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Chapitre premier : La réglementation de la publicité foncière

Section 1 : Le registre foncier en droit libanais

A. La constitution des droits

136. L’inscription est un fait créateur de droit. La volonté des parties n’y suffit

pas. Cette règle de fond est consacrée par un ensemble de textes. Suivant l’article 204 du Code de la propriété foncière, les droits réels s’acquièrent et se transmettent par l’inscription au registre foncier. La seule exception figure dans son deuxième alinéa, qui dispose que :

« la propriété et le tessarouf (usage) s’acquièrent en outre par l’accession conformément aux dispositions du second chapitre du présent titre.

Quiconque acquiert un immeuble par succession, expropriation ou jugement est propriétaire avant l’inscription, mais l’acquisition n’a d’effet qu’après l’inscription ».

Également, selon l’article 11 alinéa premier de l’arrêté n° 188 du 15 mars 1926, « les actes volontaires et les conventions ayant pour effet de constituer, transmettre, déclarer, modifier ou éteindre un droit réel ne produisent effet, même entre parties, qu’à dater de cette inscription sans préjudice des droits et actions réciproques des parties de l’inexécution de leurs conventions ».

C’est aussi le cas du Code des obligations et des contrats qui dans son article 393 mentionne que « la vente des immeubles ou des droits réels immobiliers ne produit effet, même entre parties, qu’à compter de son inscription au registre foncier ». De même l’article 510 de ce Code prévoit que « la donation d’immeubles ou de droits réels immobiliers n’est parfaite que par une inscription au registre foncier ».

Il résulte de ces dispositions que l’inscription est la condition essentielle de l’existence des droits réels, aussi bien à l’égard des tiers qu’entre les parties au contrat. Le titulaire d’un droit n’est effectivement propriétaire que par le fait de l’inscription. Avant cet instant, les droits réels ne sont pas nés, transmis ou constitués.

137. Cette conception ne fait pas l’unanimité pour de multiples raisons. Il est

engendrer la constitution ou le transfert d’un droit réel immobilier43. Du fait que la propriété est un droit réel naturel et non pas une création, le consentement permet forcément à un propriétaire d’aliéner son bien sans avoir à faire appel à une mesure extrinsèque à l’acte. Quant aux tiers, des précautions restent nécessaires pour les protéger. Par ailleurs, certaines législations, comme celle de la Tunisie, de l’Afrique occidentale et de Madagascar rejettent le principe de l’effet constitutif alors qu’ils adoptent le système de registre foncier. Pour elles, cet effet provient de l’acte qui opère lui-même le transfert du droit réel immobilier entre les parties. Quant à l’inscription au registre foncier, elle est exigée pour l’opposabilité de ce droit à l’égard des tiers44. Ces systèmes s’appuient fortement dans leur raisonnement sur l’idée de la foi publique qui n’est envisagée qu’à l’égard des tiers45. Ces derniers, « qui se seront appuyés sur les énonciations du registre foncier, pour se transmettre le droit auquel elles se rapportent, ce sont eux seuls qui peuvent invoquer la force probante de ces énonciations. Entre parties, autre chose existe qui les lie et qu’aucune d’elles ne saurait répudier. Puisque la constitution du droit se mesure à la foi publique, c’est donc à l’égard des tiers qu’elle devrait seulement être considérée

comme s’étant produite au moyen de l’inscription »46.

138. Pourtant, la règle de constitution du droit par l’inscription a été adoptée

par la législation foncière libanaise. En effet, en premier lieu, la distinction entre le transfert entre les parties et le transfert à l’égard des tiers n’est pas appropriée. La propriété est un droit naturel. Cette affirmation n’est pas du tout contestée. Cependant, il convient de remarquer que l’authenticité de la propriété au même titre que sa constatation est de droit social47. Par conséquent, le législateur est en droit d’intervenir et de gouverner la liberté contractuelle suivant l’intérêt général. De plus, comment expliquer dans le cas contraire, qu’un droit réel existe et à la fois n’existe

43

H. A. HAMDAN, op. cit., p. 375 n° 157.

44 Ibid.

45 Pour plus de développement sur ce point v. B. TABBAH, op. cit., p. 397, n° 643. 46

Ibid.

47 Ministère des Finances. Commission extraparlementaire du Cadastre. Sous-commission juridique. Rapport général sur l’institution des livres fonciers et leur fonctionnement en ce qui concerne les droits réels immobiliers autres que les privilèges et les hypothèques, par M. Ch. MASSIGLI.

pas, comme le soulignait MASSIGLI dans son rapport général48. L’auteur ajoutait : « mais ce qui est plus grave, c’est que cette conception permet de ne pas observer la règle de publicité et de faire, cependant, des actes de propriétaires, des actes de disposition qui font entrer dans le courant des échanges des droits de propriété mal affermis et qui n’ont qu’une existence incertaine ».

En second lieu, au sujet du rapport entre la foi publique et la constitution des droits, l’argument ne semble pas être pertinent. Les termes de M. TABBAH valent d’être relatés à ce propos : « s’il est vrai que la foi publique, à laquelle devrait se mesurer l’effet constitutif du droit, n’est envisagée qu’à l’égard des tiers, c’est parce que ces derniers sont généralement de bonne foi, alors que les parties sont au courant de l’exacte situation de l’immeuble. Cela est si vrai qu’en cas de mauvaise de foi, les tiers eux-mêmes ne sauraient, pas plus que les parties, invoquer la force probante des inscriptions » 49.

139. Une remarque s’impose à ce stade à propos de la convention elle-même.

Le principe de la constitution des droits ne veut pas dire que celle-ci n’a aucune espèce de vertu. L’acte non inscrit conserve sa valeur juridique, en ce qu’il engendre un droit personnel. Faute d’inscription au registre foncier, l’acquéreur peut exiger la réalisation du transfert du droit réel50. En effet, des textes divers ont édicté ce droit. Le premier de ces textes est l’article 228 du Code de la propriété foncière qui vise l’effet des contrats parmi les modes d’acquisition du droit à l’inscription au registre

foncier51. C’est aussi le cas de l’article 267 du même Code qui dispose que : « le droit

à l’inscription des droits réels immobiliers s’acquiert par l’effet des contrats ». Il s’agit ensuite de l’article 268 selon lequel « l’obligation de donner emporte celle de

48 Ibid., fasc. 9. 49

B. TABBAH, op. cit., p. 398, n° 644.

50 En ce qui concerne le cas où des arrhes ont été versées ou en cas de stipulation d’une clause

pénale : voir H. A. HAMDAN, op. cit, p. 388 et s., n° 160 et s. ; M. CHAMSEDDINE, Le système du

registre foncier au Liban et en Syrie, El Rajaa, Tripoli, 1987, p. 138 et s. 51

Art. 228 du Code de la propriété foncière : « Le droit à l’inscription au registre foncier s’acquiert : 1. par les successions

2. par les donations entre vifs et testamentaires 3. par l’occupation

4. par la préemption 5. par la prescription 6. par l’effet des contrats.

En ce qui concerne la donation et le legs, le droit à l’inscription s’acquiert par le fait même de la donation ou de la tradition ».

transférer l’immeuble dans le registre foncier et de le conserver jusqu’au transfert, à

peine des dommages-intérêts ».

Quant à la jurisprudence, elle estime dans un premier temps que l’acte non inscrit ne confère pas un droit à l’inscription. Face au manquement de son

cocontractant, la partie lésée ne peut obtenir que des dommages et intérêts52. C’est en

ce sens qu’un jugement du Tribunal de Beyrouth décide que « le transfert de la propriété ne pouvant s’opérer que par inscription au registre foncier, les droits d’un acquéreur constatés par deux actes notariés ne peuvent se résoudre en une obligation à la charge du vendeur de faire enregistrer la vente, mais simplement en une action en

restitution du prix ou une action en dommages-intérêts »53. Dans un second temps, un

revirement jurisprudentiel a été opéré, octroyant au cocontractant le droit de

demander l’inscription par accord ou par voie de justice54. Cette politique est en effet

plus conforme aux textes législatifs précités.

Ainsi, dans le système constitutif, le titulaire d’un droit n’est généralement propriétaire qu’après l’inscription au registre foncier. Mais la constitution des droits n’est pas le seul effet du système foncier libanais. Il se rattache à celui-ci un second effet primordial, celui de la force probante des énonciations du registre foncier.