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Chapitre premier : La protection des contractants contre les actes des tiers

Section 1 : Les atteintes aux droits contractuels

A. Les contrats de travail

15. Un salarié présente parfois un certain intérêt pour un employeur concurrent

du précédent. En le recrutant, le tiers employeur pourra engager sa responsabilité s’il ne tient pas compte des différents engagements de ce salarié envers son ancien employeur. Il faut distinguer deux hypothèses à cet égard : le cas du salarié lié par un contrat de travail (1) et celui du salarié lié par une clause de non-concurrence (2).

1. Cas du salarié lié par un contrat de travail

16. Tout salarié est tenu d’exécuter ses obligations contractuelles. Mais, il se

peut qu’il méconnaisse ses devoirs avec l’aide d’un tiers qui profite souvent de cette violation. Aussi, la sanction du non-respect du contrat concerne-t-elle non seulement le salarié mais aussi tout éventuel complice.

En effet, la question de la responsabilité du tiers employeur qui est complètement étranger au premier contrat a été posée depuis longtemps. Suite à une

évolution jurisprudentielle au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle1, il a été admis à la fin de ce siècle que la responsabilité du tiers complice dans la violation d’un contrat de travail puisse être engagée. Il incombait donc à toute personne de s’abstenir de tout acte qui aide ou incite le salarié à violer ses obligations envers son propre employeur. Cette solution retenue d’une manière constante par la jurisprudence, a été adoptée ensuite par le législateur dans la loi du 1er février 19322. Cette consécration figure à ce jour à l’article L. 1237-3 du Code du travail3 :

« Lorsqu’un salarié ayant rompu abusivement un contrat de travail conclut un nouveau contrat, le nouvel employeur est solidairement responsable du dommage causé à l’employeur précédent dans les cas suivants :

1° S’il est démontré que le nouvel employeur est intervenu dans la rupture ; 2° Si le nouvel employeur a engagé un salarié qu’il savait déjà lié par un contrat de travail ;

3° Si le nouvel employeur a continué d’employer le salarié après avoir appris que ce dernier était encore lié à un autre employeur par un contrat de travail. Dans ce cas, sa responsabilité n’est pas engagée si, au moment où il a été averti, le contrat de travail abusivement rompu par le salarié était venu à expiration, soit s'il s'agit de contrats à durée déterminée par l'arrivée du terme, soit s'il s'agit de contrats à durée indéterminée par l'expiration du préavis ou si un délai de quinze jours s'était écoulé depuis la rupture du contrat ».

17. Certes, tout salarié cherche à être embauché dans des conditions de travail

intéressantes et meilleures. La liberté de travail lui garantit la faculté de quitter son employeur pour rejoindre un autre. Quant à l’employeur, le débauchage de son salarié et notamment celui qui est compétent et en relation avec la clientèle, peut constituer une vraie menace pour le fonctionnement de son entreprise et un affaiblissement de sa situation si le nouvel employeur est son concurrent. Ainsi, le droit positif est appelé pour concilier ces intérêts antagonistes et préserver, à la fois, les droits des deux

1 P. HUGUENEY, Responsabilité civile du tiers complice de la violation d’une obligation contractuelle, th. Dijon, 1910, p. 122 et s.

2 I. MARCHESSEAUX, « L’opposabilité du contrat aux tiers », in M. FONTAINE et J. GHESTIN, Les effets du contrat à l’égard des tiers, Comparaisons franco-belges, L.G.D.J., 1992, p. 87, n° 24,

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parties. Pour cette raison, l’article précité s’applique uniquement lorsque le salarié a rompu abusivement son contrat de travail. Il n’y a pas lieu de prononcer une sanction lorsque le salarié a démissionné régulièrement pour entrer au service du nouvel employeur4, le débauchage ne constituant pas en lui-même, et en l’absence d’autres facteurs, une pratique illicite.

18. Parallèlement, en droit libanais, le législateur consacre explicitement le

principe de la responsabilité du tiers employeur. Aux termes de l’article 50 du Code de travail, si, après avoir résilié le contrat sans observer les prescriptions prévues, le salarié s'engage chez un nouvel employeur informé de cette situation, cet employeur sera solidairement et conjointement tenu de tous dommages et intérêts fixés par jugement au profit du premier employeur.

2. Cas du salarié lié par une clause de non-concurrence

19. La règle est la liberté. Toutefois, cette liberté peut être restreinte par la force de la loi dans certaines conditions. En effet, le législateur permet sous certaines conditions à l’employeur d’insérer dans le contrat de son salarié une clause qui lui interdit d’exercer un travail pour une durée ou dans un lieu déterminés. Le salarié qui ne respecte pas cette clause de non-concurrence insérée légitimement dans son contrat commet un acte préjudiciable à l’employeur. Par conséquent, ils engageront, lui et le

tiers qui l'a aidé à commettre ce manquement, leur responsabilité au regard de

l’ancien employeur victime. La Cour de cassation énonce dans un arrêt de principe que « commettait une faute de nature à engager sa responsabilité, le commerçant qui, connaissant l’interdiction conventionnelle qui lie un individu vis-à-vis de son ancien associé, son concurrent, associe néanmoins cet individu à son commerce, aidant ainsi celui-ci à violer les engagements qu’il a pris »5. De plus, la jurisprudence considère que le nouvel employeur complice de la violation d’une clause de non-concurrence, « commet une faute engageant sa responsabilité quasi-délictuelle pour concurrence déloyale et il n’est pas nécessaire qu’il ait joué un rôle d’incitation pour qu’il soit condamné à des dommages-intérêts envers la victime, dès lors qu’il a connu

4 Cass. Soc. 27 fév. 1996 : RJS 1996, 242, n° 406. 5

l’existence de l’engagement et surtout qu’il a bénéficié de sa violation »6. Cette sanction est appliquée par la jurisprudence « même si la validité de la clause était litigieuse »7.

20. La situation en droit libanais est semblable à celle du droit français. Le

salarié défaillant engage sa responsabilité contractuelle envers son ancien employeur. Le tiers employeur qui a contribué au manquement contractuel malgré sa connaissance de l’existence de la clause de non-concurrence sera quant à lui délictuellement responsable envers la partie lésée8.

21. La condition essentielle requise afin d’engager la responsabilité de

l’employeur complice est sa connaissance de l’existence de la clause de non- concurrence. Mais les réponses jurisprudentielles à la question de la preuve de cette connaissance reflètent une divergence. Le salarié est tenu d’informer le nouvel

employeur au sujet d’une telle clause9. Cependant, dans le cas où celui-ci ne respecte

pas ce devoir, le tiers employeur ne peut prétendre systématiquement ignorer l’existence de la clause de non-concurrence insérée dans le contrat conclu entre le salarié qu’il a recruté et son précédent employeur. Un courant jurisprudentiel met à sa charge le devoir de s’informer sur la situation du salarié et l’étendue de sa liberté10. Ainsi, la Cour d’appel de Paris a confirmé qu’ « en leur qualité de professionnelles avisées, les sociétés en cause étaient tenues de s’assurer personnellement et de manière effective que les deux intéressés étaient libres de tout engagement et qu’aucune clause de non-concurrence ne les liait à leur ancien employeur »11. Au contraire, la chambre commerciale de la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 18

décembre 200112 est venue libérer le nouvel employeur en jugeant que « la preuve de

la connaissance de la clause de non-concurrence incombe à celui qui se prévaut de

6 CA Paris 19 nov. 1985 : D. 1986, somm. 343, obs. Y. SERRA. 7

Cass. Soc. 10 mai 1983 : Bull. civ., V, n° 25.

8

M.-H. MANSOUR, Le droit du travail, El Halabi, 2010, p. 352.

9 Cass. Soc. 23 mars 1977 : Bull. civ., V, n° 227.

10 Cass. Com., 7 févr. 1995 : JCP G 1995, II, 22411, note Ph. LE TOURNEAU ; D. 1997, somm. 105,

obs. Y. PICOD – CA Paris, 10 janv. 2001 : D. aff. 2001, somm. 1311, obs. Y. SERRA – CA Versailles, 29 juin 2000 : D. 2001, somm. 1235, obs. Y. PICOD.

11 CA Paris, 25 oct. 2000 : D. aff. 2001, somm. 1311, obs. Y. SERRA.

12 Cass. Com. 18 déc. 2001 : D. 2002, somm. 644, obs. E. CHEVRIER ; D. 2003, 1029, obs. Y.

l'existence d'une telle clause ». La seule exception prévue à cet égard réside dans « l'existence éventuelle d'usages professionnels consistant à introduire dans tel ou tel secteur d'activité des interdictions ou des restrictions de concurrence ».

En définitive, dès lors que le nouvel employeur apprend l’existence de la clause de non-concurrence qui lie le salarié à son ancien employeur, il est immédiatement tenu de le licencier ou de s’abstenir de l’embaucher si le contrat n’a pas été encore conclu sous peine d’engager sa responsabilité.