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Chapitre premier : La réglementation de la publicité foncière

Section 1 : Le registre foncier en droit libanais

B. La force probante

140. Le principe de la constitution des droits aboutit naturellement au principe

de la force probante ou de la foi publique. Selon ce dernier, les énonciations du registre foncier sont présumées exactes et la présomption prend un caractère absolu au profit des tiers. Il est en effet exprimé à l’article 13 alinéa 1er de l’arrêté n° 188 de

15 mars 192655, lequel dispose que « quiconque acquiert un droit sur un immeuble en

se fondant sur les inscriptions et mentions du registre foncier est maintenu dans son acquisition ; les causes d’éviction résultant des actions introduites en conformité des

52 Cass. Civ. lib., 25 févr. 1938 : Rev. Jud. Lib. 1938, 478, Gazette des trib. libano-syriens 1938, 136.

– CA Mont-liban, 8 févr. 1955 : Rev. Jud. Lib. 1955, 161.

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Trib. Beyrouth (mixte), 29 juill. 1931 : Rép. Juris. Lib., sous propriété immobilière, n° 97, cité par B. TABBAH, op. cit., p. 405, n° 646.

54 Cass. Civ. lib., 16 févr. 1953 : Rev. Jud. Lib. 1953, 181 – Cass. Civ. lib., 24 févr. 1954 : Rev. Jud. Lib. 1954, 137 – Cass. Civ. lib., 23 oct. 1956 : Rev. Jud. Lib. 1956, 819 – Cass. Civ. lib., 21 mai

dispositions des articles 31 de l’arrêté n° 186 du 15 mars 1926 et 17 du présent arrêté ne lui sont pas opposables, et les jugements y relatifs ne peuvent prononcer la résolution du droit acquis et régulièrement inscrit »56. La conséquence logique du caractère constitutif de l’inscription est l’existence et la légitimité des droits inscrits. Le registre foncier est réputé exact et complet vis-à-vis des tiers. Autrement dit, pour celui qui entend acquérir un droit sur un immeuble, tout ce qui est inscrit est exact et ce qui n’est pas inscrit n’existe pas. S’il contracte, il est censé acquérir un droit, du véritable propriétaire, dont la validité ne peut être contestée57.

141. Cependant, l’inscription n’a pas de force probante sans que sa légitimité

ait été soumise, au préalable, à un contrôle. Afin d’éviter les fraudes et de favoriser les usurpateurs, le droit libanais, comme l’ensemble des droits ayant adopté le système de livre foncier, confie au Conservateur le soin de vérifier la légalité des actes et de surveiller à ce que les énonciations du livre foncier soient totalement exactes. Ainsi, son examen porte sur l’identité des parties, la capacité du disposant, la régularité en la forme et le fond des pièces produites à l’appui de la réquisition d’inscription, le défaut d’opposition entre le droit à inscrire et les énonciations du titre foncier. De plus, afin d’assurer le bon déroulement de ce contrôle et garantir que les actes soient par la suite basés sur une cause juridique légale ou contractuelle, l’article 95 de l’arrêté n° 188 de 15 mars 1926 prévoit la responsabilité civile et personnelle du Conservateur en cas de préjudice résultant de son erreur ou de son omission.

142. Par ailleurs, le droit d’invoquer les inscriptions du registre est

évidemment conditionné. Seuls les tiers de bonne foi peuvent jouir de ce droit. En effet, si la sécurité des transactions immobilières et du crédit hypothécaire exige que l’autorité des inscriptions du registre foncier soit consacrée, cette autorité ne doit pas, cependant, couvrir des opérations frauduleuses. C’est pourquoi, l’article 13 de l’arrêté

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Modifié par l’arrêté n° 45/L. R. du 20 avril 1932.

56 Ce texte est fortement inspiré de l’article 973 du Code civil suisse selon lequel « celui qui acquiert

la propriété ou d’autres droits réels en se fondant de bonne foi sur une inscription du registre foncier est maintenu dans son acquisition ».

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n° 188 de 15 mars 1926 suit dans son alinéa 2° que « toutefois, l’autorité des inscriptions ne peut être invoquée par les tiers qui ont connu avant l’acquisition les vices ou les causes de résolution ou d’éviction. Dans tous les cas, la partie lésée conserve le droit d’exercer une action personnelle en dommages-intérêts contre l’auteur du préjudice ». Aussi, l’article 14 du même arrêté prévoit que « l’inscription est réputée faite indûment si elle a été faite sans droit. Celui dont les droits sont lésés par l’inscription peut invoquer contre les tiers de mauvaise foi l’irrégularité de l’inscription »58. En outre, selon l’article 15 de l’arrêté n° 188 du 15 mars 1926 modifié par l’arrêté n° 45/L.R. du 20 avril 1932, celui dont les droits ont été lésés par une inscription, modification ou radiation effectuées sans cause légitime, peut en obtenir l’annulation ou la modification. L’annulation ou la modification doit être ordonnée judiciairement, à l’exception du cas où les parties y consentent.

De la lecture de ces articles, il ressort que le législateur n’a pas laissé la qualification de la mauvaise foi du tiers sans encadrement. En effet, d’une part, la date à laquelle la connaissance par les tiers doit être prise en considération a été clairement fixée. La mauvaise foi du tiers ne sera déduite que lorsque la connaissance a lieu au moment de l’acquisition. Toute connaissance ultérieure ne saurait nuire au droit du tiers59. D’autre part, les hypothèses selon lesquelles le tiers sera considéré de mauvaise foi ont été déterminées. Tout d’abord, le principe de la force probante ne s’applique pas aux tiers qui ont traité avec un prétendu propriétaire en toute connaissance des vices et des causes d’éviction.

En ce qui concerne les vices, ils désignent tous les vices de consentement visés à l’article 202 du Code des obligations et des contrats tels l’erreur, le dol ou la

violence, et l’incapacité du disposant60. Il en est ainsi pour cette dernière alors même

qu’elle est soumise à l’inscription61. Vu que tout ce qui n’est pas inscrit n’existe pas

58 Cet article a aussi pour source d’inspiration l’article 974 du Code civil suisse qui dispose que

« lorsqu’un droit réel a été inscrit indûment, l’inscription ne peut être invoquée par les tiers qui en ont connu ou dû connaître les vices ».

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CA. Beyrouth, 7 avr. 1953 : Rev. Jud. Lib. 1953, p. 319 – Cass. Civ. lib., 26 janv. 1960 : Rev. Jud.

Lib. 1960, p. 93, cités par H. A. HAMDAN, op. cit, p. 415, n° 180.

60 À la différence du droit français, l’incapacité du disposant est regardée en droit libanais, et

notamment à l’article 202 du Code des obligations et des contrats, comme un véritable vice de consentement.

61 B. TABBAH, op. cit., p. 445, n° 677 ; G. CHEDRAWY, op. cit., p. 142 ; H. A. HAMDAN, op. cit.,

p. 314, n° 131 ; F. NAMMOUR, R. CABRILLAC, S. CABRILLAC et H. LECUYER, Droit des

obligations, Droit français – Droit libanais, Perspectives européennes et internationales, préf. P.

vis-à-vis des tiers suivant l’esprit de l’article 9 de l’arrêté n° 188 du 15 mars 192662, le manquement à l’obligation d’inscription de l’incapacité ne doit pas en principe compromettre l’acquisition. Par contre, l’article 13 précité en dispose autrement. Or, ce n’est pas parce que ces deux dispositions sont contradictoires qu’elles ne sont pas pour autant conciliables. De fait, les deux textes peuvent être combinés au moyen de la limitation du champ d’application de l’article 9 et, par la suite, l’acte lésionnaire consenti par un incapable sera opposable aux tiers si l’incapacité était connue par eux63.

Quant aux causes d’éviction, dont la connaissance par les tiers les prive du bénéfice de l’effet de la force probante, ce sont les mêmes qui donnent lieu à des actions intentées par les intéressés en vue de faire valoir leurs droits dans le délai de deux ans, conformément à l’article 31 de l’arrêté n° 186 du 15 mars 192664 et à l’article 17 de l’arrêté n° 188 du 15 mars 192665.

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L’article dispose : « Les droits réels immobiliers dont la constitution est autorisée par la loi, les restrictions immobilières, les saisies ainsi que les actions immobilières, relatifs à un bien-fonds ou immeuble immatriculé, doivent être obligatoirement inscrits au feuillet consacré à chaque bien-fonds ou immeuble dans le livre de propriété.de l’immeuble. Ils n’existent à l’égard des tiers que par le fait et du jour où leur inscription est faite au registre foncier ».

63 B. TABBAH, op. cit., p. 445, n° 677. Selon l’auteur : « L’incapacité comporte des droits résultant

paradoxalement des entraves mises par la loi à l’activité de l’incapable : celui-ci a notamment droit de faire annuler tout acte lésionnaire par lui accompli. Or, s’il n’a pas conservé ce droit au moyen de l’inscription, comment prétendra-t-il le faire réduire à néant à l’égard des tiers ?

Nous pensons qu’il faut ici essayer, comme nous l’avons fait pour tous les autres droits non inscrits dont auraient eu la connaissance les tiers, de combiner les deux dispositions de l’article 9 et de l’article 13, en limitant par la seconde la première : les tiers à l’égard desquels sera considéré comme « inexistant » le droit de l’incapable à l’annulation de l’acte lui portant préjudice, seront, disons-nous, les tiers de bonne foi seuls, autrement dit ceux qui ne savaient pas, en acquérant, que l’auteur de leur auteur était incapable. Mais ceux qui, nonobstant le défaut d’inscription de l’incapacité, n’ignoraient pas que leur auteur a traité avec un incapable, ceux-là se verront opposer cette incapacité, qui rejaillira sur leur propre acquisition. L’article 9 ne sera, dès lors, pas lettre morte, par rapport à l’effet du défaut d’inscription de l’incapacité : son champ d’application sera seulement réduit.

Et nous pensons que c’est heureux. C’est heureux, indépendamment des considérations plus générales, […], tous les cas d’incapacité ne sont pas susceptibles d’inscription. Il est vrai qu’en ce qui concerne l’aliéné non interdit, il y aurait non seulement incapacité, mais absence totale de consentement. Mais il y a aussi l’incapable étranger, dont le représentant ne serait pas astreint à rendre publique l’incapacité ».

64 Aux termes duquel : « après la clôture des opérations de recensement et de délimitation, le droit

d’introduire toute action par devant les tribunaux ordinaires reste ouvert aux opposants et prétendants droit, dont l’opposition ou la prétention n’ont pas fait l’objet d’une décision passée en force de chose jugée, ou, en cas d’appel, d’un arrêt en dernier ressort de la Cour d’Appel, rendus conformément aux dispositions du présent arrêté. Ce droit doit être exercé à peine de forclusion dans un délai de deux ans qui suivent la date à laquelle l’ordonnance d’homologation, les décisions du juge unique immobilier, et, en cas d’appel, l’arrêt de la Cour rendu en conformité des dispositions du présent arrêté sont devenues exécutoires ».

65 L’article prévoit que « les droits réels inscrits au registre foncier, en vertu des énonciations des

Ensuite, sont privés de cet avantage les tiers qui savaient que l’inscription a été faite irrégulièrement ou sans cause légitime d’inscription. L’exemple type est celui de la personne qui contracte, tout en sachant que son vendeur n’est pas le véritable propriétaire mais qu’il a profité de la ressemblance de son nom avec celui d’une autre. Tel est le cas aussi du tiers qui a acquis son droit de la part d’un mandataire alors que le mandat est expiré66.

À ce principe de la force probante des énonciations du registre foncier ou de la foi publique, il convient d’ajouter le principe de l’opposabilité aux tiers et celui de la détermination du rang des droits inscrits.

C. L’opposabilité aux tiers et la détermination du rang des droits