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6. Discussion et intérêt de l’étude

6.1. La gestion institutionnelle de l’orpaillage

Le secteur de l’orpaillage, bien que considéré comme rentable souffre d’une insuffisance d’organisation qui n’est pas seulement le fait des orpailleurs, souvent accusés à tort.

Au niveau national, la fermeture du Comptoire burkinabé des métaux précieux (CBMP) a entrainé la libéralisation du commerce de l’or. N’importe qui peut se présenter et entreprendre auprès du ministère des Mines les démarches qu’il faut pour l’obtention d’une autorisation d’exploitation ou d’achat. Ce qui a été le début du désordre institutionnel dans le secteur de l’orpaillage avec le vide laissé par la liquidation de cette structure. Pour pallier à cette insuffisance, l’État a autorisé l’ouverture d’une cinquantaine de comptoirs privés agréés chargés, sur l’ensemble du territoire national, d’assurer l’achat, la vente et l’exportation de l’or63 (Arnaldi di Balme et Lanzano, 2013). Depuis la fermeture du CBMP et l’ouverture de ces comptoirs, la quantité d’or déclarée a connu une nette régression ce qui a motivé la mise en place d’une brigade nationale antifraude en 2011; ce qui amène à s’interroger de nos jours sur la pertinence de la liquidation du CBMP. Le CBMP était considéré comme l’interlocuteur unique entre l’État, les orpailleurs et les acheteurs; ce qui permettait à l’État de réguler le secteur tout en contrôlant l’activité. Présentement, le constat qui s’impose c’est que la disparition du CBMP a entrainé l’émergence de nouveaux acteurs, l’augmentation de la fraude et la multiplication des plaintes (CES, 2011).

Les comptoirs privés et les responsables du syndicat national des orpailleurs jugent excessive l’application, par l’État, de la redevance proportionnelle de 5% sur leur chiffre d’affaire en plus d’une décote de 100 FCFA par gramme exporté. Ils estiment payer plus d’impôts qu’une mine industrielle, avec ce mode de taxation, sur le gramme d’or exporté64 (résultats de l’entretien réalisé en avril 2015 avec le président du syndicat national des orpailleurs). Que le site soit légal ou non, l’Etat prélève des taxes sans au

63Les opérations d’achat ou de vente d’or au Burkina Faso sont réglementées, par le DECRET N° 2006-629 /PRES/PM/MCE/MFB/MCPEA/SECU du 20 décembre 2006 et l’arrêté n° 09-01/MCE/MEF/MCPEA du 03 février 2009 portant réglementation de la commercialisation de l’or, conditions d’agrément et cahier de charge pour l’achat et l’exportation de l’or au Burkina (http://www.bumigeb.bf/textes/textmine.htm).

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retour participer aux investissements nécessaires à la modernisation et au développement des activités d’orpaillage.

Cette pression fiscale, perçue comme une injustice par les orpailleurs, pourrait également être à la base de la fraude dans le secteur de la production traditionnelle dont les activités sont insuffisamment suivies par le niveau national. Cette insuffisance pourrait aussi expliquer le fait qu’en 2011, 90% de la production des orpailleurs n’est pas contrôlée et échappe de ce fait à l’évaluation officielle (CES, 2012). Présentement, le nombre de sites artisanaux détenteurs d’une autorisation d’exploitation artisanale valide est de 180 contre un total théorique estimé sur le terrain de 300 sites. Pour ce qui est de la production déclarée, elle tourne autour d’une moyenne de 450 kg par an depuis 2000. En partant de ces chiffres et en ne considérant que les 180 sites officiels, nous obtenons une production d’environ 2,5 kg d’or par site et par an, ce qui vraisemblablement est loin de la réalité, lorsqu’on sait que sur un seul site travaillent des centaines d’orpailleurs avec des dizaines de trous sur chaque site. Cela dit, même si à partir de 2007, la production déclarée a augmenté, elle reste quasi constante autour d’une moyenne de 480 kg par an pour l’ensemble du pays (MEF, 2013). « Si l’on considère l’accroissement du nombre de sites chaque année, on évalue aisément la production réelle dans ce secteur à environ 2 tonnes d’or par an. Près de 1,5 tonne d’or est perdue chaque année du fait de la fraude» (MEF, 2013. P5).

En outre, l’absence totale de directions régionales et de services de référence décentralisés ne permet pas au ministère des Mines d’avoir la situation exacte des activités d’extraction artisanale ni d’exercer un suivi régulier et efficace de l’activité sur l’ensemble du territoire national. Présentement le travail de suivi se fait depuis la capitale (Ouagadougou) à partir seulement des artisans déclarés, exerçant officiellement leurs activités et qui ne représentent que la partie visible de l’iceberg. Dans la région du sud-ouest, les sites d’orpaillage détenteurs d’une autorisation et exerçant officiellement leurs activités ne représentent que 20% des 84 sites existant tandis que les 80% exercent en toute illégalité et produisent des quantités méconnues du Ministère de tutelle (MATS, 2012).

Cette situation oblige les candidats à la transparence à aller dans la capitale pour se faire délivrer les différentes autorisations d’exploitation. La lenteur dans la délivrance de ces

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documents légaux n’est pas de nature à encourager non plus la pratique de la transparence pour nombre d’orpailleurs.

La non-implication des autorités communales et communautaires ainsi que des propriétaires terriens, pour la délivrance des autorisations et des permis d’exploiter est un facteur supplémentaire de frustration pour ces acteurs locaux qui ont le sentiment d’être spoliés de leur ressource. Pour ne pas assister passifs et impuissants à cette ruée sur leurs terres, les responsables communautaires préfèrent développer un mécanisme parallèle pour attribuer eux-mêmes l’autorisation (même si elle n’est que verbale) d’exploitation de leurs terres aux orpailleurs et empocher directement les quelques subsides, sans contrat écrit, en dépit de tous les inconvénients que cette méthode comporte en termes d’insécurité foncière. Ces comportements créent une situation de désordre, caractérisée par des attributions de terres à tout vent (y compris agricoles et pastorales) à l’insu de l’administration.

La prise en compte des autorités communales et communautaires ainsi que des propriétaires terriens pour la délivrance des autorisations et des permis d’exploiter, est pourtant signalée dans les textes officiels (de l’ancien tout comme du nouveau code minier) comme une condition préalable, seulement dans la pratique ce n’est pas toujours le cas. Le boom minier que vit le pays depuis quelques années et l’expansion de l’orpaillage mettent à rude épreuve la politique de l’aménagement du territoire qui a pour cheval de bataille la décentralisation. Cela se caractérise par une ambivalence entre le principe du transfert théorique des compétences aux collectivités territoriales, qui n’ont en réalité aucun pouvoir de décision, et la volonté de maintenir le contrôle de l’État à travers une gestion centralisée des ressources minières (Magrin et al. 2006; Magrin, 2008; Magrin, 2009). Même s’il est vrai que la terre appartient à l’État, il serait également judicieux, pour ce qui concerne le cas de l’orpaillage, de mieux développer la communication ainsi que les instances de concertation communautaire avec les populations rurales afin d’éviter des situations confuses sur le terrain. La faible présence de l’État sur le terrain est ressentie à travers les tensions provoquées par la compétition entre orpailleurs traditionnels, exploitants semi-mécanisés et exploitants industriels pour le contrôle et l’exploitation des parcelles. Les cas de doubles attributions de parcelle (la même parcelle attribuée aux orpailleurs artisanaux par les propriétaires terriens et attribuée également par les services des mines à un autre opérateur détenteur d’un

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permis pour une exploitation semi-mécanisée ou industrielle) pourraient être minimisés si le ministère avait des directions et des services techniques implantés au niveau régional, comme signalé plus haut. Cette situation caractérisée par l’insuffisance de missions de contrôle sur le terrain est un facteur favorisant la pratique de l’orpaillage illégal et de la corruption sur le terrain.

Pour rester en phase avec la politique de bonne gouvernance dans le secteur minier, prônée par l’État à travers son adhésion en 2008, à l’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE) (Stephens, 2014), l`État devrait renforcer sa présence sur le terrain et mieux organiser le secteur de l’orpaillage à l’image de l’exploitation industrielle. Pour être efficace et bénéfique à la communauté locale, le site d’orpaillage, ne doit pas se comporter en ilot de prospérité dans un environnement de pauvreté, mais plutôt comme un maillon du système de développement local ayant des connexions et une articulation dynamique avec le reste de l’économie locale, sous peine de voir se développer le syndrome hollandais encore appelé la « Malédiction des ressources naturelles » qui est la situation de paradoxe classique où la plus grande abondance de ressources côtoie la plus grande pauvreté (Magrin, 2009 ; Akabzaa, 2010).

Cela nous parait évident, d’autant plus que l’inefficacité des résultats ne provient pas seulement des ressources en soi, mais d’autres variables telles que la qualité des institutions qui encadrent l’exploitation (Sala-i-Martin et Subramanian, 2003). Pour cela, l’adoption du nouveau code minier augure des lendemains prometteurs pour les communautés rurales. À condition que les décrets d’applications soient élaborés et réellement appliqués sur le terrain, mais aussi, et surtout que des mesures d’accompagnement soient prises afin que l’application par les différents acteurs soit une réalité sur le terrain. Toutefois, la réussite de ces mesures dépendra également des innovations institutionnelles qui seront mises en place pour corriger les insuffisances en termes de décentralisation et de visibilité des structures techniques du Ministére en charge des mines et de l’énergie. Car pour l’instant, la forte centralisation des structures techniques et leur éloignement du terrain va en contradiction avec l’élan de décentralisation impulsé par le pays au niveau administratif. Cela permettra davantage de rapprocher les techniciens des orpailleurs et des communautés rurales, ce qui aura un impact certain au niveau des normes de production, de la protection de l’environnement, des comportements sociosanitaires et du développement du civisme fiscal.

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6.2. L’orpaillage comme élément du système d’activités des