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3. Cadre conceptuel et hypothèses de recherche

3.2. Du concept de développement rural intégré (DRI)

Le développement rural intégré (DRI) est défini comme étant « une stratégie par laquelle une série d’actions, régulières et progressives, amorcée ou soutenue par une volonté politique apporte des changements quantitatifs et qualitatifs, au sein d’une population rurale et avec sa participation consciente et active, en vue de répondre à ses besoins essentiels, d’améliorer son bien-être et d’engendrer un processus autonome de développement » (Maldague, 2006 : 17). Le concept a été développé à la suite de la sécheresse qui a ébranlé les pays du Sahel dans les années 1972-1973 amenant la communauté internationale à réfléchir sur la nécessité d’intégrer les ressources et les

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objectifs dans les politiques de développement du milieu rural en Afrique (Belloncle, 1983).

Le concept du DRI a été utilisé en 1977 par l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à cause de ce caractère intégrateur prônant une vision systémique du territoire et de ses besoins, contrairement au modèle de développement sectoriel basé sur le développement d’un volet parfois au détriment des autres (Maldague, 2006). Concernant le Burkina Faso, l’approche sectorielle bénéficiant d’importants appuis financiers de l’État et des partenaires internationaux a permis le développement de la production de certaines cultures de rente comme le coton dans les régions productrices avec des retombées financières importantes, mais variables d’une saison à l’autre18 (FAO, 2012). En outre, malgré les performances affichées dans les deux domaines clés de l’économie nationale que sont la production cotonnière et l’exploitation aurifère, la position du pays dans le classement IDH depuis ces cinq dernières années, est passée de la 161e en 2010 à la 181e place sur 187 pays en 2014 (PNUD, 2010, 2014). Cette période de recul correspond paradoxalement à la période où les deux produits connaissent une avancée remarquable en termes de production et d’exportation sur le plan continental. L’indice de développement humain (IDH), dont les bases de calcul vont au-delà des simples performances économiques pour mesurer des indicateurs comme la dimension santé (calculée à partir de l’espérance de vie à la naissance), le niveau d’éducation (mesurée au moyen du nombre d’années de scolarisation pour les adultes âgés de 25 ans et la durée attendue de scolarisation pour les enfants en âge d’entrer à l’école) et le niveau de vie (mesurée par le revenu national brut par habitant), démontrent une fois de plus la nécessité d’une politique de développement utilisant des stratégies transversales et intégrées (PNUD, 2014). Pour les concepteurs de l’IDH comme pour le PNUD, le développement est, un processus dynamique dont l’appréciation va au-delà des simples performances économiques pour mesurer les retombées en termes de progrès dans les domaines de l’environnement, d’accès à l’éducation, à la santé, à l’eau potable, aux moyens de communication, etc. Partant de ces constats en rapport avec les deux piliers de l’économie nationale, que sont l’or et le coton, on peut retenir que les principales faiblesses liées à l’approche sectorielle se caractérisent par le déséquilibre créé en termes de développement et le

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paradoxe que cela génère en termes de coexistence d’une abondance de ressources naturelles et d’une extrême pauvreté des populations au niveau des localités abritant ces ressources.

Les principales faiblesses liées à cette approche sont que, pour ce qui est du coton, les zones non productrices ou à faible production cotonnière, comme la commune rurale de Gbomblora, ne bénéficient pas ou très peu des investissements ainsi que des retombées financières qui en résultent. Même au niveau des zones cotonnières bénéficiaires, les autres filières de productions, notamment vivrières, demeurent marginalisées en termes d’encadrement technique et d’appuis en intrants agricoles. Ce qui oblige certains producteurs de coton à tricher avec le système en s’impliquant dans la production cotonnière pour bénéficier des intrants qu’ils détournent par la suite au profit de la production des céréales dont ils ont un grand besoin pour la consommation familiale (FAO, 2012).

Quant à la production minière aurifère, malgré le fait qu’elle occupe la première place des produits d’exportation du pays, comme indiqué plus haut, les populations se plaignent du fait de ne pas bénéficier des retombées de l’activité tandis que les organisations de la société civile (ONG, associations villageoises…) dénoncent le manque d’arrimage entre les mines et les autres secteurs d’activités au niveau local19. Les plaintes récurrentes des populations locales et des organisations non gouvernementales sur le mode de gestion des ressources minières sont à la base de la relecture du code minier dont la nouvelle version votée en juin 2015 prévoit le versement d’1 % du chiffre d’affaires mensuel des entreprises minières aux communautés vivant aux alentours des sites miniers20.

À la lumière de ce qui précède, il parait raisonnable d’émettre des réserves quant aux vertus de l’approche sectorielle stricte dans les stratégies de développement, principalement en milieu rural.

Face aux limites de l’approche sectorielle et verticale du développement rural, telle que décrite, caractérisées par le déséquilibre de développement et l’existence paradoxale de la pauvreté dans des zones à forts potentiels en ressources naturelles, la promotion d’une approche intégrée et transversale du développement du territoire trouve toute sa

19Rfi, 25 novembre 2014 ; Minesalerte, 30 juin 2015. 20 Jeune Afrique, 29 juin 2015.

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pertinence dans le cadre de la communalisation intégrale amorcée au Burkina Faso depuis 1991, date à laquelle fut consacré le principe de la décentralisation. Ce principe est basé sur l’organisation du pays en collectivités territoriales et la participation démocratique des populations à la libre administration des collectivités territoriales (Guiro, et al.,2011). Cette disposition accorde théoriquement plus de latitudes aux collectivités dont les populations sont appelées à s’impliquer dans les projets de développement de leur terroir. De cette manière, la coordination verticale pourrait être renforcée par une coordination horizontale, à travers la gouvernance locale inclusive et participative.

Le cadre juridique de la communalisation est considéré comme un tremplin qui permet l’utilisation des ressources locales pour le développement intégré du territoire à l’échelle communale (Guiro, et al.,2011), ce qui correspond parfaitement au concept du développement territorial qui est perçu comme « un processus volontariste cherchant à accroitre la compétitivité des territoires en impliquant les acteurs dans le cadre d’actions concertées, généralement transversales et souvent à forte dimension spatiale » (Baudelle et Mérenne-Schoumaker, 2011, p. 246). De cette définition du développement territorial intégré, trois dimensions émergent véritablement, à savoir : la concertation, la transversalité et la dimension spatiale du territoire.

La concertation, dans le contexte du développement rural, implique la participation des différents acteurs aux débats, à l’identification des problèmes ainsi qu’à la détermination des solutions. Dans le contexte de la pratique de l’orpaillage dans la commune rurale de Gbomblora, la concertation devrait se traduire par une dynamique constante entre populations riveraines, orpailleurs, et autorités administratives et communales. De cette manière l’équilibre pourrait être trouvé à travers des décisions consensuelles et inclusives dans la mesure où la population de Gbomblora ne forme pas un tout homogène, elle est composée de personnes d’origine et de culture différentes, et dont les perceptions et les besoins sont variables. Cela d’autant plus qu’au sein d’un même territoire, autant il y a de groupes ethniques, autant il y a des logiques économiques comme des logiques sociopolitiques et des systèmes de représentation différentes; la globalité du territoire n’est, de ce fait, pas à confondre avec l’homogénéité (De Sardan, 1985).

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La notion de transversalité, quant à elle, traduit nécessairement l’approche systémique des projets. Cela indique, contrairement à l’approche sectorielle, telle que décrite dans les paragraphes précédents, l’existence d’une articulation entre les objectifs, les ressources et les actions ainsi qu’une interaction entre les différentes composantes du projet. Dans cette vision globale et systémique du milieu rural, le système de production va au-delà du simple appareil de production pour prendre en considération le mécanisme permettant la gestion rationnelle des ressources, l’aménagement intégré du territoire, l’amélioration des conditions de vie de la population ainsi que tous les aspects qui peuvent catalyser la production et le développement rural (Maldague, 2005). De ce point de vue, comme indiqué dans les paragraphes précédents, la conception et la mise en œuvre d’un projet d’exploitation des ressources naturelles dans un territoire, comme le cas de l’orpaillage à Gbomblora, devrait se faire de sorte à créer une connexion entre cette activité extractive et les autres secteurs d’activités de la commune. Cette manière de concevoir le développement du milieu rural est fondamentalement différente de la superposition des projets aux objectifs souvent contradictoires et aux retombées sectorielles cloisonnées.

Enfin, la dimension spatiale sous-entend que les projets, doivent valoriser les ressources locales pour améliorer la compétitivité économique du territoire de sorte que, les retombées contribuent à l’épanouissement de ses habitants, à l’amélioration de leur condition de vie et au développement du territoire. Ce qui signifie que les performances économiques doivent, de manière systémique, impacter les conditions de santé, d’éducation, l’amélioration de l’accessibilité à l’eau potable, la disponibilité et l’accessibilité alimentaire, etc.

Cette conception, intégrée du développement du milieu rural, a pour fondement l’approche systémique qui considère le milieu rural comme un système dans lequel tous les éléments doivent être perçus de manière globale et non fragmentaire en accordant une importance particulière aux liens fonctionnels pouvant exister entre ces différents éléments (Lesourne, 1976; Lapointe, 1993 ; Maldague, 2005). Cette façon de considérer le milieu rural répond à la définition de De Rosnay (1977), qui considère le système comme « un ensemble d’éléments en interaction dynamique, organisés en fonction d’un but » (de Rosnay, 1977).

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En outre, considérer le territoire comme un tout permet d’éviter la dispersion des forces et des ressources tout en favorisant l’accroissement de l’efficience et du rendement des projets mis en œuvre. Tout en restant globales, les politiques générales peuvent être déclinées en programmes (sectoriels ou sous-sectoriels) cohérents et mutuellement complémentaires pour les rendre applicables (Commission européenne, 2008). De ce point de vue, l’approche intégrée du développement rural se distingue par le caractère participatif, systémique et territorial qui fait toute sa particularité.

À la lumière de ce qui précède, le développement rural intégré valorise l’intégration des objectifs et des ressources dans la conception et la mise en œuvre des projets de développement local à travers le décloisonnement des espaces et l’instauration d’un équilibre en termes de développement. Il s’agit d’une gouvernance locale intégrative mobilisant les différentes ressources (humaine, sociale, environnementale, économique, spatiale) dans une dynamique interactive pour le développement d’un territoire. De ce point de vue, le développement rural intégré n’est pas synonyme de développement de la seule activité agricole dans la mesure où il considère le territoire dans sa globalité, avec le développement des différentes activités qui s’y mènent, même si l’agriculture

fait partie intégrante du système socio-économique.

En somme, cette approche du développement prône le développement du territoire rural dans une vision multidisciplinaire; aussi, pour être viable, ce principe doit veiller à la promotion ainsi qu’à l’intégration des aspects économiques, sociaux, institutionnels et écologiques du territoire (Weitz, 1964). En partant de ce postulat, nous analyserons comment l’orpaillage s’arrime aux autres secteurs d’activités de la commune, de sorte que le développement encadré de l’orpaillage puisse booster vers le haut les autres secteurs socioéconomiques comme l’agriculture, la santé, l’élevage, l’éducation, etc. au niveau de la commune. Tous ces constats impliquent une meilleure connaissance du type de gouvernance régissant le fonctionnement du site d’orpaillage de la commune rurale de Gbomblora.