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ASSISES THÉORIQUE, CONCEPTUELLE ET MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE

1.5.1 À DES LIMITES CLAIREMENT ÉTABLIES

1.5.2 L' « INTERCULTUREL » : DU CONTEXTE MIGRATOIRE À LA SPHÈRE ÉDUCATIVE

L'étymologie du concept d'interculturel se compose du préfixe latin inter qui signifie « entre, au milieu de, parmi » et du mot latin cultura qui signifie « agriculture », dérivé du verbe colere, « habiter, cultiver », et relève « de contacts entre différentes cultures ethniques, sociales. » (Larousse 2015). Cette étymologie nous indique d'abord un contact, un aller/retour, un dialogisme entre les cultures qui peut présupposer une réciprocité à travers une relation entre l'alter et l'ego, le moi et le vous.

Au-delà de l'étymologie, l'émergence du concept d'interculturel trouve ses origines dans les mutations historiques que connaît l'Europe en (re)construction après la Deuxième Guerre Mondiale, avec des flux migratoires inouïs et le développement de moyens de communication. Ces mutations nourriront profondément les travaux du Conseil de l'Europe et dès 1962 débutera le programme « langues vivantes » au Conseil de la Coopération Culturelle (CDCC) dont plusieurs projets découleront pour la didactique des langues-cultures.

En France, l'interculturel sera reconnu à partir de l'immigration et de ses conséquences pour l'école. Le premier projet, franco-portugais, existe dès 1975, et une publication : Esquisse d'une méthodologie interculturelle pour la formation des enseignants et des opérateurs sociaux. (Charlot177, 1982, cité dans Demorgon, p. 16, 2005). L'objectif était de se démarquer d'une politique

d'assimilation évoquant une certaine attitude colonialiste dépassée, mais aussi de développer une pédagogie adaptée basée sur la communication et la compréhension du contexte européen et international.

Selon Porcher178, l'apparition officielle du concept d'interculturel en tant qu'adjectif se trouve dans

177 Charlot, M. (1982), L'éducation interculturelle à l'école, Pour 86, Toulouse, Privat.

un document du ministère de l'Éducation nationale en 1978, consacré à la scolarisation des enfants immigrés. C'est dans ce contexte que le concept d'interculturel, qui à l'origine est né dans le cadre d'une politique d'accueil des adultes immigrées et de leurs enfants, se décentrera peu à peu de la sphère initiale de la formation des adultes à la scolarisation des enfants, avant de s'étendre à l'ensemble de la sphère éducative. Le concept d'interculturel part de l'axiome que les sociétés et les cultures étant désormais plus que jamais plurielles (plurilingues, pluri-identitaires), et que de ce fait, la sphère éducative doit être en mesure d'apporter des réponses à ces nouveaux paradigmes. Ces réflexions se nourrissent aussi de l'opposition entre « multiculturalisme » et « interculturalisme », en ce sens que lorsque le premier préconise une juxtaposition des cultures en présence en préservant une pluralité des groupes mais sans visée éducative, le second privilégie une relation des spécificités aboutissant à la (re)connaissance, à l'interaction et au partage entre les groupes dans une visée éducative. C'est ce que Abdallah-Pretceille définit comme « une construction susceptible de favoriser la compréhension des problèmes sociaux et éducatifs, en liaison avec la diversité culturelle. »179 (p.36, 1992).

Selon Porcher, la démarche interculturelle est sous-tendue par trois axes : - Reconnaissance du caractère multiculturel et pluriel des sociétés ;

- Le système éducatif doit tenir compte de ces nouveaux phénomènes pour l'intégrer dans ses pratiques ;

- L'échange réciproque, le bénéfice partagé sont des figures de proue de la démarche interculturelle privilégiant l'échange.

Porcher illustre ces trois dimensions en précisant que « toutes nos sociétés sont actuellement multiculturelles, qu'on le veuille ou non, qu'on le sache ou non. Et cela ne tient d'ailleurs pas seulement à la présence de migrations en leur sein ; dans toutes les sociétés contemporaines coexistent en effet, s'interpénètrent plusieurs types de cultures : culture nationale, cultures régionales, culture enfantine, culture féminine, cultures professionnelles, culturels étrangères, etc., et ces cultures peuvent être elles-mêmes dominantes ou dominées, massives ou clairsemées, diffuses ou explicites, revendiquées ou refusées, etc. Elles sont aussi éventuellement de nature sectorielle ; culture politique, culture sportive, culture médiatique, culture ludique, culture religieuse, etc. »180 (p. 22, 1984). Cette citation montre clairement qu'au vu de la réalité plurielle et

des enseignants. Conseil de l'Europe, Strasbourg, p. 27 (1981)

179 Abdallah-Pretceille, M. (1992), Quelle école pour quelle intégration ?, Paris, Hachette. 180 Porcher, L. (1984), L'Enseignement aux enfants migrants ? Didier, colle. Crédif essais.

multiculturelle des sociétés, il en va de la sphère éducative de considérer ce concept d'interculturel afin de l'intégrer dans ses pratiques et de l'intégrer aux réflexions didactiques et pédagogiques.

Dans cette dynamique, le Conseil de l'Europe donne (dès 1986) sa vision de l'interculturel : « l'emploi du mot « interculturel » implique nécessairement, si on attribue au préfixe « inter » sa pleine signification, interaction, échange, élimination des barrières, réciprocité et véritable solidarité. Si au terme « culture », on reconnaît toute sa valeur, cela implique reconnaissance des valeurs, des modes de vie et des représentations symboliques auxquels les êtres humains, tant les individus que les sociétés, se réfèrent dans les relations avec les autres et dans la conception du monde. »181. Cette définition, qui s'inscrit dans le prolongement de celle de Porcher,

souligne la dimension interactionnelle du concept qui devra être prise en compte par la sphère éducative afin de refléter la réalité des valeurs des cultures induites en amont et en aval des interactions interculturelles.

Conformément aux premières acceptions scientifiques du concept d'interculturel, l'attention est portée sur le préfixe inter qui met la notion d'échange, d'interaction et de réciprocité au cœur de la notion. La démarche interculturelle nous questionne sur notre rapport et la reconnaissance de l'autre, c'est-à-dire l'altérité. Il faut donc à la fois prendre en compte les différences, mais aussi, ce qu'on ne dit jamais assez, la similitude et l'identité (Porcher, 2012). Cette remarque introduit la notion d'altérité (du latin alter, autre) qui est employée dans le langage courant comme le caractère, la qualité de ce qui est autre (sens philosophique), la reconnaissance de l’autre dans sa différence, qu'elle soit ethnique, sociale, culturelle ou religieuse. Autrement dit, l'antonyme du même (Rey, 2003). Cependant, le questionnement sur l'altérité, qui est au cœur du concept d'nterculturel, nous conduit à s'interroger sur ce qui est autre (alter) et moi (ego) dans un va-et-vient, et nous interroge profondément sur l'identité de chacun. Quelle perception avons-nous de l'autre et du moi ? Avons- nous conscience d'être étranger à l'autre ? Ces questions centrales interrogent l'identité de chacun et de ses habitus (capitaux culturels) dans l'interaction singulier/universel. En effet, chaque individu possède ses propres héritages, ses habitus qui sont continuellement remis en question lors des interactions puisque ceux-ci sont singuliers à chacun et non universels à tous. En didactique des langues-cultures, Porcher et Groux expliquent que l'option interculturelle « permet aussi un indéniable enrichissement de l'individu par une réflexion sur les codes culturels, les morales et l'éthique, nécessaire à une prise en compte de la diversité culturelle et à sa reconnaissance. Sur le

181 Conseil de l'Europe. (1986), L'Interculturalisme : de l'idée à la pratique didactique et de la pratique de la théorie, Strasbourg.

plan personnel, elle permet l'enrichissement grâce à la rencontre avec d'autres individus. »182 (p. 56,

2003).

Dans les années 1980, la communauté scientifique, qui en est encore à ses balbutiements, définit le concept d' « interculturel » comme les interactions entre les langues et les cultures tout en reconnaissant le caractère pluriel et multiculturel des sociétés, qui devraient induire un échange réciproque contrairement à la démarche multiculturelle, et qui nécessiterait d'être transcrit en termes de « compétences interculturelles » dans la sphère éducative (compétence de communication interculturelle notamment sur laquelle nous reviendrons).

Force est de constater que la notion d'interculturel est conflictuelle dans ses acceptions puisque certains auteurs lui préfèrent celle de multiculturelle ou de pluriculturelle. Nous pouvons légitimement nous demander si les interactions de l'interculturel l'emporteraient-elles sur les juxtapositions ou ségrégations du multiculturel dans le contexte de mondialisation ? Ceci présuppose que l'interculturel est réalité et qu'il reflète un constat d'interactions positives ou négatives entre cultures.

Au-delà de ce constat, il est à souligner que certains auteurs reconnaissent l'interculturel comme une valeur. Mais en est-il une ? Ne serait-il pas au contraire un idéal sur lequel le dialogue des langues et des cultures ne pourrait se construire ? Au-delà de ces interrogations, l'interculturel est sans aucuns doutes un lieu d'altération de cultures qui peut construire aussi bien que détruire les rapports entre les langues et les cultures, c'est pourquoi, nous ne pouvons pas médire son existence car à partir du moment où nous nommons cette notion d' « interculturel », cela signifie que nous travaillons à son explication (Demorgon). Ce dernier nous précise que si le mot interculturel est apparu en France dans les années 1970, c'est parce que nous lui avons donné une place dans les dictionnaires et il met en relief l'institutionnalisation de la notion d'interculturel avec celles de : culture, transculturel, multiculturel. En somme, l'auteur vise à expliquer, qu'au-delà de l'horizon de chacun de ces mots précités, le concept d'interculturel fait référence au moment sociétal dans lequel nous vivons. « Se former, c'est donner forme et signification à ses moments. En donnant une place au mot dans ses dictionnaires, une société donne du sens à la réalité qu'il y a derrière. » (Demorgon, préface, p. 10, 2005).

Bien que nous ayons conscience que l'approche du concept d' « interculturel », aussi récente soit- 182 Groux, D., Porcher, D. (2003), L'Altérité, L'Harmattan.

elle pour l'époque, expose un système comparatif-descriptif (description des différents traits culturels auxquels il faudrait « s'adapter »), en restant à l'état de constat des faits sans pour autant prétendre trouver des réponses à de nombreuses problématiques interculturelles, nous notons néanmoins que ces premières acceptions scientifiques auront permis de nourrir les réflexions sur le concept pour les futurs spécialistes de la discipline, aussi appelés interculturalistes. C'est la raison pour laquelle, nous souhaitons dès à présent nous départir de cette démarche chronophage et descriptive de la notion d'interculturel (comme elle est souvent expliquée dans la littérature par science) pour élargir le champ de nos réflexions aux spécialistes de la discipline afin de montrer que la notion s'inscrit dans différents champs de recherches et domaines professionnels, et que celle-ci a fait l'objet de recherches approfondies dans diverses sciences humaines et sociales. Pour ce faire, nous reviendrons brièvement sur les différents domaines professionnels dans lesquels l'interculturel a pris de l'importance et a nourri les recherches scientifiques, puis exposerons largement la théorie interculturelle du philosophe et sociologue Jacques Demorgon.

1.5.3 L' « INTERCULTUREL » : DE LA SPHÈRE ÉDUCATIVE À DE

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