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1-3 DE LA FIGURE A LA FONCTION PATERNELLE

1-3-1 Reprise du complexe d’Œdipe en trois temps

Lacan propose une reprise du complexe d‟Œdipe en trois temps distincts.

Le premier moment est un moment imaginaire où l‟enfant s‟identifie en miroir à ce qui est l‟objet du désir de la mère. La relation est « duelle », le désir de l‟enfant étant un désir de désir, il se repère par rapport à celui de la mère. Le désir ne porte pas sur un objet mais sur un autre désir marqué par un manque. Le désir de l‟enfant veut être ce qui manque au désir de l‟autre et tend à occuper la place qui lui permettrait de satisfaire ce désir auquel il est confronté. Lacan représente la configuration de ce premier temps par un triangle :

M E

φ

L‟enfant est dans une activité d‟identification à ce qui est la vérité du désir de l‟Autre, soit ce qui lui manque. Il tend à combler ce désir sur lequel porte le sien, il tente d‟occuper et saturer l‟objet de ce désir à partir duquel lui-même se crée.

Dans ce moment, le sujet semble avoir ce qu‟il veut et répondre au désir de l‟Autre en étant lui-même l‟objet qui lui manque.

Dans le deuxième temps, le père intervient pour priver la mère de cet objet identifié à ce qui lui manque. La demande du sujet est « renvoyée à une cour supérieure, une seconde

juridiction »1. Le père est ici privateur soit de la mère pour l‟enfant ou de l‟enfant pour la mère. L‟interdiction est une privation. C‟est le moment clé de l‟Œdipe du père qui dit Non et coupe la dualité en miroir du premier temps. Ce temps est aussi celui du dépassement vers la loi et le symbolique.

Enfin le troisième temps est celui du père qui possède le phallus en tant qu‟il peut le donner à la mère. Ce moment croise le père qui a ce qui manque à la mère et surtout la mère est

présente comme manque-désir c‟est-à-dire comme femme. Le troisième temps de l‟Œdipe fait éclater le triangle initial enfant-mère-père puisque les deux derniers jouent comme homme et femme animés d‟un désir.

Le père fait ici la preuve de sa puissance, c‟est un temps affirmatif et salvateur pour le sujet.

Le Père est l‟élément dans l‟Autre, en tant que lieu de la Loi, qui garantit l‟inscription du sujet et sa division constituante. Le père est l‟élément symbolique et dynamique de l‟Autre qui garantit la Loi et la structuration du désir soumis au phallus. Lacan a prolongé ce sillon freudien en dégageant la fonction du Nom du père comme le référent de l‟Autre en tant que lieu du langage et de la loi.

Le père est la fonction fondatrice de l‟Autre et de l‟inscription du sujet dans l‟Autre.

Pour Lacan le Nom du père est le signifiant de l‟Autre en tant que lieu de la Loi. Il est en position d‟exception dans le registre signifiant. C‟est une réécriture de la théorisation freudienne sur la position fondatrice du père.

1-3-2 Le père est une métaphore

Le nom du père désigne la fonction symbolique qui règle le désir du sujet en le nouant à la loi de l‟Autre. Cette fonction opère par la métaphore qui substitue à l‟énigme du désir maternel (pris comme l‟alternance indéfinie de présence et d‟absence) le signifiant du père. Le père vient nommer le désir et produire la signification phallique comme dénominateur de ses objets. Lacan a logifié le complexe d‟Œdipe et proposé une écriture en termes de substitution métaphorique. Le père est celui qui incarne la fonction signifiante et le vecteur d‟une

transmission.

Mais Lacan va faire un pas supplémentaire en distinguant la place du manque et du trou dans l‟Autre. C‟est le virage des années 1958-1959 qu‟il énonce comme « le grand secret de la psychanalyse c‟est qu‟il n‟y a pas d‟Autre de l‟Autre ». Ce manque et cette absence sont fondamentaux pour la structuration du sujet et son inscription dans le langage.

A la place du signifiant qui va indiquer ce trou structural, écrit S (A barré), Lacan situe le cadavre paternel. Il précise que le tombeau de Moïse comme celui du Christ ne révèle pas leur mystère, leur sens. Finalement le corps mort du père est lui-même un signifiant qui indique ce manque dans l‟Autre, ce trou dans la structure et dans le savoir, dans l‟histoire. Lacan rapproche Freud et Hegel dans leur volonté de totaliser l‟histoire à partir de cette fonction du corps mort. Mais cette position d‟exception ne délivre aucun signifié ou aucune révélation.

On peut dire que le nom du père, comme le totem, a pour fonction de classer et ordonner la généalogie. C‟est la mort réelle et effective qui supporte la fonction paternelle. Lacan fait un pas supplémentaire en indiquant que le signifiant de l‟incomplétude (S de A barré) peut être lu en rapport avec le cadavre paternel et le corps mort dans le tombeau.

Pour clore ce développement sur l‟intrication de la mort et du père, il nous faut préciser les quatre figures suivantes. Moïse et l‟alliance avec le Père. Le texte de la Loi est la Parole divine sortie du buisson et transmise à Moïse. Ce sont les lois mêmes de la parole qui sont inscrites sur ces tables. Le Christ en tant qu‟incarnation du Père dans le Fils et la victoire sur la mort qui s‟en déduit. En effet, la bonne nouvelle est supportée par le tombeau vide et la disparition du corps qui authentifie le message christique et la Rédemption universelle.

« Le christianisme naît en fin de compte de l‟angoisse de l‟esclave devant le Néant, son néant, c‟est-à-dire Ŕ pour Hegel Ŕ de l‟impossibilité de supporter la condition nécessaire de l‟existence de l‟Homme Ŕ la condition de la mort, de la finitude. […] Et toute l‟évolution du monde chrétien n‟est rien d‟autre qu‟une marche vers la prise de conscience athée de la finitude essentielle de l‟existence humaine. »1

Enfin, dans sa recherche de la vérité du monothéisme, Freud tente un effort pour condenser les figures précédentes et insister sur le meurtre inaugural du père et la généalogie qu‟il détermine.

De Hegel à Freud, le mouvement qui traverse le XIX ème siècle est celui de la mort de Dieu, la vacillation de ce qui fonde les valeurs, le tremblement d‟une référence d‟exception fondatrice. Une méditation sur la figure du père et ce qui ne fonctionne plus dans le système de références qui règle les échanges entre les hommes. C‟est un moment critique sur la notion de valeur dont les effets sur le monde contemporain sont toujours actifs.

On peut dire que le Nom du Père est à situer dans le registre de l‟origine, du principe, de l‟ordre et du nom. Il touche l‟impossibilité du mouvement qui veut fixer le principe, de nommer l‟origine, de fonder l‟ordre dans lequel la réalité humaine se constitue et se déroule. Le père représente cette ignorance nécessaire de l‟origine qui permet au savoir d‟apparaître. Créateur en tant que procréateur, il ne se sait rien de l‟acte qui le constitue.

1-3-3 La mort, le désir, la loi

Envisageons maintenant le lieu de l‟Autre, trésor des signifiants et déterminant la syntaxe inconsciente. Cette syntaxe se déroule sur les deux séries du signifiant et du signifié. Ce qui maintient et structure l‟ordre signifiant est le nom-du-père c‟est-à-dire un signifiant détaché de tout rapport à la réalité phénoménale. C‟est un Nom qui garantit la loi et l‟organisation élémentaire des alliances de la parenté. Dans le registre signifié c‟est le signifiant du phallus qui désigne « dans leur ensemble les effets de signifié, en tant que le signifiant les conditionne par sa présence de signifiant. »1

Ernest Jones avançait l‟idée selon laquelle la réalité concrète fonderait le symbole, l‟existence réelle donnerait sa consistance au signifiant. Lacan montre au contraire que certaines idées majeures font totalement défaut au concret et ne prennent leur poids que par le signifiant. Elles tiennent dans la réalité uniquement par le signifiant.

Certains signifiants ne « fondent une réalité qu‟à la faire s‟enlever sur un fonds d‟irréel : la mort, le désir, le nom du père »2

(nous soulignons). Le signifiant engendre la chaîne et sa circulation sur ce fond de néantisation de la réalité.

Sa consistance n‟a rien à voir avec la richesse du substrat naturel symbolisé. Le lien entre la réalité concrète et le signifiant n‟est pas direct ou immédiat, la force du signifiant procède d‟un ras de marée et du fond d‟irréel qui fonde la réalité.

1 LACAN J., La signification du phallus (1958), Ecrits, op.cit., p.690. 2

Fonder veut ici dire supporter et soutenir, le nom du père supporte la cohérence du lieu de l‟Autre et lieu de la loi. Le désir, en tant que manque à être, spécifie le mouvement de recherche vers un objet perdu. La réalité du manque du désir fonde et soutient la parole du sujet.

La mort fonde la réalité de la structure discursive signifiante, elle est comme l‟envers du nom du père. La triade énoncée par Lacan peut être explorée en termes de fondation et constitution de la réalité : le Nom du Père garantit l‟ordre symbolique et l‟inscription du sujet au prix d‟une division, le Phallus conditionne la réalité des effets de signifié, il est le symbole vital qui accroche le vivant dans la structure, la mort est située dans les fondements de la chaîne signifiante.

On notera que cette triade de Lacan (mort, désir, nom du père) recoupe les trois formes de la finitude analysée par la pensée moderne que Foucault met en évidence dans Les mots et les

choses 1 et qu‟il écrit avec une majuscule : La Mort, le Désir et la Loi.

La réalité humaine traversée par les mots et leurs effets, l‟être y est néantisé et le néant présent. Il s‟agit d‟une réalité plus « évasive, qui se présente et s‟évapore »2. C‟est une réalité soumise à une « néantisation symbolique »3. Très tôt, l‟enfant est confronté aux mots et leurs effets dans son rapport à la réalité. Les signifiants ne sont pas une dimension de l‟expérience à côté des objets, de l‟affectif ou de la sphère non-verbale. Ils sont, plus radicalement, la demeure de l‟être parlant et structurent sa réalité. Sa « demeure » laisse entendre que la mort y est déjà présente4.

Qu‟est-ce que cela veut dire ?

Une réalité néantisée est celle dont le fond est le néant et la mort. Pour l‟être parlant la réalité est subsumée et annulée par les mots. Rien ne peut exister que sur fond d‟une inexistence, c‟est parce qu‟il y a les signifiants qu‟il peut y a avoir perte de jouissance et récupération.

L‟espace du désir, de la perte ou du manque est organisé par la structure d‟alternance et d‟opposition du symbolique dont le fonds est le néant. Derrière les jeux de la parole, les

1 FOUCAULT M., Les mots et les choses, op. cit., p.386. 2 BLANCHOT M., La part du feu, Gallimard, 1949, p.38. 3

LACAN J., Le Séminaire Livre III, Les psychoses (1955-1956), Seuil, 1981, p.168-169.

glissements de significations, la façade des circuits désirants, qu‟y a-t-il ? Quel est le sens dernier ? Quel est le point d‟horizon ?

C‟est la mort en moi, c‟est mon être pour la mort et ma vie en direction de la mort que je refuse de savoir jusqu‟à un certain point. Ces coordonnées sont interrogées dans ce travail sur la maladie létale. Elle touche cette jonction spécifique de la parole et de la mort, de la vie signifiante et de la déréliction (nous y reviendrons). C‟est la mort transmise en même temps que la vie dans la parole.

Le signifiant s‟instaure et se fonde à partir d‟une coupure avec la réalité et d‟un processus d‟effacement des choses. Une libération de l‟immédiateté changeante s‟effectue et permet l‟entrée dans un autre ordre de réalité dont le fondement est alors le néant. Ce n‟est pas dire que le signifiant introduit la mort dans la réalité mais plutôt que la mort supporte et soutient l‟instauration de l‟ordre symbolique et la réalité effective. Elle est de l‟ordre de la fondation et du fondement. Elle supporte la logique de la structure signifiante et cause la subjectivité déterminée par cette structure.

Ces axes croisés de recherche sur la figure du père et le totem, sur le meurtre nécessaire à l‟instauration du symbolique, sont portés par la question Qu’est-ce qu’un père ?

Dans cette recherche sur la nature et la fonction du père pour l‟humanité, Freud définit le statut fondateur du père mort. En même temps, il indique une fonction de la mort pour la réalité humaine. La mort est ce qui fabrique la référence paternelle et supporte la logique de l‟Autre.

Ce que Freud indique dans sa recherche sur la nécessité du meurtre inaugural et la fonction de la mort dans l‟organisation des rapports sociaux touche au plus près l‟introduction des effets du langage. Nous abordons maintenant la négativité du symbolique.

2- LA NEGATIVITE DU SYMBOLIQUE