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Type II : les bourgs et bourgades se distinguant des villes précédentes par l’absence

1.3. Les premiers corpus

1.4.1. Le dossier Villa/Vicus de la Revue Archéologique de Narbonnaise (n°35, 2002)

Dans la présentation du dossier Villa/Vicus, P. Garmy et P. Leveau (Garmy, Leveau 2002 : 1) exposent un désir collectif de « pouvoir définir des critères objectifs permettant de ranger le site étudié avec certitude dans l’une des deux typologies, celle de la villa et celle du

vicus, admises par la communauté, comme cela existe pour des objets. Mais la villa et le vicus

ne sont pas des objets archéologiques comme le sont les céramiques ». P. Leveau poursuit par l’introduction du dossier en s’intéressant notamment aux termes villa et vicus, aux incertitudes et difficultés d’interprétation de certains sites. Il débute par la présentation des multiples sens du terme de villa en insistant plus particulièrement sur l’évolution au Ve siècle de la réalité ainsi désignée qui devient une circonscription administrative. Il profite de cette mise au point pour réaffirmer l’existence d’une confusion entre « rural » et « agricole » et s’appuie sur l’exemple de Pompéi pour affirmer qu’ « à la campagne, tout n’est pas agricole et la ville antique n’exclut pas les activités agricoles » (Leveau 2002 : 8). Le développement sur les termes de vicus, mansio et mutatio met en avant une séparation de point de vue entre historiens ou épigraphistes pour qui, le terme de vicus ne peut s’appliquer que s’il y a une attestation antique, et les archéologues. De fait, cela distinguerait une catégorie d’agglomérations dotées d’édifices importants (ibid. : 9). L’auteur met cependant en avant la tendance à vouloir donner un sens juridique au terme de vicus. Il s’appuie sur les textes de Festus (De significatione verborum11) et Isidore de Séville (Etymologiae, XV, 2, 1112) qui

11 Sextus Pompeius Festus : « Vici… appellari [in]cipiunt ex agris, qui ibi villas non habent, ut Marsi aut

Peligni. Sed ex vic[t]is partim habent rempublicam et ius dicitur, partim nihil eorum et tamen ibi nundinae aguntur negoti gerendi causa, et magistri vici, item magistri pagi quotannis fiunt. Altero, cum id genus aedificio[orum defi]nitur, quae continentia sunt his oppidis, quae – intineribus regionibusque distributa inter se distant, nominibusque dissimilibus discriminis causa sunt dispatarta. Tertio, cum id genus aedificiurum definitur, quae in oppido privi in suo quisque loco proprio ita aedifica[n]t, ut in eo aedificio pervium sit, quo itinere habitatores ad suam quisque habitationem habeant accessum. Qui non dicuntur vicani, sicut hi, qui aut in oppidi vicis, aut hi, qui in agris sunt, vicani appellantur : On emploie tout d’abord le terme de vici pour désigner

les territoires qui, en ces endroits, n’ont pas de villae comme c’est le cas chez les Marses et les Péligniens qui n’ont pas de villae. Mais, parmi ces vici, les uns possèdent une organisation politique et ont le droit de rendre la justice, les autres n’ont rien de tout cela et, cependant on y tient des marchés (nundinae) pour faire du commerce, et des magistri vici ainsi que des magistri pagi y sont élus chaque année. En second lieu, quand on désigne une catégorie de constructions qui sont continues dans les villes qui sont réparties en rues et en quartiers et sont distantes les unes des autres, et sont distinguées, pour éviter toute confusion, par des noms différents. En troisième lieu, quand on désigne une sorte de constructions que des particuliers édifient dans une ville, chacun sur un terrain lui appartenant, de telle façon que dans cette construction un passage soit praticable afin que, par ce chemin, chacun de ceux qui l’habitent ait accès à son domicile. Ces derniers ne sont pas dits vicani comme ceux qui se trouvent dans les vici d’une ville ou dans le territoire et sont appelés vicani » (Festus, éd. Lindsay p. 502, 508, trad. J. Gascou,).

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proposent des définitions des termes de vici, castella et pagi pour développer son point de vue sur l’application du terme de vicus dans une acception générale. P. Leveau retient la définition du vicus comme « groupement d’hommes » où le vicus se distingue du castellum par l’absence de rempart (ibid. : 10). Quant aux termes de mansio et mutatio, l’auteur rappelle qu’il s’agit d’établissements de nature différente qui n’apparaissent qu’avec l’instauration du

cursus publicus. La mutatio est alors un simple relais qui permet de changer les équipages

alors que la mansio offre la possibilité de passer la nuit et comporte donc des constructions plus vastes (lieux de stockage, étables, auberges, …). Enfin, il met en garde sur le fait qu’une

mutatio nommée dans un itinéraire ne correspond pas obligatoirement à une

agglomération (ibid. : 11). Cette question est développée à partir d’exemples à la fin de l’introduction. P. Leveau met en exergue certains bâtiments d’accueil qui n’ont aucun rapport avec le cursus publicus (La Brune-d’Arles) et qui restent mal connus. Il fustige ensuite les archéologues qui ont tendance à désigner tel ou tel site comme lieu d’accueil sans discuter les données archéologiques de manière indépendante mais en se fondant sur le calcul de distance depuis une station connue (ibid. : 21). Pour l’auteur, ces réalités complexes doivent être abordées par des méthodes adaptées qui dépassent la typologie prédéfinie avec des cases à remplir et s’appuyer sur les méthodes de classement développées dans

Archaeomedes (ibid. : 11). À la suite de P. Leveau, P. Garmy déplore l’absence d’études

combinées des formes de l’habitat rural et de l’habitat groupé pour une approche globale de l’organisation des territoires (Garmy 2002 : 27). Malgré la réticence, exprimée par P. Garmy, de certains chercheurs à utiliser les termes latins, l’auteur précise qu’il emploie les termes de

villa et de vicus dans le sens d’habitat dispersé et d’habitat aggloméré (ibid. : 28). Il revient

sur plusieurs affirmations et reprend à son compte les propos de M. Tarpin d’après qui « des témoins archéologiques et littéraires attestent sans ambiguïté à travers les provinces d’un bornage possible du territoire du vicus (Tarpin 1985 : 159-162). Par ailleurs, on connaît maints exemples épigraphiques de magistratures exercées dans le ressort du vicus (ibid. : 601-617) que ce soient des charges spécifiques, magistri et praefecti ou des charges municipales

12 « Vici et castella et pagi hi sunt qui nulla dignita civitatis ornantur, sed vulgari hominum conventu incoluntur,

et propter parvitatem sui majoribus civitatibus adtribuntur. Vicus autem dictus ab ipsis tantum habitationibus, vel quod vias habeat tantum sine muris. Est autem sine munitione murorum ; licet et vici dicantur ipsae habitationes urbis. Dictus autem vicus eo quod sit vice civitatis, vel quod vias habeat tantum sine muris : Les vici, les castella et les pagi sont [des localités] qui ne sont en rien pourvues de la dignité d’une cité, mais sont

habitées par un simple groupement d’hommes et, en raison de leur petite taille, sont attribuées à des cités plus grandes. Le vicus tire son nom seulement des habitations mêmes, ou bien du fait qu’il a seulement des rues (vias) sans remparts. Il n’est pas fortifié par des remparts ; bien que l’on donne aussi le nom de vici aux habitations mêmes d’une ville. Le vicus tire son nom du fait qu’il est « à la place » (vice) d’une cité, ou bien qu’il a seulement des rues (vias) sans remparts » (trad. J. Gascou).

67 classiques » (Garmy 2002 : 28). L’auteur rejette par la suite l’idée de l’existence de bourgs indigènes descendant de la Protohistoire et restés à l’écart de toute forme de romanité (ibid. : 29). Il met à mal également les volontés typologiques qu’il considère comme des « impasses méthodologiques » (ibid. : 29) que cela soit pour les agglomérations ou pour les villae (ibid. : 30). Il met par contre en avant le modèle des places centrales de Christaller, complété par Lösh, qui est décrit comme robuste « particulièrement quand on l’emploie pour modéliser des situations antérieures aux bouleversements du XXe s. » (id.). P. Garmy propose d’adapter la méthode, notamment la définition des seuils (des effectifs de population en géographie) pour observer les seuils d’apparition de thermes, d’édifices de spectacles, de sanctuaires, d’aqueducs, … (ibid. : 31). Pour cela, il spécifie qu’il ne faut plus envisager chaque pôle isolément mais garder à l’esprit qu’ils sont tous en interaction permanente au sein d’un territoire dont ils constituent l’armature. Les évolutions historiques sont elles aussi à étudier de manière globale en prenant en compte le principe de résilience. L’espace idéal pour mener ce type d’étude est le territoire de la cité même si l’approche micro-régionale permet d’appréhender les relations entre l’habitat groupé et l’habitat rural et apporte des informations complémentaires (ibid. : 32-33). Fervent partisan des analyses statistiques (AFC et CAH) telles que développées dans le programme Archaeomedes, P. Garmy admet que les tentatives existantes n’ont pu faire la distinction entre villae et agglomérations. De fait, les deux formes se retrouvent toutes deux dans les catégories les plus élevées en raison des descripteurs utilisés qui ne prennent pas en compte l’aspect administratif. Pour le chercheur, villa et agglomération sont deux « catégories radicalement différentes que l’on ne peut pas traiter sur le même plan dans l’analyse globale » (ibid. : 34). Ainsi un système d’agglomérations se caractérise par des niveaux hiérarchiques entre elles ce qui n’est pas le cas pour les villae (sans remettre ici en question la variabilité des tailles) puisqu’elles répondent à une logique d’appropriation privée d’un territoire à des fins de production et de résidence (ibid. : 35). Il défend enfin la théorie des systèmes auto-organisés proposée dans Archaeomedes qui permettent d’expliquer « pourquoi il n’existe pas de modèle urbain romain ni de modèle de réseau de villes « à la romaine » mais une infinie variabilité de situations locales ou régionales » (id.). En conclusion, plus que vers la typologie, l’auteur exhorte les chercheurs à se tourner vers les analyses statistiques et spatiales qui « ont montré leur capacité de renouvellement des problématiques et des méthodes » (id.) avant de défendre la notion de « modèle » (ibid. : 36). L’illustration de l’emploi de méthodes statistiques se retrouve dans l’article de F. Bertoncello. Son objectif est de tester des critères qui permettraient de distinguer à partir de données de prospection un habitat groupé et un habitat rural. Après avoir

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montré les limites des typologies proposant des catégories a priori (Bertoncello 2002 : 40), l’auteur expose dans les grandes lignes les principes des analyses statistiques (Analyse Factorielle des Correspondances et Classification Ascendante Hiérarchique) : description standardisée des sites, classification automatique selon les profils des sites, … et renvoie à l’expérience d’Archaeomedes. Elle propose un test sur 93 sites de la cité de Fréjus à partir de 5 variables (Superficie, Matériaux de construction, Variété du mobilier, Niveau Fonctionnel, Durée d’occupation) représentant un total de 22 caractères (ibid. : 41). Le résultat aboutit à la différenciation de 11 classes de sites avec des effectifs compris entre 2 et 26 sites. Hormis la classe la plus élevée qui intègre le chef-lieu et une agglomération importante : Forum Voconii, les autres classes regroupent indifféremment des sites traditionnellement considérés comme habitat rural et habitat groupé. F. Bertoncello admet que « la Classification Ascendante Hiérarchique […] ne rend donc qu’imparfaitement compte de la distinction entre habitat groupé et villa » (ibid. : 47). Cependant, l’auteur met en évidence l’opérabilité de la méthode si l’on considère chaque type d’habitat indépendamment l’un de l’autre. Elle tente ensuite de justifier pourquoi « ce qui n’apparaît pas dans la classification, c’est la hiérarchie commune combinant ces deux types d’établissements » en considérant que cela vient de l’appareil descriptif utilisé qui ne comprend aucun descripteur spécifique à l’une ou l’autre des formes d’habitats (ibid. : 50). Cette observation n’est cependant pas étonnante contrairement au souhait de vouloir effectuer une hiérarchisation commune de deux réalités différentes13 à partir de descripteurs identiques, réduisant au passage le chef-lieu au même rend hiérarchique que les plus grandes villae. En effet, après avoir mené une réflexion sur un éventuel critère prenant en compte le raccordement au réseau viaire à travers trois descripteurs : distance aux voies principales, nombre de chemins desservant un site et nombre de relations linéaires entre les sites, et annoncé l’impossibilité de les mettre en œuvre en raison de la méconnaissance du réseau antique, l’auteur tente de définir un classement hiérarchique regroupant l’ensemble des formes d’habitats. À partir des résultats des AFC, F. Bertoncello définit 4 niveaux hiérarchiques. Le premier (18 sites) comprend le chef-lieu, Forum Voconii et 16 villae, le second (24 sites) regroupe 8 villae, 3 habitats groupés et 13 sites mal connus mais sans doute correspondant à de l’habitat rural, le troisième niveau (30 sites) inclut 1 villa et 2 habitats groupés, enfin le quatrième totalise 21 sites (ibid. : 52-54). L’étude de la répartition géographique des niveaux hiérarchiques montre une domination des villae de niveau 1 dans la

13 Le fait qu’il s’agisse de deux réalités différentes, que l’une et l’autre présentent en leur sein de nombreuses variabilités et devant donc être étudiées indépendamment l’une de l’autre a déjà plusieurs fois été affirmé par divers auteurs, notamment par P. Garmy dans l’article qui précède (Garmy 2002).

69 plaine avec un fort pouvoir polarisant tandis que le massif des Maures « conserverait une organisation villageoise, peut-être plus traditionnelle » (ibid. : 56). Cette classification hiérarchique montre que le réseau autour de Forum Voconii est faible mais pire, le chef-lieu paraît isolé puisque l’auteur note, concernant les habitats ruraux, « leur absence en périphérie immédiate de Fréjus ». Ce constat amène l’auteur à revenir sur la méthode et à affirmer qu’il ne faut pas traiter ensemble les habitats ruraux et les habitats groupés (id.).

Les articles suivants, loin des débats méthodologiques traitent d’exemples de sites, d’habitats ruraux ou d’habitats groupés en Narbonnaise dont les interprétations peuvent poser question et varier selon l’avancement des recherches. S’ils peuvent présenter un intérêt pour d’éventuelles comparaisons ou illustrer des cas particuliers, il n’est pas nécessaire de revenir sur ces exemples dans le cadre de ce chapitre. Il ressort cependant à leur lecture que les difficultés d’interprétation ne peuvent être levées qu’avec un retour sur le terrain, et encore… Il est intéressant de s’arrêter quelques instants sur l’article de L. Buffat, M. Christol, E. Pélaquier et H. Petitot portant sur les sites de Saint-Loup et Beaufer-Dominargues et leur interprétation comme villa ou agglomération. Après la présentation des deux sites et de leur environnement (Buffat et al. 2002 : 199-236), les auteurs mettent en avant les limites de l’utilisation de l’épigraphie pour faire les distinctions et s’interrogent sur d’autres critères. Ils mettent en avant la position topographique au regard d’un oppidum et relèvent qu’une implantation proche (déplacement en contrebas, sur le versant, ou maintien sur le sommet) correspond souvent à une agglomération (Nages, Mauressip, Le Marduel, Ambrussum par exemple). La position sur un axe de communication mis en place par le pouvoir romain a toutes les chances de révéler une agglomération si l’on tient compte de l’interdiction des habitats privés au contact de ces voies (ibid. : 236). Cependant, la limite de l’exercice est induite par l’état des connaissances des réseaux routiers et de leur hiérarchie. L’analyse du territoire peut aussi permettre de se prononcer sur une interprétation mais là encore de nouvelles limites apparaissent liées aux relations entre agglomérations et villae (ibid. : 237). Dans son article, A. Bouet (2002 : 289-312) démontre l’intérêt de reprendre l’étude de certains plans d’édifice thermal pour des sites dont l’interprétation comme agglomération ou

villa n’est pas assuré. Leur mise en série, l’étude de leur superficie et de leur plan permet de

se prononcer, en réalisant des comparaisons avec d’autres sites connus, sur leur caractère privé ou public et donc de définir si leur implantation prend place dans une agglomération ou dans un habitat rural. Pour mener à bien cette étude, l’auteur s’appuie sur plusieurs exemples dont celui d’Onet-le-Château dans la cité des Rutènes. P. Leveau et P. Garmy concluent le dossier en fustigeant les historiens et les épigraphistes qui interdisent aux archéologues

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l’emploi générique du terme de vicus pour le réserver aux cas attestés par une inscription (Leveau, Garmy 2002 : 315). Pour les auteurs il « s’agit bien d’une terminologie d’attente. Acceptable à condition de ne pas entretenir l’illusion de ce que la solution puisse être dans les mots, elle n’interdit pas d’utiliser le terme usuel de « village » et une terminologie empruntée au latin » (ibid. : 314).