• Aucun résultat trouvé

Chapitre premier : La protection des contractants contre les actes des tiers

Section 1 : Les atteintes aux droits contractuels

C. Les contrats d’édition

33. « Le contrat d'édition est le contrat par lequel l'auteur d'une œuvre de

l'esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l'œuvre, à charge pour elle d'en assurer la publication et la diffusion »56. Tout éditeur concurrent qui méconnaît ce contrat et évince l’éditeur bénéficiant sera condamné. En effet, la Cour de cassation a classiquement retenu la responsabilité de l’entreprise d’édition qui, en connaissance de cause, s’est engagée avec l’auteur d’un ouvrage au mépris de ses obligations envers une autre société et qui a également privé cette dernière de « son droit de préférence sur l’œuvre considérée » en continuant à publier l’ouvrage concerné malgré les « avertissements catégoriques » qu’elle a reçus57.

Mais la tierce complicité n’est pas la seule hypothèse où les actes du tiers font obstacle à l’exécution du contrat d’édition. Ainsi, le journal hebdomadaire " Voici ", édité par la société Prisma presse, en publiant des informations qui figurent dans un œuvre, avait causé un préjudice à l’éditeur bénéficiaire d’un droit exclusif. Condamnée par la Cour d’appel de Paris, cette société s’était pourvue en cassation. Cependant, la haute juridiction approuva la Cour d’appel en déclarant que celle-ci « a relevé que l'article litigieux n'était pas le résultat d'investigations personnelles, mais la reprise d'informations contenues dans l'ouvrage » et « que les juges du second degré ont pu dès lors, faisant application du principe d'opposabilité des conventions aux tiers, retenir la faute de la société Prisma presse à l'égard des titulaires du droit d’édition de l'ouvrage, pour avoir divulgué des informations puisées dans un ouvrage que les éditeurs s'apprêtaient à diffuser, privant ainsi cette publication d'une partie de son originalité et de son intérêt »58. Il convient de mentionner que, en l’espèce, la référence à la notion de l’opposabilité comme fondement de la responsabilité de

56 L’article L 132-1 du Code de la propriété intellectuelle. 57

l’entreprise éditrice concurrente était explicite. Une telle expression n’est pas nouvelle mais rarement employée par la Cour de cassation.

34. En droit libanais, de nombreuses dispositions sont prévues afin d’assurer

au mieux la protection du contrat d’édition contre l’intervention de tiers. L’auteur est normalement tenu de ne pas revendre l’œuvre à un second éditeur et sera le cas échéant condamné pour manquement à ses obligations contractuelles ainsi que le tiers complice. De même, une entreprise d’édition lésée dans ses droits par le propre fait d’un tiers peut saisir les juridictions compétentes afin de prendre les mesures d’interdiction nécessaires pour cesser l’atteinte et empêcher sa reproduction dans l’avenir59. Toute personne ayant porté atteinte aux droits de ces éditeurs est tenu de verser des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et matériel dû à son comportement60. De plus, l’atteinte ou la tentative de porter atteinte en connaissance de cause et dans un but lucratif aux droits d’auteurs ou droits voisins sont

condamnées pénalement61.

Bien plus, le législateur libanais prévoit à l’article 45 du Code de la loi du 3 avril 1999, une disposition particulière et intéressante, ne figurant pas en droit français, selon laquelle « les éditeurs des œuvres écrites imprimées ou manuscrites ont le droit d’autoriser ou d’interdire la reproduction reprographique ou l’exploitation

58

Cass. 1ère civ., 17 oct. 2000 : Bull. civ., I, n° 246, p. 161 ; D. 2001, 952, note M. BILLIAU et J. MOURY.

59 L. n° 75, 3 avril 1999 portant sur la propriété intellectuelle et artistique, art. 83: « En cas d’atteinte

au droit d’auteur ou aux droits connexes, les titulaires desdits droits peuvent saisir la juridiction compétente pour demander que soit rendue une ordonnance visant à mettre un terme à l’atteinte susmentionnée ou à prévenir toute nouvelle atteinte ».

60 Ibid. art. 84: « Quiconque porte atteinte au droit d’auteur ou aux droits connexes est tenu de verser

des dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel et moral subi par le titulaire des droits ; ces dommages-intérêts sont fixés par les tribunaux en fonction de la valeur commerciale de l’œuvre du préjudice et des pertes subis par le titulaire des droits et du bénéfice tiré par l’auteur de l’atteinte. Il appartient au tribunal de prononcer la saisie des éléments qui font l’objet des poursuites ainsi que des appareils et du matériel utilisés pour commettre l’infraction ».

61

Ibid. art. 86 : « Est passible d’une peine d’emprisonnement d’un mois à trois ans et d’une amende de cinq millions à cinquante millions de livres libanaises, ou l’une de ces deux peines seulement, quiconque porte atteinte ou tente de porter atteinte, en connaissance de cause et dans un but lucratif, à l’un des droits de l’auteur ou du titulaire des droits connexes visés par la présente loi ; en cas de récidive, la peine est doublée ».

commerciale desdites œuvres ». Ainsi, les sociétés d’édition sont capables de lutter, et indépendamment de leurs auteurs, contre tout acte illicite commis par le tiers62.

35. On vérifie ainsi que, tant en droit français qu’en droit libanais,

l’intervention d’un tiers dans le contrat d’autrui est prohibée sous peine d’engager sa responsabilité. Si des aménagements ont été apportés en matière de concurrence et notamment aux contrats de distribution, elles ne constituent cependant qu’un tempérament nécessaire pour préserver l’équilibre des intérêts en présence. Les principes essentiels du droit n’ont pas été bouleversés. Cette affirmation s’étend à toutes les atteintes que peut apporter un tiers aux contrats quel que soit leur domaine.

§2. Des atteintes en dehors du champ de la concurrence

36. À chaque fois qu’un tiers agit seul ou s’associe au débiteur dans la

violation d’une obligation contractuelle, il commet un fait générateur de responsabilité. Si la nature de certaines obligations peut influencer la solution apportée au conflit, ce n’est qu’occasionnel. La souplesse, dans ce cas, résulte de l’interprétation de la règle principale elle-même et de sa finalité. Nous exposerons deux exemples dont le premier reflète le principe (A) et le second met en évidence qu’il ne s’agit que d’une particularité ne pouvant pas menacer la règle normalement retenue en matière de solution des conflits (B).