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Une mise à distance de la réalité somatique est une condition nécessaire pour la constitution d‟un espace psychique. Pour se repérer dans la théorie du corps implicite au discours

analytique, Paul-Laurent Assoun propose de distinguer trois registres : le somatique, le physique, l‟organique. Il définit le somatique comme le lieu où se forme le symptôme Ŕ la conversion hystérique par exemple. L‟espace somatique est le lieu du corps soumis aux effets du désir inconscient. C‟est l‟espace du corps pris dans les effets de langage et de vérité à partir duquel Freud a déchiffré le symptôme hystérique et déduit ses premières avancées théoriques.

Deuxièmement, le registre physique définit la dimension du corps libidinal et narcissique. C‟est le corps investi par la libido et soumis aux investissements narcissiques en rapport avec l‟instance du moi.

Troisièmement, l‟organique désigne le fond et l‟origo du vivant. C‟est en quelque sorte la matière réelle qui fonde les niveaux ultérieurs structurés du corps somatique et physique.

D‟autre part, il propose le carré1

suivant pour distribuer le corps dans la métapsychologie freudienne :

Pulsion --- Pulsion de Mort

Narcissisme --- Moi-corps

Il est possible de reconnaître la répartition de la réalité du corps dans les registres symbolique et imaginaire. Le niveau inférieur sera développé dans notre partie suivante sur le corps imaginaire. L‟organique qui nous occupe ici serait donc le corps réel, irreprésentable comme tel mais fondateur de la construction subjective du corps. Nous proposerons plus loin

d‟insister sur la valence dynamique de l‟organique en tant que corps morcelé.

Paul Laurent Assoun travaille le registre du « refoulé organique » et mentionne que l‟organique pose la question du réel. Cette question centrale permet à la réflexion métapsychologique sur le corps d‟éviter deux écueils1

:

Le premier consiste à situer l‟organique comme la pierre de touche de la corporéité et à exclure le registre signifiant qui le structure et le traverse. C‟est l‟écueil du discours de la science et de la logique médicale qui réduit le corps au statut d‟objet anatomique visible et lisible. Cet écueil est une méconnaissance des effets de la structure symbolique sur la réalité corporelle.

Le second écueil consiste à psychologiser et dénier le moment réel du corps en le renvoyant à un « imaginaire » psycho-somatique. Il s‟agit du primat accordé à la pulsion et au fantasme qui fonctionne sans l‟anatomie mais sépare trop brutalement le corps anatomique et le corps fantasmatique comme deux réalités distinctes.

Notre pratique auprès de patients touchés par la maladie létale oriente cette recherche et indique plutôt que le corps imaginaire qui structure l‟identité subjective et le rapport à l‟altérité sont travaillés de l‟intérieur par un corps morcelé que l‟on ne peut négliger. La complexité métapsychologique tient à cette connexion, qu‟il faut maintenir, entre deux logiques sur le réel. Il ne s‟agit pas, on l‟aura compris, de concilier psychè et soma ou de donner son complément psychique à l‟anatomie ni d‟affirmer un incertain primat au

psychologique, mais de tenir ensemble la réalité anatomique et les effets invisibles du langage de l‟inconscient et de la jouissance des organes.

Ainsi, il nous semble primordial de commencer cette partie sur la métapsychologie du corps par l‟importance de sa dimension organique et réelle. Le geste inaugural de Freud commence par extraire le corps organique de sa réduction au support anatomo-pathologique. Le corps est pris dans un réseau de paroles et traversé par des articulations signifiantes.

Ce que nous cherchons dans cette partie sur le corps réel est cette réalité qui file entre le corps mort de l‟anatomie et le corps vivant pris dans les pensées inconscientes. A travers les

interstices des coupures cartésienne et freudienne s‟indique la matière du corps morcelé et prématuré.

Lacan va proposer un dualisme différent pour situer le corps dans le champ analytique et sa théorie. Il s‟agit du corps spéculaire et du corps morcelé. Nous continuons cette partie sur le corps réel en accentuant l‟importance du corps morcelé dans la vie psychique.

Le réel organique du corps qualifie ainsi son inachèvement, sa néoténie, sa mortalité. A différents endroits de sa théorie, Freud insiste sur la prématuration du nouveau-né et l‟épreuve fondamentale de détresse ou de déréliction. Quelle est cette détresse ? A quoi correspond- elle ? Comment l‟articuler avec la dimension réelle et organique du corps ?

Dès 1895, dans son texte sur L‟esquisse d‟une psychologie1

, il inaugure la naissance de la

psychè en rapport avec une expérience corporelle déterminée.

Pour Freud, le corps est une source permanente d‟excitations qui oblige un travail psychique pour lier l‟énergie aux représentations, pour symboliser ce qui vient du corps.

Dans ce texte, Freud dessine une configuration originelle à propos de l‟importance de l‟action du proche pour la survie de l‟enfant, le croisement d‟interprétations entre le cri, l‟appel de l‟enfant et la réponse de l‟autre, la marque de l‟expérience de satisfaction et ce que cela enclenche. Freud construit un système nerveux, un corps qui reçoit des impressions et des marques. Il insiste aussi sur la première expérience de satisfaction et le mouvement qu‟elle produit. L‟appareil psychique, sa logique de recherche, son mouvement de désir en tant que ce qui cherche l‟identité de pensées, l‟activité même de la pensée comme substitut au mécanisme initial de l‟hallucination : toute cette complexité rassemblée dans ce projet nous montre à ciel ouvert l‟ancrage du psychisme dans la réalité corporelle.

Freud montre le rapport entre le corps démuni de l‟enfant et la présence du prochain qui prodigue des soins, profère des réponses et maintient une attention à ce que vit l‟enfant.

Fondamentalement inachevé, le nourrisson est dans une dépendance à l‟Autre sans lequel il ne peut vivre. Cette présence de l‟Autre est médiatisée par les soins, l‟attention, les paroles. La prématuration détermine l‟importance de la maîtrise et l‟unité anticipée, mais elle caractérise aussi un rapport de dépendance avec l‟Autre.

Un pas supplémentaire nous introduit à la dimension de la détresse et de la déréliction. On définit la détresse en rapport avec la prématuration du nourrisson et la nécessité vitale de la présence de l‟Autre. Ce dernier prête attention aux mouvements corporels de l‟enfant, à ses cris et ses appels. Il prend soin de cet être vulnérable et sans puissance. La déréliction caractérise l‟état premier de l‟infans et la limite indépassable à partir de laquelle s‟inscrivent l‟angoisse de la perte et de l‟absence. En effet, l‟enfant commence par vivre la non-présence de l‟Autre comme un laisser tomber irréversible et insécurisé.

Freud distingue le progrès réalisé quand la situation de désaide n‟est plus attendue sans rien faire mais pleinement attendue. De plus Freud situe l‟enfant en état de désaide moteur et de désaide psychique.