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Type II : les bourgs et bourgades se distinguant des villes précédentes par l’absence

2.4. La cité des Rutènes

Dans le territoire de la cité rutène (Fig. 11), à partir de 800 av. J.-C., plusieurs oppida se développent, soit sur de simples promontoires escarpés (Puech du Caylar (Saint-Christophe-Vallon), Séverac-le-Château, le Roc de l’Aigle (Nant), Rodelle) parfois avec des enceintes de rebords de plateau ou de sommet (Puech de Buzeins, Puech de Mus (Sainte-Eulalie-de-Cernon), Puech del Comte (Viala-du-Tarn), soit sur des avancées rocheuses fortifiées (la Granède à Millau, Roc d’Ugnes à Lavernhe). Le nombre important de sépultures observées (tumulus) atteste d’une croissance démographique entre 800 et 400 av. J.-C. Elle est suivie d’une régression qui culmine entre 300 et 200 av. J.-C. et qui voit l’abandon des principaux oppida dès 400 av. J.-C. Le territoire des Rutènes (Aveyron, Albigeois, nord de l’Hérault) est partagé vers 120/110 av. J.-C. La partie méridionale, au sud de la rivière Tarn est alors rattachée à la Province. De grands habitats fortifiés, les oppida celtiques, se développent à cette même période sur des positions naturelles élevées. Trois importants

oppida sont connus en Aveyron : Montmerlhe (Laissac, remparts massif, fossés, 150 ha),

Miramont-la-Calmésie (Centrès et Saint-Just), Rodez (habitats en matériaux périssables, vocation cultuelle importante avec une quarantaine de puits à offrandes). Une vaste agglomération de plaine se développe autour d’activités de bronziers et de potiers à Millau dans les quartiers du Rajol et du Roc (Briane, Aussibal 2007 : 39-41).

Lors du règne d’Auguste, le territoire des Rutènes est intégré à la province d’Aquitaine. Il s’agit d’une cité de statut pérégrin et stipendiaire (Bost 2011 : 196). La

121 question des limites de la cité a été récemment abordée par D. Schaad (2011 : 23-31) qui confronte les différentes théories existantes. Pour ce travail, je retiens les limites qui reprennent celles du diocèse de Rodez et d’Albi selon la méthode régressive. C’est le choix proposé par D. Schaad dans le cadre du colloque sur les Rutènes et qui sert à l’ensemble des cartographies de la publication. Les constructions évoluent, le bâti en « dur » remplace le bois et le torchis, et permettent à un artisanat particulier de se développer comme l’atteste la présence de plusieurs fours à chaux fouillés aux Combes (Campagnac) et à Cordenade (Salles-la-Source) et les ateliers de terres cuites architecturales pour la production des tuiles : Alzou (Bournazel), Poujols (Laissac), Cadayrac (Salles-la-Source). La cité reste principalement rurale avec un éparpillement des villae sur l’ensemble du territoire. La densité est cependant plus importante autour de Segodunum, le chef-lieu de cité, comme chez les Arvernes. Le développement économique de la cité s’appuie sur un artisanat diversifié (tisserands, charpentiers, mosaïstes, …) mais surtout sur la production de céramique sigillée à

Condatomagus (Millau – La Graufesenque, plus de 600 ateliers entre 10 av. J.-C. et 150 ap.

J.-C.), à Espalion et aussi à Rodez mais de manière plus modeste.

La quantité impressionnante de bois de pin nécessaire au fonctionnement des fours pouvant cuire jusqu’à 40 000 pièces permet d’imaginer l’impact humain sur l’environnement avec de grands déboisements des Causses. L’impact des ateliers de tuiliers, de grillage du minerai de fer, de l’extraction de la résine (Causses Noir et de Sauveterre), des forgerons et bronziers, complète l’explication d’une pénurie de bois sans doute à l’origine du déclin de la production de céramique sigillée et de pollutions encore mesurables aujourd’hui, liées à l’exploitation du plomb argentifère (Strabon, Géographie, IV, 2, 243) dans le Villefranchois, du cuivre à Camarès, et du fer sidérolithique à Kaymar (Briane, Aussibal 2007 : 44).

Le monde cultuel a livré des sites diversifiés : grottes (Sargel), sources (Sainte-Eulalie) et de nombreux fana en position de hauteur. Soixante dix-neuf sites sont signalés comme lieu de culte, fanum, temple ou sanctuaire. La géographie de ces sites atteste d’une concentration autour de Rodez et de Millau liée à un biais de la recherche. De cette liste issue d’une documentation ancienne et imprécise, J.-L. Schank-David ne retient que 15 sites pour lesquels la fonction religieuse est parfaitement assurée (Schank-David 2011 : 484).

Axes de communication importants de la cité, les rivières Lot, Aveyron, Tarn et Agout ont un débit et un profil permettant le développement de la batellerie. Celle-ci ne peut cependant avoir lieu que dans la partie sud de la cité puisque les sources se situent au

43 «   `  : des mines d’argent chez les Rutènes » (Strabon, trad. Lasserre 1966 : 148).

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nord (Gruat et al. 2011 : 86). Le réseau des voies terrestres est étudié depuis le XIXe siècle. Les 150 ans de recherches montrent l’indigence des informations et les difficultés de réaliser une cartographie de l’ensemble du réseau. La Table de Peutinger mentionne trois axes depuis Rodez : un premier en direction de Lodève et qui passe par Condatomagus, un deuxième en direction de Javols par Ad Silanum et un troisième vers Cahors par Carantomagus et

Varadeto. L’axe Rodez-Toulouse reste mal connu. Il entre dans la cité en traversant l’Agout à

Saint-Sulpice-la-Pointe puis rejoint Albi par la rive gauche du Tarn. La voie a été observée au sud de Montans et sur la commune de Busque où elle devait traverser le Tarn à gué. La voie de Rodez à Limoges / Périgueux se sépare de la voie de Cahors au hameau de Maison-Neuve au sud de Rignac et franchit le Lot (navigable) à Capdenac. Un axe Cranton – Cosa est attesté par la mise au jour d’une borne milliaire sur la commune de Vailhourles. Une borne leugaire découverte à Séverac-le-Château atteste un axe Millau-Javols qui reprend certainement une ancienne draye protohistorique. Une route entre Albi et Cahors est mentionnée dans la Vita de Saint-Didier-de-Cahors (Defensor de Ligué et al. 1957 : 343-401) alors que sa dépouille est rapatriée à Cahors en 655. Si l’axe Millau-Nîmes est bien connu dans le Gard, il n’a pu être mis en évidence dans le territoire des Rutènes tout comme l’axe Rodez – Clermont qui n’est pas connu (Pisani in Gruat et al. 2011 : 86-87). À propos des bornes milliaires, sept mentions sont actuellement connues pour l’ensemble de la cité (Pisani 2011 : 345).

2.4.1. Segodunum

Le nom de Segodunum (Fig. 16) est connu par Ptolémée (Géographie, II, 7, 2144) :

    et par la Table de Peutinger (Seg. I, B3) : Segodum (ou

Segodunum qui signifierait la « hauteur fortifiée » en langue celtique). La forme Rodingis

apparaît, elle, au IXe siècle (Anonyme de Ravenne, Cosmographie : IV, 4045).

La Table de Peutinger place la ville au carrefour de trois voies : une allant vers Cahors, une vers Javols et la dernière vers Lodève par Millau. Elle s’étend sur un peu plus de 70 ha, et est délimitée par les nécropoles situées le long des principales voies : à l’ouest sur l’avenue Victor Hugo, à l’est dans le quartier de la Boule d’Or, au nord sur la rue Béteille (Dausse, Gruat, Pailler in Mangin, Tassaux 1992 : 137). Le site paraît occupé à partir de 150 av. J.-C. avec des habitats en terre et bois, puits, fosses dépotoirs, fossés et amphores italiques. Un important ensemble architectural, révélé en 1978 dans le quartier du Passage des Maçons,

44 « En-dessous se trouvent les Rutani et la ville : Segodunum » (Nobbe 1843).

45 « In qua Guasconia plurimas fuisse civitates legimus, ex quibus aliquantas nominare volumus, id est :

Buturicas, Arivernis, Argentine, Limodicas, Pctavis, Mediolanum Santinis, Gilissima, Petiagroris, Aginnis, Caturtium, Rodingis, Albigi, Bordicalon » (Schnetz 1990 : 77).

123 présente plusieurs salles au sol en opus signinum avec des décors de tesselles en losange. Ce type de décors est daté entre le IIe siècle et la première moitié du Ier s. av. J.-C. À proximité de l’un des sols, un mur stylobate recevait encore deux bases de colonnes en grès peint. Il s’agirait soit d’un bâtiment public, soit d’une domus (Schaad, Dausse 2011 : 609-611). En 1994, J. Catalo propose une synthèse sur le forum dont la mise en place remonterait entre 100 et 30 av. J.-C. selon l’étude de la céramique. Pour le premier état, seule la partie méridionale et orientale d’une aire dallée entourant un temple (dont il ne reste qu’un imposant massif de fondation et une partie du sol en terre de la cella) a principalement été dégagée lors des fouilles. Une galerie large de 10,60 m était soutenue par des piliers carrés. Une série de pièces donnant soit sur le forum soit sur une rue avec égout central a permis de restituer les proportions du forum. Un égout à 7,60 m du mur de clôture et parallèle à ce dernier était profondément ancré dans le substrat (ibid. : 613). Le forum est réaménagé au IIe siècle notamment au niveau du mur extérieur et des boutiques. La porte centrale est condamnée. Les niveaux de circulation sont rehaussés de 40 cm. Cet état reste en fonctionnement jusqu’au IIIe siècle. Lors des fouilles de L. Balsan, un nouveau petit bâtiment au sud du mur d’enceinte a été repéré. Le forum s’inscrit dans un îlot de 110 x 80 m, délimité au nord par le decumanus

maximus et à l’est par un cardo. Les fouilles laissent cependant présager un débordement au

nord et au sud. La rue Villaret a livré lors d’une rapide fouille de L. Balsan, à la pelle mécanique, en 1972, un tronçon d’égout (0,41 m de large et 2 m de haut), deux puits, un atelier de taille de l’os, un gros massif maçonné et deux murs en grand appareil (blocs de 1,10 x 0,45 et 0,60 m) parallèles et distants l’un de l’autre de 5 à 6 m, et des éléments architecturaux (ibid. : 625-626). En 1967, à l’angle de la place A. Rozier, L. Balsan met au jour un fragment du rempart du Bas-Empire ainsi qu’un voussoir (1,06 m) d’arc clavé en plein cintre (d’un rayon de 1,63 m), décoré sur l’intrados et la face de parement (ibid. : 626-627) de deux dauphins et d’un éventuel monstre marin. Cet élément d’arc ou de porte a été découvert à proximité du decumanus qui relie le centre monumental à la voie de Cahors et à proximité de l’amphithéâtre. Deux fragments de corniches à modillons et un fragment de frise ont également été mis au jour à 100 m du decumanus. L’amphithéâtre de Rodez n’est que partiellement connu grâce aux fouilles réalisées par Lunet en 1852. Les propositions de restitution offrent un édifice de 110 x 97 m hors tout (41,50 x 29,50 m pour l’arène). Il est implanté au nord-ouest du noyau urbain. Parmi les éléments conservés, un passage vouté d’accès à l’arène, situé sous la rue de l’Amphithéâtre est accessible depuis la rue Saint-Michel, mesure 0,40 m de hauteur et 7,13 m de longueur. Un petit tronçon du mur de la cavea (1,16 m d’épaisseur) est conservé dans une cave au n°10 de la rue de l’Amphithéâtre (ibid. :

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629-631). Un aqueduc en provenance de Vors (environ 15 km de Rodez) alimentait la ville jusque dans sa partie haute après un parcours de 25 km (Gruat, Malige, Vidal 2011 : 376). Cet apport était complété par différents puits retrouvés au sein de la ville. Des égouts en petit appareil vouté sont également signalés (Dausse, Gruat, Pailler in Mangin, Tassaux 1992 : 138). Quelques tronçons de rues pavées de cailloutis ou de dalles de grès ont été mis au jour ainsi qu’une grande variété d’habitats possédant hypocaustes, mosaïques, bassins et enduits peints.

Des activités de mosaïstes, stucateurs et marbriers ont été reconnues au sein de la ville ainsi que de l’extraction en carrière (ibid. : 138).

2.4.2. Les agglomérations rutènes, état des recherches

La cité des Rutènes est restée sans liste d’agglomérations jusqu’en 2007 (Pisani 2011), si l’on excepte celle proposée par M. Mangin et F. Tassaux (1992). Avant cette date, seuls les travaux d’A. Albenque en faisaient la mention. L’ouvrage qu’il publie en 1948 montre l’intérêt de l’auteur pour cette question à travers trois cas : Condatomagus, Ad Silanum et

Carantomagus. Il ne réalise cependant aucune synthèse pour l’ensemble de la cité. En 2007,

P. Pisani présente au colloque sur les Rutènes une communication qu’il débute par une citation d’A. Albenque : « Nous ne savons absolument rien de l’organisation administrative des campagnes rutènes » (Pisani 2011 : 637). La publication du colloque, en 2011, constitue la première étude d’ensemble, puisque jusqu’à cette même année, il n’existait aucun volume de la Carte archéologique de la Gaule pour l’Aveyron et le volume du département du Tarn (CDAT 1995) n’aborde pas cette question. Dans son article, P. Pisani, après un état des lieux, présente rapidement la problématique des agglomérations, ou plus précisément des vici, terme qui emporte son adhésion. Il explicite la démarche qu’il a suivie pour établir la liste des agglomérations. Son point de départ correspond aux publications d’A. Albenque. Ces dernières sont complétées par la Table de Peutinger et la liste de M. Mangin et F. Tassaux. Après avoir présenté cette liste sous la forme d’un tableau (Fig. 17), l’auteur entreprend une synthèse qu’il organise selon différentes thématiques : les agglomérations aux origines protohistoriques, les agglomérations créées après la conquête et l’organisation du territoire.

Sur l’origine des agglomérations, P. Pisani constate que l’indigence des données ne permet pas de dater l’apparition du phénomène urbain mais il montre cependant que durant les deux derniers siècles avant notre ère, le territoire rutène possède plusieurs pôles de peuplement s’apparentant à des oppida (ibid. : 641). Dans cette catégorie, l’auteur range les sites d’Albi (Tarn), Montans (Tarn), les agglomérations « polynucléaires » de Millau

125 (Aveyron), et Castres (Tarn). Pour la seconde thématique, l’auteur présente les agglomérations « routières » de Compolibat (Aveyron), de l’Hospitalet-du-Larzac, de Vèzes puis les « agglomérations-sanctuaires » du Puech de Buzeins (Aveyron), de Salles-la-Source (Aveyron) et d’Onet-le-Château (Aveyron). Il termine avec les agglomérations probables d’Espalion (Aveyron) et de Séverac-le-Château (Aveyron), et l’agglomération minière de La Bastide-l’Évêque (Aveyron ; ibid. : 656-672). Dans sa dernière partie, l’auteur s’interroge, entre autre, sur le rôle économique et politique des agglomérations dans leur implantation. Il fait ressortir que toutes les agglomérations sont connectées au réseau des voies importantes hormis les sites localisés sur les marges de la cité. Il note aussi un rôle important des cours d’eau, sauf dans quelques cas, et plus particulièrement des points de rupture de charge (ibid. : 673). L’implantation topographique se répartit entre sites de hauteur et sites de plaine (principalement pour les créations après conquête). À la fin de son article, il tente de rechercher le territoire des agglomérations. Pour cela, il met en œuvre le modèle des polygones de Thiessen, tout en s’interrogeant sur l’occupation du sol de l’ensemble de la cité, sur la toponymie et l’implantation des sanctuaires ruraux (ibid. : 673-675). En conclusion, il fait ressortir un corpus trop lacunaire pour pouvoir sereinement aborder les questions d’implantation, de répartition, de morphologie et d’organisation de la cité. Enfin, sur les 26 sites qu’il a recensés, il n’en retient que 11 comme agglomérations avérées. Il met aussi en avant la pérennité de l’occupation d’une majeure partie des agglomérations antiques au travers des villes actuelles dont le développement limitent l’apport des connaissances s’il n’y a pas un accroissement des opération d’archéologie préventive (ibid. : 675).

Le paragraphe consacré aux agglomérations dans la récente publication de la Carte

archéologique de la Gaule pour l’Aveyron (Gruat, Malige, Vidal 2011) résume en quelques

lignes la présentation des sites de l’article de P. Pisani sans pour autant en mentionner la liste complète.

Enfin, une importante monographie en deux volumes a été publiée en 2007 sur le site de Millau (Schaad 2007). Elle retrace l’ensemble des découvertes sur la commune et fait le point sur les dernières hypothèses et analyses sur l’agglomération et ses alentours (volume 1) mais aussi sur la production céramique (volume 2).

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