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DEUXIEME CHAPITRE LE CORPS NECESSAIRE

« Nos voix résonnent à la gloire de ta venue. Statue nouvelle Dans un musée rempli de courants d’air. Ta nudité Menace notre sécurité. Nous t’entourons comme des murs ébahis. Je ne suis pas plus ta mère Que le nuage qui distille un miroir où longuement se refléter Avant de disparaître au gré du vent. » Sylvia Plath

Nous avons défini le rapport de la mort avec l‟appareil psychique à partir du mode de l‟ignorance « il ne savait pas qu‟il était mort ». Le savoir masque et protège de l‟ignorance nécessaire de la mort. L‟homme vit dans « le savoir de la mort en général qui le protège du non-savoir de sa mort particulière, effective. »1

Ce que l‟on caractérise comme la conscience de sa mort est en réalité une défense et une protection contre ce non-savoir radical qui signe l‟entrée dans le langage. La constitution subjective repose sur l‟inscription dans le signifiant qui aliène le sujet de son être. Le langage protège de la mort et en même c‟est lui qui l‟introduit. Si le langage parle de la mort, le sujet reste fondamentalement sans connaissance de sa mort.

Effet de la parole, il ne peut pas savoir qu‟il est déjà mort. Déjà mort définit ici le statut symbolique du sujet du signifiant et du fonctionnement de l‟inconscient. Au principe de celui- ci le mot a tué la chose et fait perdre toute complétude mythique au sujet naissant. Le mot supprime l‟objet de satisfaction en inscrivant son frayage et inscrit le sujet dans la diachronie de la chaîne, dans une parole où il tentera de ressaisir son unité perdue et d‟articuler son désir.

Dans cette deuxième partie, nous allons approfondir les coordonnées de la possibilité pour un sujet d‟occuper son corps et la construction nécessaire de la réalité corporelle pour devenir « un corps ».

Dans un second temps, nous interrogerons la réalité du corps à partir du lieu de l‟Autre inconscient et des marques symboliques qui fondent le sujet.

INTRODUCTION

Dans notre partie précédente nous sommes revenus à la source du geste freudien. La découverte de Freud implique la mise en jeu du corps dans les conflits psychiques et le situe comme le lieu où se insiste une énonciation qui veut se dire.

Si le corps peut dans certaines circonstances devenir le site de l‟étrangeté et révéler une altérité pour le sujet, il est aussi ce qui fonde le sujet du langage et de la parole. Après avoir exploré le corps réel, dédoublé entre l‟organique et l‟anatomique, qui demeure morcelé pour le sujet et désigne le statut premier de l‟inexistence du corps. Nous entrons maintenant dans le registre du corps nécessaire à la fabrication de l‟altérité et de la subjectivité.

Nous interrogerons la fonction du corps dans ses rapports complexes avec la subjectivité et l‟altérité. Nous allons reprendre la source de l‟entrée de Lacan dans le champ psychanalytique et son intervention sur le stade du miroir. Cette expérience, extérieure au champ analytique, a pour ambition de livrer les fondements de l‟instance du Je à partir de l‟image du moi. La possibilité de pouvoir dire Je suppose l‟unification imaginaire du corps propre et une distance avec la réalité de son corps. Il s‟agira de croiser et mettre en relief les différentes strates dans les rapports du corps et de l‟altérité imaginaire et symbolique.

Dans un deuxième temps nous reprendrons le thème du miroir de l‟Autre et du lieu de l‟Autre opérant comme un miroir. L‟altérité du signifiant s‟incarne dans le corps de l‟Autre et c‟est à partir de ce lieu vivant que va pouvoir surgir dans un corps un espace psychique. Cette fonction du corps qui fabrique l‟Autre travaille en retour ce qui fonde l‟unité de ce corps. Ce qui est fondamental pour le sujet c‟est d‟avoir un corps qui tienne et qui ne s‟échappe pas. Lacan est souvent revenu sur ce qui fonde l‟unité du corps et en a donné plusieurs versions. On peut en citer deux sur lesquelles nous allons revenir. La fonction unifiante de l‟image agit à partir du morcellement corporel primitif et la fonction comptable de la marque unaire vient contrer l‟effet de morcellement produit par le langage.

Nous terminerons cette partie sur le corps nécessaire avec la définition du corps parlé et parlant abordé dans le sillage de Freud. Nous avons vu que Freud aborde le symptôme physique et le croise avec une causalité inconsciente. Le corps parlant témoigne d‟une énonciation dont l‟énoncé se dérobe, quelque chose parle sans pouvoir être entendu. Le corps est aussi parlé car il est traversé par la parole et les effets du langage.

Pour le dire autrement, le corps est habité par la parole et traversé par le langage.

C‟est bien du rapport au Logos qu‟il s‟agit dans la clinique. L‟homme n‟est pas souverain dans son rapport au Logos. En lui, c‟est le Logos qui parle à travers lui. Ce Verbe qui parle, au-delà de lui, traverse son corps et détermine certains effets définis dans l‟analyse comme vérité et castration.

Le mouvement de cette deuxième partie de la recherche s‟appuie sur une axiomatique de l‟inexistence du corps qui appelle la nécessité d‟une suppléance de l‟image et du symbole. La prématuration et l‟inachèvement caractérisent l‟inexistence du corps à partir de laquelle supplée la puissance de l‟altérité sur ces deux registres. Tout d‟abord, l‟image spéculaire unifie l‟organisme et lui montre une totalité réalisée dans le miroir. L‟altérité symbolique marque le corps comme une unité qui compte au prix d‟une soustraction de jouissance. L‟inexistence du corps précède son existence qui est une construction à partir d‟un inachèvement.

On insistera ici sur le corps nécessaire à la construction de l‟altérité et à la constitution du sujet.

1- LE CORPS ET L’ALTERITE IMAGINAIRE

1-1 LA SOURCE DU NARCISSISME PRIMAIRE

« Mais moi, Narcisse aimé, je ne suis curieux Que de ma seule essence ; Tout autre n’a pour moi qu’un cœur mystérieux, Tout autre n’est qu’absence. » Paul Valéry

Pour Freud, la dimension corporelle est soumise à l‟affrontement et la tension de forces pulsionnelles contradictoires. Ce qu‟il appelle le registre économique caractérise une irrésolution de tensions et de mouvements inconciliables. Il a établi très tôt son premier dualisme entre le moi / la sexualité. Nous l‟avons mentionné dans la partie précédente, tout organe corporel peut faire l‟objet d‟un double investissement (moi et sexuel) et se voit contraint d‟obéir simultanément à deux maîtres. Cela produit des phénomènes cliniques précis tels que la cécité hystérique ou l‟inhibition de l‟organe concerné.

Les rapports entre le corps et le moi chez Freud qualifient l‟apport ses sensations et des excitations pour alimenter le moi. La réalité sensorielle et cénesthésique du corps participe à la réalité des investissements du moi.

Que montre l‟introduction du narcissisme ?

Tout d‟abord la connexion intime entre la structuration du moi et la réalité corporelle, pulsionnelle. Ensuite, la libido ne se porte pas uniquement sur des objets extérieurs mais elle peut investir le corps du sujet, une partie de ce corps. Freud complexifie la répartition libido du moi et libido d‟objet.

L‟instance du moi prend une autre portée puisqu‟elle n‟est pas uniquement ce qui œuvre pour l‟autoconservation biologique de l‟individu mais elle désigne une formation complexe constitutive de l‟appareil psychique.

Si les pulsions autoérotiques sont premières, la constitution du moi est secondaire pour Freud et il en appelle à « une nouvelle action psychique »1 qui permet la constitution de la forme narcissisme. Ce temps du narcissisme primaire est problématique car le moi ne peut pas encore être constitué comme tel.