• Aucun résultat trouvé

PARTIE 1 CADRES DE L’ÉTUDE : HISTORIOGRAPHIE, MODÈLES ET DÉBATSCADRES DE L’ÉTUDE : HISTORIOGRAPHIE, MODÈLES ET DÉBATS

1.1. Naissance de la problématique en France

1.2.2. L’atlas de Franche-Comté et la définition d’ « agglomération secondaire »

Premier véritable atlas régional, la publication de M. Mangin, B. Jacquet et J.-P. Jacob, sur la Franche-Comté romaine en 1986, représente aussi un des principaux fondements de la problématique (Fig. 7). En effet, les pages d’introduction présentent la définition des agglomérations « secondaires » encore utilisées aujourd’hui. Dès l’avant-propos, M. Mangin replace ce dossier dans son contexte et ses lacunes. Il s’agit pour l’auteur d’avoir le « courage » de proposer des bilans partiels et un corpus d’« habitats groupés » du territoire d’une cité sans qu’il soit dans le même temps possible de fournir une synthèse sur le chef-lieu et sur l’habitat rural. Sa volonté est de mettre à disposition un corpus, élément encore trop rare pour la Gaule romaine, et ainsi de rattraper le retard pris sur les voisins Suisse, Allemand ou Anglais. Il veut fournir des éléments de comparaison et mettre fin à des « généralisations abusives » (Mangin, Jacquet, Jacob 1986 : 13). Sans entrer dans le détail des notices, M. Mangin précise que chacune d’elles a été réalisée par le « spécialiste » du site considéré en suivant le modèle proposé par le CICA (défini à Milan en 1970) offrant ainsi des présentations homogènes.

Dès la première page, M. Mangin introduit ou réintroduit les termes d’ « habitats groupés » (catégorie de sites duquel il exclut les chefs-lieux de cités au contraire de P.-A. Février et P. Leveau en 1982) et de « groupements habités ».

M. Mangin et B. Jacquet débutent l’introduction par la définition de la ville dans l’Antiquité. Ils rappellent que pour l’antiquité gréco-romaine, polis, urbs, municipium, colonia et civitas, s’ils sont traduits en français sous le terme générique de ville, correspondent à des réalités juridiques précises (ibid. : 17). Ils mentionnent, de même, qu’avant ou après Auguste, un peuple, une cité, n’a qu’une seule capitale et donc qu’une seule ville au sens de metropolis (capitale) avec plusieurs kômé (bourg) qui peuvent être répartis sur le territoire. La définition de la ville de la période des cités grecques ne peut plus, pour les auteurs, s’appliquer à la ville du Haut-Empire, puisqu’elles ne peuvent bénéficier d’institutions politiques autonomes, d’un statut de citoyen indépendant car les capitales sont sous l’autorité centrale de Rome (id.). Si la ville antique se définit comme le lieu de l’exercice politique et administratif, ce terme ne peut alors s’appliquer qu’aux capitales de cités. Cependant, M. Mangin et B. Jacquet rappellent que pour le géographe moderne, la fonction politique n’est pas le seul élément pris en compte pour la définition de la ville. Ceci étant dit, les auteurs, évacuent dans un second temps les « villes » de leur étude pour se consacrer aux « groupements » pour lesquels ils tentent de proposer une définition et une terminologie. Puisque la seconde partie de l’introduction

38

s’intitule « Les agglomérations secondaires antiques », les auteurs débattent du terme d’agglomération, qui, s’il est insatisfaisant en raison de son double sens pour le géographe actuel – un groupement dépassant la ville et un groupement de niveau inférieur à la ville – du fait de son imprécision, reste préférable à celui de vicus. Ils se justifient en raison des difficultés liées à l’emploi multiple du terme de vicus par les auteurs antiques et la présence d’inscriptions mentionnant ponctuellement ce terme pour certains groupements. Quant au terme de « secondaire » il n’est utile, pour les auteurs, que pour faire la distinction avec la capitale et rappeler la dépendance à la « ville ». Conscient du choix « arbitraire » (ibid. : 18) qu’ils proposent, les auteurs définissent les agglomérations secondaires comme « tous les sites archéologiquement attestés qui se situent entre la ferme ou la villa isolée et la capitale de cité : du “ village ” de paysans et de la station routière modeste à l’agglomération dont “ le paysage est très proche de celui de la ville chef-lieu de cité ” ». C’est cette définition qui est depuis régulièrement reprise lorsqu’il s’agit d’expliciter les réalités recouvertes par le terme d’agglomération secondaire. Si les auteurs arguent en faveur de ce choix, suffisamment imprécis pour englober toutes les réalités et transcender la question du vicus, ils admettent qu’il existe cependant deux grandes formes distinctes : le village qui correspond au « hameau de dépendants » du domaine rural (la villa) ou à un groupement lâche d’habitats avec ou non des monuments publics mais qui se caractérise uniquement par une fonction agricole et l’agglomération qui, elle, présente des fonctions diversifiées qui peuvent être rurales, artisanales, commerciales, voire d’administration secondaire et pouvant présenter un caractère urbain plus ou moins développé. C’est dans cette seconde catégorie que les auteurs proposent de classer ce que leurs prédécesseurs ont appelé : vici ruraux, bourgs, bourgades ou petites villes et villes secondaires pour celles possédant un équipement monumental (ibid. : 18). Afin de compléter leur propos, ils s’intéressent à l’apport de la géographie et des définitions de la ville pour les géographes modernes. Ainsi, pour M. Mangin et B. Jacquet, la géographie permet d’accepter d’appliquer le terme de ville aux agglomérations puisque « ces centres secondaires aux activités artisanales, commerciales et religieuses […], relèvent de la dénomination de ville, au sens géographique large qu’on lui attribue » (id.). Au sujet de leur répartition dans l’espace de la cité, ils mettent en avant un « réseau urbain avec des mailles à ouverture plus ou moins petites » et l’existence d’une « hiérarchie entre ces différents centres urbains ». Les auteurs étayent leurs propos en rappelant que si les géographes ne savent pas donner une définition de la ville, celle-ci doit présenter un certain nombre de caractéristiques qui varient selon si l’étude porte sur l’entité « ville » (situation, site, paysage, étape de la croissance, activités et répartition, géographie sociale, nombre d’habitants sont alors pris en

39 compte) ou sur le réseau urbain et le rapport de la ville avec les autres villes et la campagne (taille de la ville, diversité et importance des fonctions permettent alors d’estimer son rayonnement). Il ressort de ces rappels deux éléments qui peuvent nous intéresser :

- « Les fonctions d’accueil, administratives, politiques, culturelles, industrielles, commerciales, donnent à une agglomération un caractère urbain plus ou moins prononcé selon leur degré de concentration. Elles contribuent à l’enrichir et à lui donner un pouvoir sur sa périphérie » (ibid. : 19).

- « La ville se place alors à un des niveaux de la hiérarchie urbaine dont le premier élément peut être le village-centre, le bourg ou la petite ville, à la limite du rural et de l’urbain et pour lesquels ni l’effectif de population ni l’urbanisme ne font la différence, mais seulement certaines activités et un peu le genre de vie » (ibid. : 19).

Ces remarques, sorties du cadre de la géographie moderne, peuvent être reprises pour une étude des agglomérations antiques à travers une série de descripteurs fonctionnels, tel qu’il en sera question ultérieurement.

Cette introduction de la publication du corpus des agglomérations de la Franche-Comté met en place d’importants éléments méthodologiques qui jusqu’ici n’avaient pas été exprimés : la nécessité de constituer des corpus « dans l’état » afin de construire des discours sur des données archéologiques, l’utilisation de notices normalisées, la prise en compte du territoire propre à chaque site, l’ouverture vers la géographie moderne pour dépasser les querelles sur les termes antiques et mettre à profit les réflexions des géographes en sachant les adapter aux données archéologiques disponibles.

Le corpus s’achève sur l’ébauche d’une analyse à partir de la mise en place de tableaux de synthèse (Fig. 8). Les auteurs mettent en avant d’importantes lacunes (ibid. : 213) en raison de l’absence de recherche programmée sur cette thématique. Celle-ci explique pourquoi, au sein du corpus, « une dizaine de sites en restent au stade de la compilation de la documentation ancienne » (ibid. : 213). Les tableaux mis en œuvre initient là encore un modèle méthodologique qui sera repris jusqu’à aujourd’hui avec quelques modifications des champs pour les adapter aux données spécifiques des corpus régionaux. Le premier tableau, « Topographie, monument, urbanisme », met en lumière des organisations structurées en quartiers avec des axes orthogonaux et des organisations plus linéaires le long d’une seule voie (ibid. : 214) mais aussi d’importantes lacunes dans la connaissance de l’apparat monumental et de l’habitat. Le deuxième tableau permet un bilan des activités économiques. Il montre une diversité des activités et l’importance de l’artisanat de la terre cuite et de la métallurgie. Ces activités sont synthétisées dans le troisième tableau selon différents pôles :

40

administratif, religieux, rural, transport, production auxquels est adjointe la superficie minimale, certaine, maximale, de dispersion, de l’agglomération. Dans le dernier tableau les chercheurs s’attachent à visualiser l’évolution chronologique des sites. L’analyse permet de distinguer différentes phases : des sites qui deviennent perceptibles à partir de l’époque julio-claudienne, un développement important à l’époque flavienne, une rupture à la fin du IIe siècle et quelques renaissances et persistances à partir de Constantin (ibid. : 224).