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L’inspiration du régime foncier libanais

Chapitre premier : La réglementation de la publicité foncière

Section 1 : Le registre foncier en droit libanais

A. L’inspiration du régime foncier libanais

121. L’évolution du système foncier libanais est allée dans un sens contraire à

celle du système retenu en France (1). Dans son état définitif, issu d’une longue histoire, le registre foncier remplit exactement le rôle qui est le sien (2).

1. L’évolution historique du système foncier libanais

122. Autrefois, le Liban d’aujourd’hui faisait partie de la Syrie, laquelle a été

soumise à de multiples conquêtes. Aussi, le régime foncier dans cette région s’étale-t- il sur plusieurs périodes. Tout d’abord, à l’époque des conquêtes arabes, les habitants convertis à l’islam au moment de l’invasion pouvaient garder leurs terres. Quant aux terres conquises, un cinquième appartenait au Trésor de l’État et le reste était concédé

aux guerriers1. La législation foncière était purement religieuse et même appliquée par des tribunaux religieux. S’ajoutait à cela l’absence des registres fonciers ou tout autre moyen permettant la divulgation des informations et l’unification des moyens de preuve en matière immobilière et mobilière. En effet, « la preuve testimoniale est admissible quelle que soit la valeur de l’immeuble »2. Cependant, cette organisation ne concernait pas les populations juives ni chrétiennes. Celles-ci pouvaient jouir de leurs biens selon leur propre organisation contre une taxe3.

123. En 1516, la Syrie fut sous domination de l’Empire Ottoman, l’État se

substitua dans les droits des musulmans et l’administration des biens fut confiée au « Trésor ». En 1547-1548, Soliman « Le Législateur » ordonna l’inventaire et le recensement des terres de l’Empire sous la direction d’une commission composée des plus hauts magistrats et fonctionnaires de l’État4. Les titres qu’elle fournissait figuraient dans des registres portant le Cachet du « Sultan » et dotés d’une force probante irréfragable. Ensuite, vers 1839, l’autorité ottomane cessa d’accorder des terres aux militaires et annula même les droits acquis antérieurement. Elle conféra pouvoir aux percepteurs et régisseurs du Domaine de l’État pour délivrer et authentifier les titres de propriété ou de jouissance. De fait, tout au long de cette période, l’organisation et la distinction des terres opérées par les arabes furent respectées, à l’exception de quelques modifications intervenues à plusieurs reprises5. Mais, suite au changement de la forme militaire du gouvernement et l’adoption d’une

1 J. CHAOUI, Le régime foncier en Syrie, th. Aix-en-Provence, 1929, p. 16. 2

Ibid.

3 Suite à cette multiplicité, les terres étaient divisées entre terres « mamloukées » et terres « non

mamloukées », auxquelles s’ajoutent les biens « Wakfs ». Sans entrer en détails et en sous-catégories, les terres « Mamloukées » sont les terres sur lesquelles les particuliers ont un droit entier de propriété. Les terres non « Mamloukéés » sont les terres appartenant à l’État en pleine propriété ou en nue-propriété. Enfin, les biens « Wakfs » sont ceux dédiées à une œuvre pieuse ou charitable.

4 L. CARDON, Le régime de la propriété foncière en Syrie et au Liban, th. Paris, Recueil Sirey, 1932,

p. 89.

5

En effet, les terres « non mamloukées » sont devenues « mulks », c’est-à-dire des terres situées à l’intérieur du périmètre des agglomérations bâties et susceptibles de pleine propriété. De même, les terres « mamloukées » sont divisées en trois catégories. Il s’agit des terres « Amiriées » dont la nue- propriété appartient à l’État et la jouissance est concédée à des personnes privées. Ensuite, des terres « Métroukées Murfekés » faisant l’objet d’un droit d’usage en faveur d’une collectivité mais appartenant toujours à l’État, et des terres « Métroukées Méhmiehs » qui constituent le Domaine public de l’État et des municipalités. Enfin, des terres « Khaliya Mubaha » ou terres mortes, sont des terres « Amiriées » n’ayant été ni reconnues ni délimitées et sur lesquelles le premier occupant acquiert un droit de préférence sous l’autorisation de l’État.

organisation civile, un Code de terres fut promulgué en 1858, abrogeant toutes les législations et les coutumes en vigueur avant son entrée.

124. Ultérieurement, et précisément en 1864, le Protocole du Mont-Liban

signé par la France, l’Angleterre, l’Italie, la Prusse, l’Autriche, la Russie et l’Empire Ottoman institua « la Moutassarifiat du Mont-Liban ». Par la suite, les terres du Liban actuel furent soumises à deux régimes fonciers distincts. Un régime spécial au

territoire autonome du Mont-Liban, celui de la transcription6, et un régime propre aux

territoires dits « Vilayets », celui du Code des terres Ottoman, des « Defters- khanés »7 et du « Médjellé »8.

Cependant, jusqu’au début du siècle dernier, la réglementation foncière ottomane était d’ordre fiscal9. L’inscription aux services des « Defters khanés » était facultative. De plus, les titres ne désignaient les immeubles saisis que de manière lacunaire du fait de l’absence d’un cadastre10. C’est pourquoi six décrets ont été promulgués11, dont le décret du 11 Rabi-Awal 1331 de l’hégire, portant l’institution d’un nouveau cadastre technique et méthodique et ordonnant le recensement et la délimitation de toute la propriété immobilière. Malheureusement, la première guerre mondiale a empêché sa réalisation.

125. Après l’éclatement de l’Empire Ottoman, le Liban a été placé sous

mandat français. Le Général Henri GOURAUD, Haut-commissaire français, proclama le 1er septembre 1920 l’État du Grand Liban dans ses frontières actuelles, demeurant toutefois sous l’autorité française. Ce mandat n’ignora pas la nécessité d’un régime foncier complet permettant de rendre la propriété certaine et déterminée, de faciliter sa transmission et de développer le crédit immobilier. Or, afin d’arrêter son choix sur un système de publicité des droits réels immobiliers, les régimes fonciers appliqués en France et à l’étranger ont été pris en considération. Finalement, ce sont les

6

H. A. HAMDAN, Le système du registre foncier, El Halabi, Beyrouth, 2002, p. 42, n° 9.

7 Ce sont des services fonciers et fiscaux créés en 1858 et qui ont pour mission le recensement des

terres.

8

Le Code civil ottoman basé essentiellement sur le droit musulman et notamment le rite hanéfite.

9 J. CHAOUI, op. cit., p. 15 et s. ; L. CARDON, op. cit, p. 81.

10 F. PETER, Les entrepreneurs de Damas : Nation, impérialisme, et industrialisation, L’Harmattan,

2010, p. 78.

11

systèmes du registre foncier d’inspiration germanique et l’Act Torrens12 qui ont été adoptés.

En réalité, cette décision est liée, d’une part à des raisons propres au pouvoir français et, d’autre part, d’autres raisons liées à certaines autres qui sont tout particulièrement à la situation du Liban. En effet, les autorités françaises étaient influencées par la Commission extraparlementaire du Cadastre instituée en 1891 et chargée d’étudier les diverses questions que soulève le renouvellement des opérations cadastrales, notamment du point de vue de l’assiette de l’impôt, de la détermination juridique de la propriété immobilière et de son mode de transmission13. Les travaux de cette commission, lesquels se sont poursuivis de mai à mars 1905, se sont achevés par l’élaboration d’un projet dérivé du Livre foncier, cependant demeuré sans suite. De même, la Puissance Mandataire française s’est basée sur son expérience en

Tunisie et les autres colonies françaises14. À ce sujet, Monsieur DURAFFOURD15

emprunte les phrases d’un spécialiste, Monsieur VIOLETTE, selon lequel « le régime dit de l’immatriculation foncière a surtout pour but de permettre aux colons de soustraire leurs biens au statut musulman ou local qui ne cesse d’être en vigueur dans les pays où ce système a prévalu, pour les soumettre à une juridiction purement française. C’est un moyen de colonisation destiné à faciliter l’accession de nos

nationaux à la propriété »16. Monsieur DURAFFOURD ajoute que le système de l’Act

Torrens n’a été appliqué à l’époque « que dans les pays de colonisation en quête d’une législation foncière apte à rendre plus prompt le développement des intérêts des nations occupantes » 17.

D’autre part, le choix du système est dû à la volonté des autorités françaises de se prononcer en fonction de l’état de l’organisation foncière appliquée. Cette finalité

12

En ce sens voir par exemple : G. CHEDRAWY, Précis de droit foncier, Nouvelle institution du livre, Tripoli, 2005, p. 130 et s.

13 Art. 1 du décret du 30 mai 1891.

14 Le système de l’Act Torrens promulgué en Australie en 1858 avait été adopté dans de nombreuses

colonies françaises ou pays de protectorat comme la Tunisie en 1885, Madagascar en 1897, le Congo en 1899, la Côte d’Ivoire en 1900, la Guinée en 1901, et l’Afrique occidentale française en 1906.

15 Camille DURAFFOURD, officier dans l’armée française, membre du Comité National Français de

Géodésie et de Géophysique, Chef de la section d’études chargée des enquêtes préliminaires et de la mise en œuvre de réformes foncières dans les pays du Levant, fondateur et Chef du Cadastre à partir de 1926.

16 Cité par S. DEVIGNE, « L’Époque ottomane et le choix du système foncier de 1925 et 1926 », 4ème

Journée Géographiques de l’ISAE, Novembre 2004, Liban.

17

politique est, en effet, affirmée explicitement dans une des publications du Haut- Commissariat au paragraphe suivant :

« Désireuse de ne pas rompre brusquement avec le passé, la Puissance Mandataire laissa subsister dans son ensemble la législation ottomane en vigueur, législation que d’ailleurs avaient largement inspirée, notamment en matière commerciale, les Codes français, se réservant de la compléter ou la réformer selon les besoins nouveaux que ferait naître l’évolution du pays.

Dans l’œuvre législative ainsi accomplie depuis quinze ans par les Services du Haut-Commissariat, il paraît plus particulièrement intéressant de signaler les régimes nouveaux qui ont été institués en matière foncière, hydraulique, minière et forestière »18.

C’est pourquoi, après avoir remarqué les défauts qui entachent les « Defters-

khanés »19, Monsieur DURAFFOURD procéda à l’examen du décret-loi du 1913

élaboré par les Ottomans et ses possibilités d’application au Liban. Des expérimentations de cadastre à Tanail (plaine de Bekaa) en 1922 furent effectuées. En

même temps, Monsieur GENNARDI20, chargé de la même étude pour la Syrie, se

concentra sur l’étude des aspects juridiques de ce décret21. En somme, deux rapports ont écarté quelques principes dudit décret et en ont approuvé certains autres. À titre d’exemple, l’aspect à la fois fiscal et juridique du cadastre a été retenu. Cependant, l’évaluation des propriétés a été abandonnée et ce, afin de ne pas porter atteinte, selon Monsieur GENNARDI, aux propriétaires et notamment à leur confiance lors des

travaux de délimitation22. De même, la soumission du recensement et de délimitation

à une même commission n’a pas été retenue.

Ce progrès a été à l’origine des arrêtés numéros 186/LR et 187/LR du 15 mars 1926 prévoyant le recensement et la délimitation des biens-fonds et des immeubles,

18 « Quinze ans de mandat - L’œuvre française en Syrie et au Liban », Ouvrage publié par les services

du Haut-Commissariat, Beyrouth, imprim. Catholique, 1er mars 1936, p. 22.

19 S. DEVIGNE, op. cit : « Monsieur Duraffourd écrira « En effet, les enregistrements effectués par

ce service sont tellement incomplets, qu’il est impossible de mettre en application ces dernières avant d’avoir rétabli les bases d’un nouveau système appelé à remplacer celui existant, dont les imperfections sont reconnues depuis longtemps déjà, puisque le Gouvernement ottoman avait envisagé sa transformation complète en 1913. Nous avons donc repris l’étude de la loi du 5 février 1329… ».

20 Chef des Services fonciers et Délégué du Haut-Commissaire 21 S. DEVIGNE, op. cit.

22 Haut Commissariat de la République française en Syrie et au Liban, « Rapport Général sur les

de l’arrêté numéro 188/LR du 15 mars 1926 par lequel a été institué un registre foncier dont ses détails d’application sont organisés par l’arrêté numéro 189/LR de la même date, de l’arrêté numéro 2576 en date du 24 mai 1929 relatif à la délimitation facultative23, mais aussi de la promulgation d’un Code de propriété foncière par l’arrêté numéro 3339/LR du 12 novembre 1930.

À raison de ses performances et de la sécurité qu’elle assure, cette législation est toujours applicable. De légères modifications sont intervenues ultérieurement, comme la loi n°76/99 du 3 avril 1999 au sujet des prénotations24. Ainsi, le rôle du registre foncier mérite d’être présenté.

2. Le rôle du registre foncier

126. Le droit libanais des contrats consacre fondamentalement le principe du

consensualisme, notamment à l’article 171 du Code des obligations et des contrats et à l’article 176 du même Code, selon lequel « tout contrat et, d’une façon générale, toute convention a pour âme et pour armature le consentement des parties ». En revanche, en matière immobilière, la loi prévoit une particularité. En effet, les droits immobiliers sont soumis à la formalité de l’inscription.

Certes, l’introduction d’un registre foncier s’est faite afin de répondre à un besoin de sécurité juridique. Afin de remplir ce rôle, le registre foncier exerce deux fonctions. D’une part, il assure l’information des tiers. Le registre foncier est à la disposition du public. Toute personne pourra obtenir des renseignements après

paiement de droits réglementaires de recherches et de copie25. La simple consultation

permet à l’intéressé d’établir la situation de l’immeuble. Le propriétaire ainsi que les droits immobiliers grevant l’immeuble sont facilement identifiés. Ainsi, l’acquéreur n’a pas à se soucier d’une aliénation clandestine opérée au mépris de son contrat. D’autre part, le registre foncier assure la protection des droits réels immobiliers par le biais de l’inscription mais aussi la résolution des conflits immobiliers. Par exemple, en cas de vente d’un immeuble par un même auteur à deux acquéreurs successifs, la

23 Cependant, cet arrêté fait l’objet de critiques quant à la force probante : Voir H. A. HAMDAN, op. cit., p. 246 et s., n° 108.

24 Certaines lois beaucoup plus modificatrices ont été promulguées concernant le droit de la propriété.

En ce sens, voir par exemple : A. FAYAD, « La propriété foncière », 4ème Journée Géographiques de l’ISAE, Novembre 2004, Liban.

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règle de la priorité de l’inscription permet à l’acquéreur qui a procédé en premier à l’inscription au registre foncier d’être reconnu comme propriétaire.

Toutefois, à la différence du système de la publicité foncière, l’inscription est conçue comme condition des droits et non pas seulement comme un moyen d’information et d’opposabilité aux tiers. En effet, le registre foncier s’immisce dans le rapport juridique entre les parties elles-mêmes autant que vis-à-vis des tiers. Un contrat ne réalise pas, en lui-même, la constitution, le transfert ou la mutation des droits réels portant sur l’immeuble. Celui-ci n’engendre inter partes qu’une obligation de transfert et une créance de l’enregistrement. L’acquisition et la pleine valeur du transfert sont normalement subordonnées à l’accomplissement de deux actes : le titre d’acquisition et l’inscription au registre. Ainsi, l’inscription produit en premier lieu et avant tout un effet constitutif.

Heureusement, cette organisation a permis tout au long de son application de préserver l’exercice des droits immobiliers et d’assurer parfaitement le but pour lequel a été créé le registre foncier26. Elle garantit une documentation sur les biens immobiliers complète, oblige les personnes à publier leurs titres, réduit les sources de conflits et résout ceux pouvant se produire. Ainsi, il convient de préciser les actes pour lesquels la formalité d’inscription est requise.