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6. Discussion et intérêt de l’étude

6.4. La réalité de la gouvernance locale de l’orpaillage

Vu de dehors, le site d’orpaillage de Gbomblora, à l’instar des autres sites du pays, donne l’image d’un espace de non-droit dominé par l’anarchie et le désordre de tout genre. Cette image est du reste véhiculée par certains médias auprès des populations notamment urbaines qui ne retiennent en définitive que les aspects environnementaux qui constituent indéniablement une des faiblesses majeures de l’orpaillage tel que pratiqué actuellement. L’étude nous a permis, à la suite des différentes observations et entrevues réalisées sur le terrain auprès des orpailleurs, de mieux appréhender le mode d’organisation et de fonctionnement du site.

Les orpailleurs forment une communauté de personnes d’origines géographiques et socioculturelles diverses et différentes. Qu’il s’agisse de sites officiels ou de sites illégaux, le fonctionnement est régi par des normes établies et appliquées à toutes personnes y travaillant. La gestion est caractérisée par une gouvernance locale dans laquelle chaque acteur est un maillon essentiel de la chaine qui va de la gestion du site, à l’extraction des minerais, à la production et à la commercialisation de l’or.

L’originalité des sites d’orpaillage, réside dans le fait que les règles régissant leur fonctionnement ne sont élaborées par aucune juridiction officielle, elles sont le fait des normes locales pensées et établies par la communauté des orpailleurs et peuvent varier d’un site à l’autre. De plus, il n’existe nulle part, de documents écrits formalisant le fonctionnement des sites ou les closes établies entre orpailleurs et propriétaires terriens. Toutes les transactions sont basées sur des contrats verbaux eux-mêmes basés sur la confiance et la parole donnée. Cette même règle régit l’établissement des unités de mesure pour ce qui concerne la pesée et la fixation des prix de l’or sur le site d’orpaillage. Cette logique est à la base de l’utilisation de matériaux divers allant des brins d’allumettes aux pièces de monnaie utilisés pour la pesée de l’or sur les sites d’orpaillage comme décrits plus haut. La valeur de chaque unité de mesure est comprise et appliquée par tous les acteurs. Tout contrevenant à ces règles peut se voir exclure du site d’orpaillage. En outre, les orpailleurs et les autochtones, en l’occurrence les propriétaires terriens et les responsables coutumiers s’entendent pour établir des accords

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que chaque parti est tenu de respecter. Cela concerne les conditions d’obtention de « l’autorisation »65 d’exploiter une parcelle, les rites traditionnels à respecter avant de commencer l’extraction, les limites spatiales à ne pas dépasser, les sites sacrés à ne pas profaner, etc. Cette forme de gestion implique aussi bien des considérations économiques que des considérations sociologiques et culturelles. Il s’agit là véritablement d’une forme de gouvernance locale dans l’exploitation d’une ressource naturelle qui permet de suppléer l’absence de l’État. Toutefois, cette forme de gouvernance, bien que régie par des acteurs locaux sans la main mise de l’État ne correspond pas à tout point de vue aux exemples étudiés par Elinor Ostrom (1990) qui a mis en place un cadre d’analyse et de développement institutionnel destiné à l’observation des communs. De ses observations concrètes, elle a tiré huit principes d’agencement (voir tableau 19) qui permettent de s’assurer de la protection des communs dont ces acteurs ont la charge ainsi que la gestion durable de ces biens. L’utilisation des huit principes de conception d’Elinor Ostrom comme cadre d’analyse et d’éléments de comparaison nous permet de constater que le mode de gouvernance du site d’orpaillage de Gbomblora relève plus d’une gouvernance locale que de la gouvernance collective des communs selon la théorie d’ Ostrom. Par ailleurs, il importe de noter qu’à la différence des normes d’Elinor Ostrom, qui ont pour but l’usage durable des ressources naturelles pour tous, la forme de gestion mise en place au niveau du site d’orpaillage de Gbomblora a pour souci principal la rentabilité économique. Cela a pour conséquences le manque de rigeur pour ce qui concerne les autres dimensions, notament celles liées à l’environnement. A cela on peut relever les conséquences de l’orpaillage en termes de gestion et d’appropriation des autres ressources naturelles telles que les cours d’eau, les terres, les arbres, etc., dont l’usage devient de plus en plus difficile pour les autres secteurs d’activités. Cet acaparement des ressources naturelles par les activités d’orpaillage est de nature à pénaliser les pratiquants des autres types d’activités dépendants de ces ressources.

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Tableau 19: État comparatif des 8 principes de conception d’Elinor Ostrom

Les 8 principes selon

Elinor Ostrom Les principes appliqués sur le site d’orpaillage de Gbomblora

1. L’existence de limites clairement définies, à la fois sur les individus ayant accès à la ressource et sur les limites de la ressource elle-même.

ne peuvent exercer sur le site que des personnes acceptées par le responsable du site qui s’en porte garant auprès des autorités coutumières : Ici c’est le responsable du site qui décide contrairement à la théorie d’Ostrom où le dernier mot revient au collectif.

2. l’adaptation des règles de gouvernance aux conditions locales

les orpailleurs sont tenus de respecter les conditions locales, à savoir : le respect des coutumes locales, des sites sacrés, les offrandes et l’organisation de cérémonies rituelles avant l’entame des activités ; cérémonies expiatoires en cas de profanation d’un site sacré : Cette norme n’est pas spécifique au site d’orpaillage de Gbomblora ni à la population de ce village. 3. l’existence de dispositifs de

choix collectifs incluant la plupart des individus concernés.

la participation des acteurs du site d’orpaillage (orpailleurs et responsables d’activités annexes) et les autochtones du village à la définition des règles communes concernant le respect des normes sociales du village.

4. la surveillance du respect

des règles par les

appropriateurs eux-mêmes ou leurs représentants

le responsable du site et ses représentants veillent au respect des règles régissant le fonctionnement du site. Il s’agit du respect de la distance à observer entre deux trous, la vente d’une partie de l’or au responsable du site, le paiement de droits d’exercer sur le site par chaque acteur au responsable du site.

5. l’existence de sanctions graduelles en direction des individus qui transgressent les règles.

l’existence de systèmes de sanctions (exclusion du fautif) applicables aux contrevenants aux règles du site d’orpaillage et du village.

6. l’existence de mécanismes de résolution des conflits rapides et bon marché.

l’existence d’un système local de règlement de conflits aussi bien à l’intérieur du site qu’au niveau des responsables coutumiers du village.

7.

la reconnaissance minimale par les autorités externes du droit à l’auto-organisation.

ce principe n’est pas respecté pour ce qui concerne le site d’orpaillage de Gbomblora, car même s’il bénéficie de la reconnaissance des propriétaires terriens et des responsables coutumiers, du fait de son caractère clandestin, il ne bénéficie pas de la reconnaissance de l’autorité administrative.

8.

l’imbrication des institutions locales au sein d’institutions de plus grande échelle.

Cette dimension existe au niveau du site d’orpaillage de Gbomblora où il existe un système de gouvernance à plusieurs niveaux aussi bien à l’intérieur du site qu’entre le site et les institutions traditionnelles du village, tel que décrit dans le graphique consacré à la responsabilité et aux liens entre les différents acteurs. Toutefois, ce niveau également souffre de sa non-implication dans le système de gestion institutionnelle du Ministère des Mines du fait du caractère clandestin du site d’orpaillage. Il s’agit là d’une forme d’autogestion qui ne tient pas compte des conditions édictées par l’institution centrale et ses représentations au niveau régional.

À la lumière de ce tableau comparatif, on constate que quand bien même il existe des similitudes avec les règles de gouvernance commune d’ Ostrom, il y a tout de même des différences importantes dans la mesure où sur le site d’orpaillage de Gbomblora, les règles et le mode de fonctionnement sont le fait de quelques personnes (le propriétaire

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terrien, le chef de terre, le responsable du site) et il revient aux autres acteurs de se conformer ou de quitter les lieux. Le responsable du site agit comme un entrepreneur ou comme un rentier qui après investissement, tire bénéfice de l’exploitation dont le fonctionneent est assuré par une chaine d’acteurs dont les rentes sont partagées de manière inégale entre le propriétaire du site, les « propriétaires terriens », la commune et les acteurs travaillant sur le site. De cette répartition inégale, la plus grosse part revient au responsable du site, suivi des propriétaires des trous et les propriétaires des terres. Contrairement à la théorie d’Ostrom basée sur une gouvernance collective dans laquelle c’est la communauté elle-même qui régit non seulement les normes, mais également les fonctionnements quotidiens de la gestion des ressources naturelles, la gouvernance obéit ici à une stricte hiérarchie. Selon la théorie d’Ostrom, il ne revient pas à un individu ou à un groupe d’individus d’investir son capital et de dicter aux autres les règles de conduite, c’est plutôt à toute la communauté de décider selon un mode démocratique. Cela dit, même si le mode de gouvernance mis en place au niveau du site d’orpaillage de Gbomblora présente des insuffisances, il permet de réguler, un tant soit peu, l’exploitation et la gestion des ressources au niveau local dans un contexte dominé par l’absence de l’État.

Ces éléments comparatifs permettent de dégager un enseignement majeur, à savoir que l’orpaillage est loin d’être l’espace de non-droit qui se distingue par l’anarchie et le désordre total qu’on a souvent imaginé du dehors, mais qu’il existe une organisation locale bien hiérarchisée avec ses normes de fonctionnement.

Partant de cette analyse, on peut retenir, en termes d’insuffisances majeures dans la gouvernance du site d’orpaillage de Gbomblora, les éléments suivants : le caractère illégal du site, le manque d’encadrement des acteurs et l’usage de technologie inappropriée domageable pour la santé et l’environnement. Nous estimons qu’une bonne approche inclusive et la mise en place d’un encadrement adéquat (formation technique des orpailleurs, promotion de technologie non polluante, facilité d’accès aux outillages performants et non polluants, facilité d’accès aux microcrédits…) et de mesures fiscales incitatives, pourraient avoir des effets positifs en termes d’organisation et partant, en termes de réduction des facteurs de pollutions et des risques liés à l’exercice de l’activité tant du point de vue sanitaire que social. De plus, une telle démarche pourrait renforcer la confiance des communautés et des orpailleurs à

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collaborer avec l’administration et à s’inscrire dans la légalité ; elle permettrait également d’améliorer le rapport des orpailleurs avec l’administration et particulièrement les services fiscaux et contribuer ainsi à la réduction de la fraude et de l’incivisme fiscal au niveau des orpailleurs clandestins. En définitive, on peut retenir que les insuffisances attribuées à l’orpaillage ne sont pas une fatalité et sont loin d’être incurables.

6.5. Les forces et faiblesses de l’orpaillage dans le système