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L’opposabilité aux tiers et la détermination du rang des droits inscrits

Chapitre premier : La réglementation de la publicité foncière

Section 1 : Le registre foncier en droit libanais

C. L’opposabilité aux tiers et la détermination du rang des droits inscrits

143. L’inscription au registre foncier n’a pas pour seule mission de créer le

droit et de le prouver mais également de le faire connaître aux tiers. En vertu de l’article 9 de l’arrêté n° 188 du 15 mars 1926 modifié par l’arrêté n° 45/L.R. du 20 avril 1932, les droits immobiliers dont la constitution est autorisée par la loi, les restrictions immobilières, les saisies et les actions immobilières doivent être inscrites au feuillet réel de l’immeuble, et n’existent à l’égard des tiers que par le fait, et du jour où leur inscription est faite au registre foncier. L’article ajoute dans son deuxième alinéa que doivent de même être obligatoirement mentionnées au feuillet réel de l’immeuble, pour qu’elles soient opposables aux tiers, toutes modifications de limites ou servitudes survenues après la construction ou la correction des routes, cours d’eau, canaux ou voies ferrées. Il en est de même du nouvel état des lieux

les concernent forment le point de départ exclusif des droits, acquièrent une force probante absolue, et ne peuvent faire l’objet d’aucune action, s’il s’est écoulé plus de deux années à compter de la date à laquelle l’ordonnance d’homologation, les décisions du juge unique immobilier, et, en cas d’appel, l’arrêt de la Cour rendu en conformité des dispositions de l’arrêté 186, sont devenues exécutoires, et si, pendant le même délai, aucune opposition ou action na été mentionnée au feuillet réel de l’immeuble, ou si ces oppositions ou actions ont été rejetées.

Les intéressés peuvent, mais seulement en cas de dol, exercer une action en dommages intérêts contre l’auteur du dol, le tout, sauf application, s’il y a lieu, des règles concernant la responsabilité de l’Etat et de ses fonctionnaires telle qu’elle résulte de la législation en vigueur ».

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résultant de la construction de nouveaux bâtiments, de la modification des bâtiments existants, ou de la modification des limites.

Ce texte vise les droits et les faits soumis à l’inscription au registre foncier à fin d’opposabilité aux tiers. L’inscription n’est donc pas seulement une modalité d’acquisition, mais constitue une condition essentielle pour que l’acquéreur puisse rendre son droit opposable aux tiers et étendre ses effets en dehors du cercle des parties. Les droits non inscrits seront sanctionnés dès lors par l’inopposabilité aux tiers. Toutefois, la loi prévoit quelques exceptions. La première concerne les servitudes légales ou naturelles67. La deuxième est due au droit de la faillite. Aux termes de l’article 510 du Code de commerce libanais, le jugement déclaratif de faillite produit de plein droit du jour même où il a été rendu le dessaisissement du failli de l’administration de ses biens aux syndics, même de ceux qu’il peut acquérir pendant la faillite. Il est interdit, surtout au failli, de vendre de ses biens, ni de procéder à aucun paiement ou recouvrement hormis le paiement des effets de commerce à condition qu’il soit fait de bonne foi. De plus, les aliénations à titre gratuit, le paiement des dettes non échues ou le paiement des dettes échues fait autrement qu’en espèces, lettres de change, billets à ordre ou virements, et en général tout autre paiement avec contrepartie, toute hypothèque conventionnelle ou judiciaire et toute sûreté en garantie d’une dette préexistante, faits par le failli depuis la date de la cessation de paiements, telle que fixée par le tribunal, ou pendant les vingt jours

qui ont précédé cette date, seront frappés de nullité à l’égard de la masse68. Il résulte

de ces articles ainsi que de l’article 668 du Code de commerce – lequel abroge toutes dispositions contraires au présent Code ou inconciliables avec sa teneur – que le défaut d’inscription du jugement déclaratif de la faillite ne remet pas en cause son

opposabilité69. Nonobstant les dispositions de l’article 9 précité, celui qui a contracté

avec le failli ne peut pas invoquer le manquement à l’obligation d’inscription. La troisième exception est celle résultant de la loi successorale du 23 juin 1959 applicable aux non-musulmans. Cette loi pose en effet le principe de réserve successorale, lequel interdit au de cujus de transmettre librement ses biens sans respecter les droits des héritiers. Néanmoins, alors même qu’elle n’est pas soumise à

67 Art. 58 du Code de la propriété foncière. 68 Art. 507 du Code de commerce libanais. 69

l’inscription au registre foncier, cette interdiction est opposable aux tiers. Ainsi, tout acte conclu par le de cujus dépassant la quotité disponible peut encourir une action par les réservataires.

144. Cependant, si l’article 9 précité soulève quelques difficultés vis-à-vis des

actes et des faits qu’il vise et l’effet de l’opposabilité qu’il consacre, il en présente également vis-à-vis des personnes concernées. En effet la question qui a donné lieu à controverse est celle de la désignation des « tiers ». Alors que le texte utilise les formules suivantes « n’existent à l’égard des tiers » et « pour être opposables au tiers », le législateur libanais ne donne pas de définition du terme « tiers » au regard de la législation foncière. Dans ce silence, il convient de déterminer les tiers par référence aux principes généraux du droit. Il s’agit ainsi de toute personne n’ayant pas participé à la formation du contrat. C’est à cette définition que renvoie,

contrairement au système en cours en France70, la Cour de cassation belge en

énonçant que « toutes les personnes qui n’ont pas été parties à l’acte non transcrit, sans distinguer si l’intérêt qu’elles ont à l’écarter procède d’un droit réel sur l’immeuble ou de toute autre cause légitime… ; si le législateur avait voulu ne faire profiter qu’à certaines classes de tiers les mesures de sécurité qu’il organisait, il aurait eu soin d’ajouter au mot tiers une désignation qui en restreignît et déterminât la portée » 71.

Ainsi, peuvent endosser la qualité de « tiers » et invoquer le défaut d’inscription, les créanciers chirographaires et les ayants cause à titre particulier. Cependant, la question s’est posée de savoir si la qualité de tiers et celle d’un ayant cause à titre universel sont susceptibles de se superposer. Autrement dit, les héritiers ou les légataires universels, en tant que créanciers, ont-ils la qualité pour invoquer l’inopposabilité des actes soumis à l’inscription et pourtant non inscrits ? Le doute provient de ce que les contrats conclus par le défunt continuent à produire leurs effets

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Au sens du décret du 4 janvier 1955 que nous exposerons à la section suivante consacrée à l’étude de la publicité foncière en France, celui qui n’a pas participé à la création du contrat peut ne pas revêtir automatiquement la qualité de tiers. Pour ce faire, certaines conditions doivent être réunies. Il faut, tout d’abord, être un ayant cause à titre particulier du même auteur. Ensuite, il faut que les droits portant sur le même immeuble soient concurrents. Enfin, il faut que le droit concurrent soit soumis à la même obligation de publicité.

71 B. TABBAH., op. cit., p. 420, n° 66. L’arrêt a été repris par H. A. HAMDAN, op. cit., p. 402, n°

en la personne des héritiers sans dépasser toutefois leur part de la succession72. Ceux- ci seront donc tenus de faire inscrire ou poursuivre l’opération de l’inscription des actes consentis par leur défunt. En l’occurrence, la qualité de tiers sera refusée aux héritiers. En revanche, peuvent être classés parmi les tiers, les héritiers qui ont acquis un droit propre, tel le cas où une donation a été faite par le défunt excédant la quotité disponible73.

145. Par ailleurs, l’inscription au registre foncier produit un autre effet est en

rapport direct avec celui de l’opposabilité aux tiers. Cet effet concerne tous les droits qui peuvent coexister sur un immeuble et constitue de même une conséquence nécessaire de la force constitutive des droits relative à l’inscription. Il s’agit de la détermination du rang d’un droit par rapport aux autres dont le même immeuble peut être grevé. Au moment où ils prennent naissance par l’inscription, les droits réels immobiliers prennent leur date et leur rang. Le droit inscrit en premier passe avant le droit inscrit immédiatement en second. En effet, l’article 63 de l’arrêté n° 188 du 15 mars 1926 dispose que le chef du bureau auxiliaire doit tenir un registre journal, où sont constatées par numéro d’ordre et à mesure qu’elles s’effectuent, les réquisitions de formalités et les remises des pièces qui lui sont faites. Il délivre au requérant une reconnaissance qui rappelle le numéro du registre journal sous lequel chaque réquisition est inscrite. Il accomplit les formalités dans l’ordre des réquisitions. L’ordre de préférence est déterminé par la date d’inscription dans ce registre journal.

La jurisprudence est définitivement fixée dans ce sens74.

L’ordre des inscriptions est l’ordre des réquisitions tel qu’il est assigné par le registre journal et reproduit au feuillet réel de l’immeuble. Quant à la date, elle

désigne le jour et l’heure75. À cet égard, l’article 65 alinéa 2° du même arrêté prévoit

que si des réquisitions concernant le même immeuble sont présentées en même temps, il en est fait mention au registre journal et les droits sont inscrits en concurrence. Toutefois, si les réquisitions présentées simultanément sont telle que l’exécution de

72 Conformément au régime de « la succession aux biens » prévu en droit musulman et retenu en droit

libanais ; le projet de loi portant sur l’adoption du régime de « la succession à la personne du défunt » avec un droit d’option n’ayant pas été accepté.

73 H. A. HAMDAN, op. cit., p. 403, n° 168.

74 CA, Beyrouth, 14 juill. 1989, n° 16 : Rev. Al-Adl 1989, p. 304 – Cass. Civ. lib., 26 févr. 1998, n°

l’une exclut l’exécution de l’autre, le Conservateur chef du bureau foncier doit en informer les requérants et leur ordonner un délai pour lever l’obstacle. Si l’obstacle n’est pas levé dans le délai imparti, toutes les réquisitions sont rejetées76.

Grâce à ces principes fondamentaux, la législation foncière libanaise actuelle réserve une place importante à la protection du commerce juridique. Afin de servir notre perspective comparatiste, il convient d’exposer le régime de la même publicité foncière telle qu’elle est pratiquée en France.

75 Art. 65 de l’arrêté n° 188 du 15 mars 1926. 76