• Aucun résultat trouvé

3. Cadre conceptuel et hypothèses de recherche

3.1. Du concept du Système d’activités des ménages

Le concept du système d’activités des ménages découle de la théorie des systèmes ou de la théorie systémique qui est à la base de l’approche systémique qui considère comme système, un assemblage d’éléments fonctionnant de manière unitaire et en interaction permanente, autrement dit, c’est un ensemble de méthodes, de procédés organisés ou institutionnalisés pour assurer une fonction (ex. système d’éducation, système de production, système de défense) (Bertalanffy, 1968).

Selon cette théorie tout est système et on peut tout conceptualiser selon une logique de système. La théorie a été formalisée en 1968 par Ludwig von Bertalanffy dans General

System Theory (1968), même si les bases de cette théorie sont diverses, il est admis que

la principale demeure le mouvement cybernétique17 (Turchany, 2013). Pour parler de système, il faut que la structure comporte les quatre caractéristiques fondamentales que sont : l’interaction (l’interrelation) entre les différents éléments composant la structure,

17La Cybernétique est définiecomme la science des systèmes autorégulés, qui ne s’intéresse pas auxcomposantes, mais à leurs interactions, où seul est pris en compte leurcomportement global(Turchany, 2013).

28

la totalité (globalité), l’organisation qui est la répartition des tâches et la hiérarchisation des rapports entre les éléments et enfin la complexité de l’organisation en question (Bertalanffy, 1968).

Aussi, pour comprendre le comportement des parties on doit tenir compte des relations et des répercussions entre les divers systèmes secondaires et les systèmes qui les "coiffent". Ce qui amène Bertalanffy, (1968) à penser que "le tout est supérieur à la somme des parties". Cela revient à dire que les interactions entre les éléments, lorsqu’ils sont organisés en un système, donnent des propriétés à l’ensemble que les éléments pris séparément ne possèdent pas.

De ce point de vue, on ne doit plus considérer une organisation et encore moins une communauté comme la somme d’un ensemble d’individus et d’activités, mais plutôt comme un ensemble global et surtout prendre en compte les interactions existantes entre les individus, mais aussi les liens et les répercussions qu’une activité peut exercer sur les autres au sein de l’organisation. Cette façon de procéder est totalement différente de la démarche analytique basée sur le postulat de la causalité, selon laquelle les phénomènes du monde peuvent être expliqués par un enchaînement de causalités et pour mieux comprendre un phénomène trop complexe il suffit de le décomposer en plusieurs enchaînements de causalités. Là où l’approche analytique recommande de morceler l’organisation pour mieux appréhender son fonctionnement et y déceler les facteurs éventuels de blocage, l’approche systémique prône plutôt de prendre de la hauteur et considérer l’organisation comme une entité globale dans laquelle les acteurs ainsi que les actions qu’ils produisent sont inter reliés et s’influencent mutuellement.

Appliquée au système d’activité des ménages, l’approche systémique nous permet ainsi de mieux appréhender les relations qui existent entre les membres à l’intérieur d’un ménage ainsi que les activités que ces membres réalisent et surtout les liens et les connexions qui existent entre ces activités ainsi que les effets que ces activités ont sur les conditions de vie de l’ensemble du ménage.

À l’échelle du ménage, le système d’activités est défini comme « l’ensemble des activités du ménage, chacune ayant son rôle propre dans le fonctionnement et le développement de l’ensemble. Ces activités sont liées entre elles; soit par des liens fonctionnels, soit par leur articulation temporelle » (Mundler; Guermonprez et Pluvinage, 2007 :56). Ainsi, on ne peut parler de système d’activités du ménage que

29

lorsque les différents membres du ménage sont engagés dans des activités de production y compris des activités non agricoles et dont les fruits concourent collégialement au fonctionnement du ménage (Paul, et al., 1994). De ce point de vue, la logique du système d’activités est centrée sur le développement d’activités non agricoles (combinant activités marchandes et non marchandes) dans une logique de portefeuille d’activités caractérisée par l’existence de relations fonctionnelles entre les activités (Paul et al, 1994 ; Gaillard, Sourisseau, 2009). Ces définitions montrent le caractère large du système d’activités qui, contrairement au système de production, va au-delà de l’exploitation agricole et des seules activités agricoles pour englober toutes les activités du ménage incluant les activités non agricoles dont les revenus concourent au fonctionnement du ménage; la diversification des activités au sein des ménages est une caractéristique du milieu rural en Afrique (Sylla, 2008). L’étude de ce système vise à rendre compte d’une réalité sociale qui est que les ménages ruraux ne pratiquent pas que l’agriculture comme activité. Comme indiqué dans la section consacrée à la description du contexte de la commune rurale de Gbomblora, les membres du ménage, même lorsqu’ils sont considérés comme agriculteurs, partagent leur temps entre les activités dans le champ en saison des pluies et les activités non agricoles généralement réalisées pendant la saison sèche (Sourisseau, 2012). Dans cette commune rurale, les activités sont menées en fonction des opportunités saisonnières, des possibilités du ménage et des besoins de ses membres. Cela prouve le caractère flexible du système d’activités des ménages qui veut que chaque membre mène différentes activités qui ont chacune un rôle et une utilité dans le fonctionnement du ménage; de plus, il existe des liens fonctionnels entre les différentes activités menées par les membres du ménage selon une logique liée aux saisons et à l’espace (Paul, et al.,1994; Terrier, Gasselin et Le Blanc, 2010).

Cette intégration d’activités fait appel à la qualification des différents membres de la famille qui, même s’ils s’investissent dans l’activité agricole familiale, auront tendance à privilégier des activités extra agricoles si celles-ci assurent une plus grande rentabilité. Cette dynamique est influencée par les objectifs visés par les membres de ménage et par les opportunités du marché (Paul, et al., 1994.). Ce choix s’opère le plus souvent au détriment de l’exploitation familiale (Paul, et al.; 1994 ; Gaillard, et Sourisseau, 2009).

30

Cette logique se vérifie au niveau de la commune rurale de Gbomblora où les membres d’un même ménage développent des activités variables en fonction de la compétence des membres et des opportunités saisonnières. C’est ainsi qu’en saison pluvieuse, pratiquement toute la famille est occupée par les travaux champêtres (en ce moment les sites aurifères sont peu fréquentés) et en saison sèche certains font de l’orpaillage tandis que d’autres pratiquent des activités annexes génératrices de revenus au niveau des sites d’orpaillage. (Commune de Gbomblora, 2014).

Au niveau du ménage, l’intérêt du système d’activités, tel que décrit, réside dans sa flexibilité et aussi dans le fait que même si d’autres activités sont menées en dehors de l’exploitation agricole et même si les différents membres du ménage pratiquent des activités différentes, le fruit de ces activités concoure au fonctionnement du panier commun, en l’occurrence les dépenses du ménage. Cela n’empêche aucunement chaque membre de chercher à développer parallèlement des ressources personnelles visant à la satisfaction de besoins individuels. C’est cette relation systémique entre les différentes activités qui caractérise le système d’activités des ménages. Ce mode de fonctionnement nécessite l’application des règles de gestion communes aux membres du ménage. Dans cette organisation systémique, les ménages utilisent les produits agricoles pour, prioritairement se nourrir, mais en cas de bonnes récoltes les surplus sont vendus sur le marché. En plus des céréales produites, les exploitations familiales s’investissent également dans des productions de rentes dont la fonction principale est de générer des ressources financières dont les ménages ont besoin. En dépit de cette diversification dans la production agricole, et compte tenu de sa fragilité, certains ménages mènent des activités non agricoles comme l’artisanat et l’orpaillage aux ressources généralement plus stables et plus sécurisantes.

Partant de là, il est impératif de relever le fait que si la pratique de la diversification des activités vise à sécuriser les membres du ménage sur le plan économique et alimentaire, il y a d’autres motivations qui peuvent être variables d’un individu, d’un ménage, voire d’une communauté à l’autre, d’un contexte à l’autre (Fiorelli et al., 2010; Gasselin, P et al., 2014).

À ce sujet, Gasselin et al. (2014), identifient différents types de motivations qui peuvent orienter de manière déterminante la prise de décision des ménages dans leurs choix de réaliser telle activité plutôt que telle autre. Ces motivations ne sont pas seulement

31

d’ordre économique même si ce facteur occupe une place importante dans leur choix. Donc, au-delà des raisons économiques, les choix peuvent être liés à des valeurs en rapport avec le bien-être social de l’individu ou du groupe, à savoir : la morale, les sentiments, la religion, la recherche de la performance professionnelle ou esthétique, la promotion sociale, etc. (Sen, 2000; Gasselin et al. 2014).

Ces différentes motivations traduisent, encore une fois, le besoin de réalisation et d’existence de l’être humain dans sa société, ce qui va nettement au-delà de la simple considération matérielle ou de croissance économique, ce qui laisse penser que la diversification des activités fait partie des stratégies de résilience et de gestion des risques adoptée par les populations rurales.

Pour ce qui est de la commune rurale de Gbomblora, il y a des facteurs culturels et coutumiers liés à la faible accessibilité des jeunes au foncier (FIDA, 2012), le besoin d’indépendance vis-à-vis des anciens, le besoin d’autonomie financière, pour obtenir de l’argent et pouvoir envisager de se marier, le besoin de promotion sociale. Il y a également le besoin d’identification et d’appartenance au groupe qui pousse les jeunes garçons du village à chercher à acquérir des biens matériels comme les motocyclettes, les beaux vêtements, pour ressembler à leurs camarades. Tous ces besoins poussent les jeunes à chercher de l’argent que la seule production agricole ne peut satisfaire. Face à l’ensemble des obstacles qui jalonnent le quotidien des ménages, tels que décrits dans les chapitres précédents, on constate que des stratégies sont développées localement. Cela montre encore une fois que le choix des activités et la décision de la diversification des activités visent à répondre à des besoins précis des individus et du ménage (Gasselin, P et al., 2014). Les stratégies développées reposent sur une certaine combinaison intégrant, activités agricoles, activités non agricoles et migration. Les activités non agricoles sont réputées moins vulnérables aux aléas climatiques et permettent de renforcer leur indépendance économique et alimentaire, de pérenniser les sources de revenus tout en se préservant des conséquences des catastrophes naturelles et des fluctuations du marché (Gueye, 2013).

Cette stratégie est une manière de fonctionner qui rend les producteurs de la commune moins vulnérables en leur procurant une occupation permanente et des revenus plus stables. Le concept du système d’activités amène à étendre la réflexion et l’action au- delà des limites physiques de l’exploitation familiale, mais aussi au-delà des seules

32

activités agricoles. Ce qui « conduit à réinterroger, de manière systémique, l’activité, les pratiques et les décisions, ainsi que les interactions liant activités, ressources pour l’action et la décision, représentations et motivations multiples de l’acteur » (Gasselin et al., 2014 :14). Partant de là, la pratique des activités non agricoles et de l’émigration comme éléments du système d’activités des ménages de la commune s’impose comme une nécessité aux paysans. Parmi ces activités non agricoles, l’orpaillage mobilise de plus en plus de monde en milieu rural; cet engouement des populations des communes rurales pour l’orpaillage pourrait s’expliquer non seulement par sa grande disponibilité et sa proximité au niveau local, mais aussi, et surtout par le fait que son exercice requiert très peu d’investissements de départ. En plus de cette facilité matérielle, son exercice est très peu encadré par l’administration. Cette pratique qui fait l’objet de tant de controverses est développée dans les prochains paragraphes.

À la lumière de ce qui précède, on s’aperçoit que l’approche systémique, qui est à la base du système d’activités des ménages, serait également à la base de nombreuses approches dont le concept du développement rural intégré qui n’est rien d’autre qu’une approche systémique basée sur l’intégration des activités à l’échelle du territoire. Cette approche qui est développée dans la section ci-dessous prône également une vision systémique qui appelle à percevoir le milieu rural comme une entité globale à l’intérieure de laquelle évoluent des hommes et des ressources dont la situation a une influence sur les autres. Ce concept tend à devenir incontournable dans l’économie rurale d’autant plus qu’il devient de plus en plus difficile de vivre uniquement de l’agriculture en milieu rural (Tomety, 2010).