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La jurisprudence française actuelle adopte une politique favorable à la

Chapitre second : La protection des tiers contre l’inexécution contractuelle

Section 2 : Le principe de la responsabilité du contractant fautif

C. Des propositions conciliatrices

96. La jurisprudence française actuelle adopte une politique favorable à la

thèse assimilatrice de toute faute contractuelle à une faute délictuelle à l’égard du tiers étranger au contrat. Le débiteur se voit responsable sans faute caractérisée à l’égard de celui-ci. Il suffit au tiers de soulever l’inexécution contractuelle du contractant pour se prévaloir d’une faute délictuelle. Selon la première chambre civile de la Cour de cassation « les tiers à un contrat sont fondés à invoquer tout manquement du débiteur contractuel lorsque ce manquement leur a causé un dommage, sans avoir à rapporter d’autre preuve »53. À l’opposé de ce courant qui a été approuvé par l’Assemblée plénière, il résulte d’un autre courant jurisprudentiel que le « tiers ne peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, se prévaloir de l’inexécution du contrat qu’à la condition que cette inexécution constitue un

manquement à son égard au devoir général de ne pas nuire à autrui »54.

Dans son avis, Monsieur GARIAZZO remarque que le seul point commun entre ces deux courants jurisprudentiels contradictoires qui peut être décelé réside dans le fait que le principe de l’effet relatif des contrats n’empêche pas les tiers de se prévaloir de la situation de fait créée par le contrat dès lors que cette situation leur est préjudiciable et de nature à fonder une action en responsabilité délictuelle55. Par conséquent, eu égard aux excès de la thèse assimilatrice et à la rigidité de la thèse relativiste de la faute contractuelle, une solution intermédiaire s’avère nécessaire. Cette solution doit protéger à la fois l’intérêt du contractant et l’intérêt des tiers victimes. Elle doit respecter le principe de l’effet relatif et le concept de l’opposabilité du contrat permettant à chacun de conserver son propre champ.

L’avocat général GARIAZZO distingue deux situations. Premièrement, dans les hypothèses où le contrat intègre des obligations accessoires qui dépassent la sphère

53 Cass. 1ère civ., 18 juill. 2000 : Bull. civ. I, no 221, p. 144 ; JCP 2000. II, no 10415, Rapport P.

SARGOS ; RTD Civ. 2001, p. 146, obs. P. JOURDAIN ; Contrats, conc. consom. 2000, comm. 175, note L. LEVENEUR ; D. 2000, IR, 217 – Cass. 1ère civ., 13 févr. 2001 : Bull. civ., I, n° 35 ; D. 2001, somm. 2234, obs. P. DELEBECQUE ; JCP 2002, II, 10099, note C. LISANTI-KALCZYNSKI ; RTD

Civ. 2001, 367, obs. P. JOURDAIN. 54

Cass. Com. 5 avr. 2005 : Bull. Civ., IV, n° 81 ; D. 2005, pan. 2836, obs. S. AMRANI-MEKKI et B. FAUVARQUE-COSSON ; RTD Civ. 2005, 605, obs. P. JOURDAIN.

55 Avis Du Premier avocat général à la Cour de la cassation Monsieur GARIAZZO, préalable à l’arrêt

de l’Assemblée plénière du 6 octobre 2006 : Bulletin d’information de la Cour de cassation, 2006, n° 651, p. 53.

contractuelle des seuls cocontractants56, le tiers victime du manquement contractuel sera dispensé de rapporter une autre preuve du fait que celle-ci revêt les caractéristiques de la faute délictuelle. Deuxièmement, dans les hypothèses où les manquements à un engagement contractuel se limitent aux parties au contrat57, le tiers ne pourra pas s’en prévaloir. Dans cette situation, la preuve de la violation du devoir de ne pas nuire à autrui doit être rapportée. On revient ainsi à la thèse précitée de Madame BACACHE-GIBEILI pour laquelle l’origine du dommage du tiers consiste soit en un manquement à une obligation contractuelle, soit en un manquement à un devoir général58.

Toutefois, Monsieur GARIAZZO conclut que le fait de s’arrêter sur l’effet relatif du contrat ou son opposabilité aux tiers, ou sur l’assimilation ou non de la faute contractuelle à une faute délictuelle, ne permettra pas de résoudre les difficultés. Au contraire, il est préférable d’aborder le sujet d’un point de vue différent.

Le tiers qui prétend être victime d’une inexécution contractuelle pourra agir par une action en responsabilité délictuelle. Pour ce faire, il est tenu de prouver que son action est conforme aux exigences visées par l’article 1382 du code civil. Par conséquent, le tiers n’est pas contraint par l’obligation de prouver une faute envisagée indépendamment de tout point de vue contractuel, il suffit que son dommage soit précisément la conséquence d'une inexécution contractuelle59. Ainsi, l’auteur condamne les deux courants jurisprudentiels contradictoires et suggère de rédiger « un attendu de principe » qui prend en considération la faute délictuelle et le lien de causalité tel le suivant : « un tiers à un contrat peut, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, invoquer son exécution défectueuse dès lors qu’il démontre qu’elle est constitutive, à son égard, d’une faute en lien de causalité avec le dommage qu’il a subi (ou : … d’une faute, cause de son préjudice personnel) »60. En définitive, il appartient au tiers, afin d’engager la responsabilité du débiteur, de démontrer l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre cette faute d’une part et son préjudice d’autre part.

56 Par exemple : les obligations de sécurité, d’information et de conseil. 57

Telle l’obligation de non-concurrence.

58

M. BACACHE-GIBEILI, La relativité des conventions et les groupes de contrats, préface Y. LEQUETTE, L.G.D.J., 1996, p. 96, n° 104.

59 Au contraire : P. JOURDAIN, « De la relativité de la faute contractuelle » : RTD Civ. 1992, 567, et

« La faute délictuelle encore déduite de manquements contractuels » : RTD Civ. 1993, 362 ; G. VINEY, Traité de droit civil, Introduction à la responsabilité, sous la direction de J. GHESTIN, L.G.D.J., 3ème éd., 2008, p. 597, n° 213.

60 Cass. Ass. plén. 6 oct. 2006 : Bull civ. Ass. plén., n° 9, p. 23 ; JCP 2006, II, 10181, avis

Quant à la notion de faute, l’avocat général recommande que celle-ci ne soit pas employée dans une formule réductrice : « En la matière, la seule formule qui vaille est de rappeler que le tiers, qui agit sur le terrain délictuel, doit prouver la faute à l’origine de son dommage : toute faute, tout « fait fautif" »61. Ainsi, il semble qu’en réalité le seul véritable problème soit celui de la causalité.