelle à l'égard des tiers ? » : D. 2001, 2234.

32 P. JOURDAIN, op. cit. 33