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Les conflits entre les droits réels immobiliers d’une même catégorie

Chapitre second : La performance de la législation foncière quant à la sécurité des parties et des tiers

Section 1 : La résolution des conflits par l’opposabilité

A. Les conflits entre les droits réels immobiliers d’une même catégorie

191. Les conflits entre les droits réels immobiliers de la même catégorie sont

soit des conflits opposants des droits réels principaux (1), soit des conflits opposants des droits réels accessoires (2).

1. Les conflits des droits réels principaux

192. En schématisant, nous parvenons à une distinction entre différentes sortes

de conflits de droits réels principaux, certains opposant des ayants cause à titre particulier issus du même auteur (a), d'autres opposant des ayants cause particulier ou d’un auteur non commun (b).

a. Les conflits opposants des ayants cause à titre particulier issus du même auteur

193. L’hypothèse la plus fréquente est celle de deux personnes qui se prévalent

d’un droit de propriété sur le même immeuble1. En droit commun français, les

conflits entre les contrats de droits réels immobiliers sont réglés conformément au principe prior tempore potior jure. L’acquéreur ayant conclu en premier sera alors préféré au second. En revanche, en se plaçant sur le terrain de la publicité foncière, ces conflits ne peuvent pas être réglés selon la date la plus ancienne du titre d’acquisition. Le critère de sélection retenu pour désigner à quel acquéreur reviendra la priorité est uniquement celui de la date de la publication. La personne qui a dûment

publié son droit en premier l’emporte face à un droit publié ultérieurement2. Ainsi, si

un propriétaire vend son immeuble à un premier acquéreur puis le revend une deuxième fois à une autre personne, ce sont les dispositions de l’article 30 du décret du 4 janvier 1955 qui seront appliquées. Dans le cas où le premier acquéreur en date publie son droit avant le deuxième acquéreur, la deuxième aliénation ne peut être retenue. Par contre, dans le cas où le second acquéreur publie son droit le premier, la solution, contrairement au droit commun, lui sera favorable. Mais le droit de la publicité foncière n’a vocation à intervenir que lorsque le conflit de droits oppose des acquéreurs successifs du même auteur3. Dans le cas contraire, « il ne s’agit plus

seulement d’une question d’opposabilité, mais une question de fond »4.

194. Quant au droit libanais, les ventes successives de l’immeuble par le

propriétaire ne constituent pas un conflit de droit réel. La vente ne transférant pas la propriété de l’immeuble mais donnant simplement un droit à l’inscription au registre

1 A. WEILL, Le principe de la relativité des conventions en droit français, th. Strasbourg, 1938, n°

663.

2

S. PIEDELIÈVRE, Traité de droit civil, La publicité foncière, sous la direction de J. GHESTIN, L.G.D.J.. 2000, n° 416 et s. ; Ph. MALAURIE et L. AYNÈS, Droit civil, Les biens, La publicité

foncière, Cujas, 5ème éd., 2002, p. 386, n° 1218.

3 Cass. 3e civ., 10 juill. 1996 : Bull. civ. III, n° 181 – Cass. 3e civ., 13 déc. 2000 : D. 2001, jurisp,

foncier, les deux acquéreurs ne bénéficieront jusqu’ici que de droits personnels concurrents5. Seule l’inscription au registre foncier opère le transfert de la propriété immobilière. Dès lors, celui qui a inscrit régulièrement son droit en premier sera le véritable propriétaire.

Par conséquent, en droit français comme en droit libanais, en cas de double vente d’un immeuble, le bénéficiaire et le tiers acquéreur se voient en concurrence et la détermination de la priorité d'un droit sur un autre dépend de la date de la publicité. Dans les deux législations, la publicité foncière est donc d’incidence sur l’opposabilité des actes et des droits publiés.

b. Les conflits opposants des ayants cause à titre particulier d’un auteur non commun

195. Il se peut que les ayants cause à titre particulier aient acquis leurs droits

respectifs de deux auteurs distincts. En application de l’article 30 du décret du 4 janvier 1955, la publicité foncière n’est conçue que pour résoudre les conflits entre ayants cause d’un même auteur. Ainsi, le règlement du conflit des droits de ces ayants cause relève du droit commun.

Pourtant, il existe des cas où la solution de ce genre de conflit reste soumise aux règles de la publicité foncière, lesquelles détermineront qui, parmi les ayants- cause, est le véritable acquéreur.

La première de ces exceptions concerne, selon une partie de la doctrine6, les cas de conflits opposant des ayants cause à titre particulier tenant successivement leurs droits l’un du de cujus et l’autre de l’héritier. En considérant que les ayants cause à titre universels sont, par fiction juridique7, les continuateurs de la personne du défunt8, certains auteurs qualifient ce type litige de conflit entre ayants cause du

4

J. DUCLOS, L’opposabilité : Essai d’une théorie générale, L.G.D.J., 1984, p. 327, n° 300.

5

Cass. Civ. lib., 16 févr. 1953 : Rev. Jud. Lib. 1953, p. 181 – Cass. Civ. lib., 24 févr. 1954 : Rev. Jud.

Lib. 1954, p. 137 – Cass. Civ. lib., 23 oct. 1956 : Rev. Jud. Lib. 1956, p. 819 – Cass. Civ. lib., 21 mai

1998 : Recueil Sader 1998, p. 328 – Cass. Civ. lib., 21 mai 1999 : Recueil Sader 1999, p. 155.

6

J. DUCLOS, op. cit., p. 329, n° 301 ; A. FOURNIER, « Publicité foncière » : Rép. Civ., 2012, n° 484 ; H., L. et J. MAZEAUD, Leçons de droit civil, T. 3, vol. 1, Sûretés, publicité foncière, par F. CHABAS, Montchrestien, 5ème éd, 1977, p. 694, n° 730.

7 J. DUCLOS, op. cit., loc., cit. 8

même auteur9. C’est en ce sens que s’est prononcée la Cour de cassation, puisqu'elle a eu l'occasion d'affirmer que : « le conflit entre l’acquéreur d’un immeuble, qui tient ses droits d’un vendeur ultérieurement décédé, et un second acquéreur du même immeuble, tenant ses droits de l’héritier de ce vendeur, se règle par la propriété des transcriptions », en effet « les droits des deux acquéreurs remontaient à un même auteur originaire »10.

La seconde exception concerne le cas où les droits des ayants cause à titre particulier proviennent de deux auteurs distincts qui sont tous deux des ayants cause d’un auteur commun11. La solution consiste alors à donner la priorité à celui dont la publication du titre de son aliénateur est antérieure en date. Il s’agit à la fois d’une application de la règle de l’antériorité de la publicité et du principe « Nemo plus juris

ad alium transferre potest quam ipse habet »12. L’acquéreur dont le titre de son auteur

est publié en second ne pourra bénéficier de la transmission. Cependant, le risque de traiter avec un ayant cause non titulaire est atténué par l’application du principe de « l’effet relatif de la publicité foncière »13.

Dans toutes les autres hypothèses où l’acquisition des ayants cause à titre particulier n’émane pas du même auteur, les règles de la publicité foncière ne peuvent être utilisées pour dans la détermination du véritable propriétaire. Dans ce cas, ce seront les règles du droit commun de la preuve qui devront être suivies.

2. Les conflits des droits réels accessoires

196. Le rang de classement de la sûreté immobilière est en principe déterminé

par la date de son inscription. L’article 2425 du Code civil dispose en effet qu’ « entre les créanciers, l’hypothèque, soit légale, soit judiciaire, soit conventionnelle, n’a rang que du jour de l’inscription prise par le créancier à la

conservation des hypothèques, dans la forme et de la manière prescrites par la loi »14.

Ainsi, le créancier qui a inscrit sa sûreté l’emporte face à une sûreté non inscrite ou inscrite tardivement. La date du titre n’est prise en considération que lorsque

9 Ibid. 10

Cass. 1ère civ., 14 juin 1961 : JCP G 1962, II, 12472, note H. BULTÉ ; RTD Civ. 1962, 134, note H. SOLUS ; Gaz. Pal. 1961, 2, 266.

11 J. DUCLOS, op. cit., p. 328, n° 301. 12 Ibid.

13

plusieurs inscriptions ont été effectuées le même jour. Dans ce cas, le titre portant la date la plus ancienne sera préféré15.

C’est cette règle qui est appliquée lorsqu'il s'agit de trancher les conflits entre les créanciers ayant hypothèques sur le même immeuble. Par exception, les hypothèques privilégiées ne sont pas régies ainsi. En effet, les privilèges spéciaux immobiliers doivent être publiés pour être opposables aux tiers ; cependant la date de prise d'effet de leur publication n'est pas la même que celle des hypothèques simples. L’opposabilité des privilèges spéciaux immobiliers est antérieure à la date de leur inscription lorsqu’ils sont inscrits dans le délai légal à partir de la naissance de la

créance garantie16. Ils priment ainsi les hypothèques simples antérieurement

inscrites17. En revanche, leur inscription après l’expiration des délais les fait dégénerer en hypothèques ordinaires dont le rang dépend de la date d’inscription.

Également, l’inscription de l’hypothèque judiciaire conservatoire constitue une exception à la règle selon laquelle les hypothèques ne sont opposables que par leur publicité et à la date de celle-ci. Le créancier peut en effet solliciter du juge une inscription d’hypothèque provisoire afin d’éviter les risques d’insolvabilité de son débiteur. Une fois le titre exécutoire obtenu, l’hypothèque définitive rétroagit au jour de la formalité provisoire sous réserve qu’elle soit publiée dans un délai de deux mois à compter du jour où la décision de condamnation du débiteur est passée en force de chose jugée18. À défaut de publication ou en cas de publication tardive, le créancier ne peut invoquer l’opposabilité de la formalité provisoire.

14 Anc. art. 2134 du Code civil.

15 Art. 2425 al. 2, du Code civil (anc. art. 2134 al. 2). Au cas où les titres portent la même date, la la

solution est prévue à l’alinéa 4 de cet article selon lequel « si plusieurs inscriptions sont prises le même jour relativement au même immeuble, soit en vertu des titres prévus au deuxième alinéa mais portant la même date, soit au profit de requérants titulaires du privilège et des hypothèques visés par la troisième alinéa, les inscriptions viennent en concurrence quel que soit l’ordre du registre susvisé ».

16

Le délai est de quatre mois pour le privilège de séparation des patrimoines (C. civ. art. 2383, anc. article 2111) et de deux mois pour les autres privilèges (C. civ. art. 2379, 2380, 2381, et 2384, anc. art. 2108, 2108-1, 2109, et 2111-1).

17 C’est dans ce sens que l’article 2425 al. 3 (anc. art. 2134 al. 3) du Code civil dispose « toutefois,

les inscriptions de séparations de patrimoine prévues par l’article 2383, dans le cas visé au second alinéa de l’article 2386, ainsi que celles des hypothèques légales prévues à l’article 2400, 1°, 2° et 3°, sont réputées d’un rang antérieur à celui de toute inscription d’hypothèque judiciaire ou conventionnelle prise le même jour ».

18

De plus, une autre exception peut être distinguée : celle de l’hypothèque légale de la femme mariée inscrite avant le mariage, mais qui ne produit effet qu’à partir du jour de la célébration de celui-ci. En ce qui concerne l’hypothèque des époux en général, lorsqu’elle est inscrite en tant que sûreté de la créance de participation, cette inscription pourra être prise sous le régime de la participation aux acquêts. C'est ce

qui ressort de l’article 2402 du Code civil19, qui dispose que « avant la dissolution du

régime matrimonial, mais elle n’aura d’effet qu’à compter de cette dissolution et à condition que les immeubles sur lesquels elle porte existent à cette date dans le patrimoine de l’époux débiteur ».

197. Le règlement de ce type de conflits en droit libanais est soumis à la règle

selon laquelle les hypothèques n’existent et ne prennent rang qu’à partir de la date de leur inscription. Au Liban, contrairement à la législation française, l’inscription est

nécessaire pour la constitution de toutes les hypothèques20. À défaut, l’hypothèque ne

produit son effet ni entre les parties ni à l’égard des tiers. Selon l’article 127 du Code de la propriété foncière libanais, un même immeuble peut faire l’objet de plusieurs hypothèques ; elles prennent alors rang, qu’elles soient forcées ou conventionnelles, dans l’ordre de leur inscription au registre foncier. Également, aux termes de l’article 145 de ce Code, les créanciers ayant une hypothèque sur un immeuble, le suivent en quelques mains qu’il passe, pour être colloqués et payés suivant l’ordre de leurs inscriptions.

Ainsi, en cas de concours entre un créancier hypothécaire et un créancier antichrésiste sur le même immeuble, c’est le créancier qui a publié son droit en premier qui sera préféré à l’autre21.

Par ailleurs, alors que le droit français, comme précédemment exposé, prévoit que les hypothèques légales prennent rang au jour où la situation juridique donnant droit à l’hypothèque est née entre les parties, le législateur libanais, comme le souligne l’article 127 ci-dessus cité, ne fait pas de distinction entre l’hypothèque forcée et l’hypothèque conventionnelle quant à l’application de la règle essentielle. Le rang des hypothèques se détermine suivant l’ordre matériel des inscriptions, sauf

19 Anc. art. 2136.

20 Code la propriété foncière, art. 126. 21

lorsque les réquisitions qui s’y rapportent sont présentées simultanément. Dans ce dernier cas, les droits sont inscrits en concurrence.

198. Or, le créancier hypothécaire dont l’hypothèque est régulièrement inscrite

vient en premier par ordre d’hypothèque sur l’immeuble, à moins que les autres créanciers ne soient privilégiés. Ces derniers, lorsque leurs droits sont dispensés d’inscription, se contentent d’un droit de préférence et priment les créanciers hypothécaires. En effet, aux termes de l’article 117 du Code de la propriété foncière, « en matière immobilière, le privilège est un droit réel que la qualité de la créance donne au créancier d’être préféré aux autres créanciers, mêmes hypothécaires ». Toutefois, cette exception ne concerne que les trois privilèges spéciaux cités à l’article 118 du Code de la propriété foncière. Tout autre privilège reste soumis à l’obligation d’inscription au registre foncier et ne prend rang qu’à partir de la réalisation de cette formalité22.

199. En réalité, ces quelques exceptions, tant en droit français qu’en droit

libanais, ne renversent pas le principe de la publicité dite « d’ordre ». En dehors des hypothèses précitées, les titulaires de droits réels immobiliers accessoires ne peuvent se prévaloir de l’opposabilité en cas d’inaccomplissement de la formalité de publicité23.

B. Les conflits entre les droits réels immobiliers de deux catégories