• Aucun résultat trouvé

La subjectivation, production historique des sujets

Chapitre premier – Un sujet historicisé

A. La subjectivation, production historique des sujets

Notre raisonnement, on l’aura compris, repose sur un ensemble d’hypothèses simples, qui peuvent être résumées et développées en ces termes : les sujets, comme les environnements qu’ils habitent, prennent forme à l’issue et au cours de processus historiques de construction, d’élaboration ou de fabrique, que la pensée peut s’appliquer à mettre au jour, en s’appuyant sur des concepts qu’elle bâtit à cette occasion, ou qu’elle s’approprie et actualise. L’entreprise intellectuelle de Foucault, notamment en ce qu’elle est une opération d’historicisation, dont l’objet est de mettre en lumière les contingences de ce qui se voudrait l’expression de naturalités1, travaille à repérer les modes de fonctionnement de tels processus, leurs moments d’émergence, les équilibres qu’ils mettent en place, les points de dissymétrie qui s’y creusent – opération critique qui lui permet de fortement politiser les problématiques liées aux subjectivités2. La question de la production historique des sujets est, on le sait, une question qui intéresse Foucault au plus haut point, voire celle qui englobe toutes les autres – ou donne sa

1 Précisons, toutefois, que, si les dispositifs du néolibéralisme ne sont pas le produit d’une apparition spontanée, fruit naturel de mécanismes historiques inarrêtables, cela ne signifie pas que les promoteurs du néolibéralisme, pour imposer leur vue, renoncent à user d’une rhétorique naturaliste. En effet, si les dispositifs du néolibéralisme agissent et s’affirment peu à peu en travaillant à l’élaboration d’un « réel » spécifique, influençant la mise en place de processus sociaux tout en façonnant les subjectivités d’individus pris en charge par un ensemble de techniques normatives (que nous allons à présent tâcher de décrire), les premiers théoriciens du néolibéralisme ne renoncent pas pour autant, bien au contraire, à l’argumentation naturaliste, pour justifier et légitimer leur projet, comme l’a très bien montré B. Stiegler, analysant les textes de l’un des fondateurs du néolibéralisme, Walter Lippmann, et rappelant les « liens originels [du néolibéralisme] avec le darwinisme », B. Stiegler, « Il faut s’adapter », op. cit., p. 7. En effet, l’idée générale de Lippmann est que les sujets qui sont ses contemporains ne sont pas adaptés, psychiquement, cognitivement ou affectivement, à leur environnement, tel qu’il apparait au début du XXème. Pour lui, dès lors, il est urgent de remédier à cette situation, en définissant et en mettant en place certains mécanismes de subjectivation, se rattachant au domaine de la santé et de l’éducation. La question naturaliste, et notamment biologique, est donc, pour Lippmann en tout en cas, fondamentale.

Pour une discussion plus large autour du concept de nature, et une mise au jour des limites d’une position antinaturaliste intégrale, lire S. Haber, Critique de l’antinaturalisme. Études sur Foucault, Butler, Habermas, Paris, PUF, 2006.

2 D’où l’importance décisive de Foucault pour certains penseurs se réclamant du féminisme, et l’influence de ses travaux sur le développement rapide de problématiques nouvelles, au cours des décennies qui ont directement suivi sa disparition, qu’il s’agisse des Gender Studies, Post Colonial ou Cultural Studies. Le questionnement et le combat politiques se construisent en effet, pour ces courants de pensée, autour des problèmes d’identité et de subjectivités. Le fait d’être sujet y est perçu comme une question éminemment politique, et l’identité comme le premier foyer de résistance aux différents types de pouvoirs. Pour une étude de la façon dont certains intellectuels et universitaires américains se sont emparés, afin d’engager leurs propres questionnements, de la pensée de Foucault, de Deleuze, de Derrida, Lyotard ou Baudrillard, on pourra lire notamment F. Cusset, French Theory, Paris, La Découverte, 2003.

87

cohérence, selon lui, sinon à l’ensemble de son parcours philosophique, tout au moins à une grande partie de celui-ci1. Le problème de la fabrique des sujets peut être envisagé selon trois types de questionnement :

- un questionnement relatif à l’établissement de savoirs, de représentations et de théories spécifiques concernant l’homme, qui contribuent à cette fabrique, et dont le travail d’archéologie doit rendre compte ;

- un questionnement qui concerne les techniques de gouvernement et les modes d’assujettissement qu’elles imposent, et que la généalogie doit repérer ;

- une analyse des rapports que les individus entretiennent avec eux-mêmes, qui leur permettent de se constituer en sujets, de se transformer sur un mode indéfini, et qu’on peut identifier grâce à l’étude des pratiques ou techniques de soi.

Lorsqu’on parle de subjectivation, de processus de subjectivation, ou d’un devenir-sujet, c’est bien ce problème, s’ouvrant à ces trois types d’analyse, qu’il s’agit de considérer.

Les subjectivités2 sont donc à la fois l’objet de dominations et le point d’appui privilégié pour les techniques de pouvoir, en même temps que l’instrument d’une résistance subjective possible, à travers l’expression de singularités et la mise en place de pratiques concrètes de liberté. C’est en cela, par ces productions sans cesse réarticulées d’équilibres et de déséquilibres

1 Voir M. Foucault, « Le sujet et le pouvoir », art. cit., pp. 1041-1042 : « Je voudrais dire d’abord quel a été le but de mon travail ces vingt dernières années. Il n’a pas été d’analyser les phénomènes de pouvoir ni de jeter les bases d’une telle analyse. J’ai cherché plutôt à produire une histoire des différents modes de subjectivation de l’être humain dans notre culture. »

2 Tâchons de préciser l’usage que nous ferons du terme, bien large, de « subjectivité ». D’abord, il inscrit pleinement notre réflexion dans la problématique qui, finalement, est celle qui nous intéresse : savoir qui nous sommes, comment nous pensons et agissons. Et, pour cela, comprendre comment nous devenons ce que nous sommes, et par quelles opérations ou mécanismes nous le devenons. Ce terme, on l’utilisera généralement pour désigner ce qui, dans le sujet ou dans ce qui se rapporte au sujet, est directement travaillé par les normes. Ce qui y est mobile, changeant, multiple. Les subjectivités s’identifient donc à la fois comme la matière à laquelle s’attachent les normes et par lesquelles elles se produisent, et comme des points de fixation qui permettent au sujet lui-même de se reconnaitre, de se réfléchir, de se comprendre, et de se donner une forme. La subjectivité est, en ce sens, l’autre (ou un autre) du sujet, ce qui, en lui, lui échappe, mais sur lequel, en même temps, il cherche à agir, afin de s’apparaitre à lui-même. Elle est également, pour le sujet qui se fabrique, une identité à laquelle adhérer, un modèle vers lequel tendre, ou plutôt la promesse modélisée de ce qu’il pourrait ou devrait choisir afin de se doter de la forme à laquelle il aspire. Les subjectivités appartiennent aux processus de subjectivation, mais ce sont bien les sujets qui en sont l’aboutissement, jamais tout à fait réalisés.

Par ailleurs, dans leurs rapports aux subjectivités, les normes se déploient tout autant comme mécanismes d’assujettissement ou comme pratiques de soi. À l’issue de l’opération que constitue l’accrochage des unes aux autres, les subjectivités s’exposent comme « soi » ou « moi », et confèrent au sujet lui-même sa consistance et son identité. La question des subjectivités, des subjectivations et des sujets, nous intéressera avant tout parce qu’elle permet d’articuler les domaines de la politique et de la psychologie – ce qui peut apparaitre contradictoire avec la pensée de Foucault, soucieuse de distinguer les deux domaines.

Enfin, répétons que nous parlerons souvent d’offres de subjectivités, offres que le sujet affronte, ou auxquelles il se confronte constamment, cet affrontement ou cette confrontation ayant lieu sous la forme de pratiques de soi, dans le cadre processuel et dynamique de la subjectivation.

88

au sein même des subjectivités – et donc des sujets qui se produisent à partir de celles-ci – réarticulations qui sont évidemment traversées par des enjeux de pouvoir et des jeux de vérité, qu’on peut dire que la question du sujet, chez Foucault, est une question différentialiste1.

Pour Foucault, la subjectivité et l’identité, qui se déclinent en rapports à soi et en rapports aux autres, sont des problèmes à la fois éthiques et politiques. La remise en cause de la conception solipsiste du sujet, qui est celle de ces pensées que Foucault nomme « les philosophies du sujet », consiste d’ailleurs en une entreprise politique de déstabilisation conceptuelle, qui engage bien au-delà du concept lui-même. Dans la mesure où le constructivisme historique de Foucault l’amène à redoubler l’analytique du pouvoir d’une histoire des modes de subjectivation, la question de la fabrique des sujets s’impose donc comme centrale dans les problématiques politiques. On le répète, historiciser les sujets que nous sommes, ou sommes habitués à reconnaitre comme tels, impose de rendre compte de leur apparition, et de l’ensemble des modalités ou mécanismes qui leur confèrent une forme singulière, dont le caractère non-universel et non-nécessaire se révèle, en même temps que la fonction stratégique qu’elle remplit2.

1 Rappelons ce que dit du sujet foucaldien l’article « sujet » du Vocabulaire européen des philosophies, op. cit., à savoir que celui-ci (le sujet foucaldien) est conçu comme un ensemble de dispositifs d’assujettissement et de subjectivation, qui agissent de manière objective sur la subjectivité des individus, c’est-à-dire qui présupposent la liberté des individus, leur capacité d’action et de résistance, afin de les retourner contre lui. La question du sujet est donc bien ici celle d’une différentielle de puissance. Rappelons également ce qu’explique Foucault au sujet de la gouvernementalité néolibérale, telle qu’il la voit en train de se constituer, notamment dans les textes de ceux qui, comme G. Becker, fondent ce qu’il appelle « l’anarcho-capitalisme américain » : « On a au contraire, à l’horizon de cela, l’image ou l’idée ou le thème-programme d’une société dans laquelle il y aurait optimisation des systèmes de différence, dans laquelle le champ serait laissé libre aux processus oscillatoires », M. Foucault,

Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 265.

2 On renverra ici à J. Revel, « Foucault, marxiste hérétique ? Histoire, subjectivation et liberté », in C. Laval, L. Paltrinieri, F. Taylan, Marx & Foucault, Lectures, usages, confrontations, Paris, La Découverte, 2015. J. Revel y rappelle que Surveiller et punir offre un très bon exemple de ce constructivisme historique, à travers l’analyse de l’élaboration de ce que Foucault nomme les « corps dociles », et qui sont ceux de cet individu qui prend forme, dès la fin du XVIIIème siècle et au cours du XIXème, à la fois comme objet des techniques de gouvernement disciplinaires et comme sujet productif. Si ce sujet est gouvernable, c’est en tant qu’il est individualisé, c’est-à-dire, ici, à la fois fixé, dé-singularisé, spécifique et remplaçable, et source de prestations productives. Un « individu », celui que Foucault analyse dans Surveiller et punir, est donc institué en un geste double : il est distingué des autres à travers son inscription dans un rang fonctionnel, et posé en équivalent de tous les autres, en tant que le rang s’inscrit dans une série. Ce processus de mise en tableau du sujet travailleur individualisé se repère également dans la fabrique du citoyen, telle que le Rousseau du Contrat Social la comprend. On y distingue en effet, en plusieurs points, la forme double qui fonde le processus de l’individualisation analysée par Foucault : le citoyen du Contrat Social se construit selon un principe d’individuation et en même temps d’égalité, de séparation et en même temps de massification. Et J. Revel d’en conclure : « En somme : l’invention de la démocratie, comme l’invention de la production en série dans la structure d’usine, construit ses propres sujets avec soin. » La référence à Rousseau permet ici de souligner un point selon nous décisif : à la question des processus économiques et politiques qui participent de la fabrique des sujets, évoquée par J. Revel, on peut ajouter celle, sous-jacente, d’une forme de constructivisme incluse dans toute normativité éducative, qu’elle soit scolaire, familiale ou pédagogique, et qui exprime justement la manière dont se croisent les problématiques économiques, politiques, et la question des subjectivités. Rousseau symbolise ainsi parfaitement ce croisement, puisque l’Émile est bien, entre autres choses, le récit de l’élaboration de ce sujet-citoyen dont la démocratie aurait besoin, et sur lequel elle devrait pouvoir s’appuyer pour fonctionner et se perpétuer.

89

Puisque l’intérêt du philosophe pour les processus de subjectivation croise en permanence ses analyses des techniques de gouvernement, ses réflexions sur le néolibéralisme, dans son cours de 1978-1979, s’inscrivent donc dans le cadre de ce questionnement double1. Les offres de subjectivités des dispositifs du néolibéralisme sont construites, elles ne sont pas des composantes naturelles, on l’aura compris (et quand bien même elles seraient légitimées par une argumentation naturaliste). Mieux : les sujets y sont produits, en même temps qu’ils produisent – de la richesse, des biens, des discours, des pensées, des échanges, de la coopération, etc. – et se produisent. Et les sujets historiquement identifiés à la rationalité gouvernementale néolibérale, sujets économiques puisqu’économisés, transformés en capital humain2, entrepreneurialisés d’abord, au moins durant les second et troisième quarts du XXème siècle, puis reconfigurés en capital financier et en sujets se projetant dans une quête constante de crédit, de valeurs, d’investissement, à partir des années 1980 (à la faveur de processus qu’il nous faudra identifier), se distinguent des sujets qui les précèdent directement dans la chronologie, ceux de la rationalité libérale. Les opérations par lesquelles les sujets des dispositifs du néolibéralisme se modèlent sont donc déterminées socialement et historiquement, et codées par une rationalité spécifique, qui étend le modèle du marché à tous les domaines, toutes les activités, et toutes les subjectivités.

Deux ouvrages, en particulier, nous permettront de suivre et de commenter la pensée de Foucault, telle qu’elle se donne à voir dans ses cours de 1978-1979, et d’aborder les sources intellectuelles et théoriques, variées et en partie contradictoires, des dispositifs du néolibéralisme naissant, et les conséquences matérielles que les représentations qui y sont développées ont eu sur les sujets que nous sommes, et que nous nous devons d’être – dont on attend que nous les soyons : un texte de P. Dardot et C. Laval, d’une part, et un autre de W. Brown, de l’autre, le second venant compléter et poursuivre l’analyse du premier, mais les

Dans la troisième partie de ce travail, nous chercherons, dans le même ordre d’idée, à montrer que les normes éducatives contemporaines ont également pour objectif la fabrique d’un sujet spécifique, adapté aux processus économiques et aux techniques de gouvernement du néolibéralisme – et pas seulement façonné par ceux-ci.

1 S. Audier affirme pour sa part que les commentaires de Foucault, dans Naissance de la biopolitique, seraient en partie, voire essentiellement, liés au contexte des discussions politiques, sinon politiciennes, qui sont celles de son élaboration, remarque qui ne semble évidemment pas dénuée de fondement, mais qui réduit sans doute trop leur portée, et leur utilité aujourd’hui. Il en déduit que les réflexions de Foucault sur le néolibéralisme, imprégnées des concepts deleuziens de différence et de multiplicité, et orientées principalement vers les questions d’individualisation, permettraient au philosophe de mettre en lumière la faillite, voire l’impossibilité, d’une gouvernementalité socialiste autonome. Voir S. Audier, Penser le « néolibéralisme », op. cit., p. 259. De l’influence du contexte politique des années 1970 sur la pensée de Foucault dans le cours de 1978-1979, nous préférons retenir la formule de W. Brown : « Tout lecteur des cours de Foucault de l’année 1978-1979 ne peut qu’être frappé par son extraordinaire prescience des contours et de l’importance d’une formation qui n’était encore qu’émergente, mais qui allait dominer l’avenir de l’Europe », W. Brown, Défaire le Dèmos, op. cit., p. 53.

90

deux prenant comme appui principal, et comme tremplin pour leur propre pensée, le cours de Foucault de 1978-19791.

Ce qui nous intéressera en premier lieu, à la fois dans le cours de Foucault, et dans les textes de P. Dardot et C. Laval, et de W. Brown, c’est la manière dont Foucault, et ses commentateurs ensuite, produisent une analyse conjointe des processus de subjectivation et d’une rationalité gouvernementale2. Cette dernière s’affirme, théoriquement d’abord, au moment où s’intensifient des débats intellectuels qui se proposent comme tâche de rénover, de refonder ou de dépasser, un libéralisme en crise, durant l’entre-deux guerres. Ces débats se développent par la suite, règlent ou accentuent leurs contradictions initiales, et se matérialisent en pratiques concrètes de la gouvernementalité néolibérale, jusqu’à prendre la forme de véritables dispositifs, au cours des années 1970. Du domaine des idées et de la théorie, on passe en quelques décennies à l’application de politiques caractéristiques3. Foucault repère généalogiquement l’émergence initiale de pensées, de concepts, et d’une forme inédite de rationalité, puis leurs modifications, leurs réarticulations en politiques et en pratiques sociales, le durcissement de certains de leurs traits ou l’atténuation de certains autres – métamorphoses décisives dont sont témoins et que commentent, selon des modalités et à des moments différents, P. Dardot et C. Laval, et W. Brown4.

1 P. Dardot et C. Laval, La Nouvelle Raison du monde, op. cit., et W. Brown, Défaire le Dèmos, op. cit. Schématiquement, nous utiliserons le premier ouvrage plutôt dans la partie de notre développement consacré aux sources intellectuelles du néolibéralisme, et couvrant la période allant des années 1930 aux années 1980, tandis que nous nous appuierons sur le texte de W. Brown au moment d’aborder les décennies suivantes, et d’analyser les reconfigurations contemporaines des dispositifs du néolibéralisme et de leurs sujets.

2 Cette articulation se retrouve également dans le texte de B. Stiegler, qui se concentre, pour sa part, sur la figure fondatrice de W. Lippmann, et sur les débats intellectuels qui l’opposent au philosophe pragmatiste américain John Dewey. B. Stiegler, « Il faut s’adapter », op. cit.

3 Redisons-le : nous ne chercherons pas ici à identifier « un » néolibéralisme chimiquement pur, application strictement réalisée d’une doctrine politique tout aussi strictement définie. Ce n’est pas sous cette forme « pure », en effet, qu’existe(nt) le (ou les) néolibéralisme(s) encore actif(s) aujourd’hui, raison pour laquelle en effectuer la généalogie est une opération indispensable pour penser notre présent. Dans la mesure où nous tâchons de rendre compte de structures mêlant des éléments hétérogènes, qu'on nomme dispositifs (du néolibéralisme), et qu’on assimile ceux-ci à notre actualité, il faut garder à l’esprit que leur nature même les conduit à hybrider en permanence des composantes, discursives et non-discursives, diverses. Pour le dire plus clairement, ce que nous nommons « dispositifs du néolibéralisme » peut inclure des éléments relevant d’un ultralibéralisme dérégulateur, comme des pratiques policières brutales, ou des techniques de soi proches d’une culture du bien-être et de la positivité (méditations, thérapies, coaching de soi, par exemple). Dès lors, ce qui relie entre eux ces phénomènes en apparence contradictoires, ce sera bien une rationalité commune, et des objectifs stratégiques partagés, qui prennent la forme d’une série de mécanismes d’économisation, généralisée à toutes les sphères de l’existence.

4 Si nous nous arrêterons particulièrement, à ce moment de notre étude, sur les analyses de P. Dardot et C. Laval, c’est que, selon nous, La Nouvelle Raison du monde possède plusieurs vertus. Tout d’abord, la méthodologie qui s’y déploie se réfère explicitement à Foucault : à la fois archéologique, en tâchant de revenir aux textes et aux pensées de ceux qui ont cherché à refonder le libéralisme, et ont contribué à la formation du néolibéralisme, et généalogique, lorsque les auteurs, dans un second temps, se consacrent à l’étude des techniques et des opérations