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ASSISES THÉORIQUE, CONCEPTUELLE ET MÉTHODOLOGIQUE DE LA RECHERCHE

POLITIQUE LINGUISTIQUE ET POLITIQUE LINGUISTIQUE ÉDUCATIVE, UN NÉCESSAIRE REPOSITIONNEMENT CONCEPTUEL ET TERMINOLOGIQUE

2) Considérations épistémologique et historique de Culture Civilisation

2.4 CULTURE OU CIVILISATION ?

2.4.1 CONSIDÉRATIONS HISTORIQUE ET ÉPISTÉMOLOGIQUE DE « CIVILISATION »

Le concept de « civilisation », du latin civilis, signifie ce qui est conforme aux usages, d'où le sens des civilités. Être civilisé, c'est donc être en conformité avec les usages. Selon Braudel, dans sa Grammaire des Civilisations (1987), le mot « civilisation » apparaît en France au XVIIIe siècle à

partir des termes qui existaient déjà depuis le XVIe siècle : « civilisé », « civiliser ». La première apparition dans un texte officiel proviendrait de Victor Riquetti de Mirabeau dans le Traité de la population (1756-1762). À cette époque, le mot civilisation s'oppose à tout ce qui est barbare, primitif, sauvage. Cette définition crée de fait une sorte de division entre les peuples.

En effet, certains peuples seraient civilisés contrairement à d'autres. Au XIXe siècle, les bourgeois allemands se valorisaient à travers leur Kultur (arts, sciences et lettre) pendant que les Anglais utilisaient le terme culture qui prend peu à peu le dessus sur celui de civility. Selon le sociologue allemand Elias (1990), la séparation des concepts de « culture » et de « civilisation » doit être comprise par les peuples germaniques dans un contexte de luttes politiques entre la France, l'Angleterre et l'Allemagne. En plus d'avoir été un des derniers États européens à se constituer en tant qu'État-Nation, l'Allemagne a subi au XIXe siècle les invasions napoléoniennes. C'est pourquoi, les concepts de « culture » et de « civilisation » doivent être compris de manière distincte puisque les bourgeois allemands mettent en avant leur Kultur, pendant que la noblesse pro-française se valorise d'être « civilisée » mais manque de Kultur. Un des problèmes fondamentaux est associé à la langue car l'allemand est parlé par les classes moyennes et basses, ce qui est considéré de barbare. Le français était la langue de tous ceux qui se disent « civilisés », c'est-à-dire les honnêtes gens.

Au contraire des Allemands, les Français utilisent au XIXe siècle le concept de « civilisation » pour signifier sa contribution au progrès de l'humanité. Le développement de sa culture scientifique et artistique modèle en effet la vision du monde, de la nature et des bonnes manières de faire (incluant la politesse et la courtoisie). Le concept de « culture » souligne l'expression de l'individualité d'un peuple en mettant en avant les différences nationales et l'identité particulière des groupes. La prédominance de cette idée dans le monde germanique est le plus pur reflet d'une unification tardive et nécessaire afin de questionner son identité. Ainsi, les intellectuels bourgeois allemands valorisent les Kulturen autochtones de la nation. D'ailleurs, le philosophe allemand Gottfried von Herder (1969) fait remarquer que tous les princes parlent français et que tout le monde les imite au détriment de la valorisation des cultures nationales. Le concept de « culture » est entendu comme la reconnaissance des différences, des culture autochtones alors que celui de « civilisation » s'inscrit dans une recherche de principes et valeurs universels. Durant ce même siècle, le concept de

« civilisation » passe du singulier au pluriel afin de critiquer la vision ethno-centrée de la civilisation occidentale. Burnett Tylor, précédemment cité, nous interroge alors : pourquoi réserver cette vision aux seules grandes sociétés ? Existerait-il des sociétés dépourvues de civilisation ?

En France, le bisontin Charles Fourier définit la civilisation comme une nouvelle organisation du travail qui réparera les dégâts créés par le développement d'une lourde industrie : « Du reste la civilisation occupe en échelle du mouvement un rôle important, car c'est elle qui a créé les ressorts nécessaires pour s'acheminer à l'association ; elle créé la grande industrie, les hautes sciences et les beaux-arts. On devrait faire usage de ces moyens pour s'élever plus haut en échelle sociale, ne pas croupir à perpétuité dans cet abîme de misère et de ridicule nommé civilisation, qui avec ses prouesses industrielles et ses torrents de fausses lumières ne sait pas garantir au peuple du travail et du pain. »73. Cette citation s'inscrit au début de la révolution industrielle et critique la civilisation

incarnée par la société de l'époque, qui renvoie en quelque sorte à l'expansion coloniale et au développement du capitalisme. Notons en 1831 que Michelet dans son Introduction à l'histoire Universelle, fait part de sa confiance en une libération progressive de l'humanité. Ce dernier donne un rôle de premier plan à la France dans l'émancipation de l'espèce humaine.

Puis, la France s'installe à la fin du XIXe siècle dans différents pays d'Afrique afin d'asseoir une conquête économique avec une « mission éducatrice et civilisatrice qui appartient à la race supérieure ». (selon les termes de Jules Ferry74). Le concept de « civilisation » reste longtemps

associé à une supériorité entre les peuples, c'est pourquoi, il sera utilisé avec parcimonie par la communauté scientifique notamment dans un cadre de didactique des langues-cultures. Mentionnons cependant les acceptions actuelles de ce polysémique concept qui comprend régulièrement le concept de « culture » (sens d'un groupe humain) dans sa définition comme en témoigne celle donnée par le sociologue allemand Elias75 : « la notion de « civilisation » se rapporte

à des données variées : au degré de l’évolution technique, aux règles de savoir-vivre, au développement de la connaissance scientifique, aux idées et usage religieux. Elle peut s’appliquer à 73 Fourier, C. (1829), Le Nouveau Monde industriel, Préface.

74 Jules Ferry est un avocat et homme politique (1832-1893) de la IIIe République (1840-1940), partisan de

l'expansion coloniale. Ses positions colonialistes sont contestées par les hommes politiques de tous bords et lui font quitter la présidence du Conseil en 1885. Il décède à Paris le 18 mars 1893 sans laisser de descendance.

http://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Jules_Fran%C3%A7ois_Camille_Ferry/119381 (Consulté le 13 mais 2016).

l’habitat et à la cohabitation de l’homme et de la femme, aux méthodes de la répression judiciaire, à la préparation de la nourriture, et à y regarder de plus près – à tout ce qui peut s’accomplir d’une manière « civilisée » ou « non-civilisée » ; c’est pourquoi il est toujours difficile de résumer en quelques mots l’ensemble des phénomènes susceptibles d’être désignés par le terme de « civilisation » (p. 11, 1973).

Plus récemment, selon la didacticienne Argaud76 : « Le terme civilisation […] a longtemps désigné

l’état d’un peuple qui a quitté sa condition primitive, qui s’est éloigné de l’état animal et sauvage par un processus moral, intellectuel et industriel, lui permettant de sortir de la barbarie et de s’améliorer, et, en tant que tel, il s’est chargé de connotations positives et valorisantes. La civilisation était une continuelle marche en avant, inséparable de l’idée de progrès. Même si les définitions des dictionnaires notent qu’on en est venu, peu à peu, à reconnaître l’existence de différentes modalités et de différents degrés dans la façon de réaliser la civilisation, cette foi dans la civilisation ne s’en est pas moins accompagnée, souvent, d’un ethnocentrisme qui condamnait le sauvage à une infériorité naturelle. Les différentes civilisations ne pouvaient qu’emprunter le chemin montré par les Européens, ou demeurer dans un état d’arriération. » (p. 5/6, 2006).

À l'instar du concept de « culture », le concept de « civilisation » est aussi polysémique et a fait l'objet de bon nombres de définitions. Nous retiendrons néanmoins la définition de Demorgon : « C'est ce qui fait passer une société tout entière à un plus haut niveau de développement. ». (ibid., p.7) Nous donnerons enfin celle de Cuq77 : « un mode d’être, établi historiquement et qui constitue

une totalité, faite de cohérence et de contradiction. Elle se définit surtout par des différences avec d’autres civilisations (plus vagues et plus floues que des cultures). » (p. 58, 2003).

Nous mentionnerons quand même que ce concept de « civilisation » a été repris par le politologue Huntington dans le non moins polémique Le Choc des civilisations (1996) et que ce concept est de moins en moins employé dans le domaine scientifique étant donné son caractère ambigu. C'est pourquoi, le concept de « culture » est le plus souvent utilisé afin de ne pas sombrer dans la confusion.

76 Argaud, E. (2006), La civilisation et ses représentations, Bern, Berlin, Bruxelles, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien: Peter Lang, [ISBN: 3-03911-162-0/ ISSN: 1424- 5868].

77 Cuq, J-P. (2003), Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde. Asdifle, CLE International, S.E.J.E.R Paris.

2.4.2 CONSIDÉRATIONS DIDACTIQUES DE « CIVILISATION »

En didactique des langues-cultures, le concept de « civilisation » a longtemps été associé à l'enseignement de la littérature, de l'histoire, de la « culture cultivée ». Chalaron78 ajoute que : «

l’enseignement des civilisations était fortement marqué par la littérature, l’histoire, les « hauts faits » de la civilisation. L’accent était, et est encore, mis sur les réalisations monumentales, les dates, les « grands » auteurs, les productions artistiques…, et autres symboles de la civilisation. » (p. 32, 1993/94). Nous remarquerons que cette approche est encore présente dans les formations actuelles universitaires (Langues Étrangères Appliquées, Français Langue Étrangère, Langues Littératures et Civilisations Étrangères, etc.) et que le concept de « civilisation » continue d'être accepté comme l'étude de la « culture cultivée » dans une perspective peu professionnalisante (en fonction du parcours d'études). Contrairement à notre recherche qui s'inscrit dans une perspective professionnalisante de prise en considération de l'interculturel dans les politiques linguistiques éducatives, nous reviendrons sur ces considérations didactiques du concept de « civilisation » dans le prolongement de notre réflexion sur l'objet culture-civilisation en didactique des langues-cultures qui sera décliné en compétences.

Conformément à l'articulation générale de notre étude, nous avons prolongé nos réflexions du concept de « culture » au cœur de notre réflexion jusqu'à celui de « civilisation ». Afin de remettre la dimension culturelle - civilisationnelle au centre de notre problématique, c'est-à-dire celle des politiques linguistiques éducatives, nous nous questionnerions sur les constructions de l'objet culture-civilisation en didactiques des langues-cultures et les déclinerons en compétences dans lesquelles sera pris en compte l'interculturel dans une visée professionnalisante car celui-ci s'inscrit dans un cadre de coopération franco-brésilienne. Par le syntagme ou l'objet « culture-civilisation » en didactiques des langues-cultures, nous nous référons ici à la définition de Beacco, c'est-à-dire qu'il s'agit des : « problématiques relatives à des relations entre des situations éducatives et des démarches d'enseignement […]. Culture-civilisation désigne un objet didactique complexe qui réfère aux démarches d'enseignement tout autant qu'aux réflexions théoriques et méthodologiques qui se proposent de les gérer dans le cadre de la classe de langue. En ce sens, l'objet culture- civilisation est à distinguer de culture ou de civilisation comme concepts et domaines relevant de 78 Chalaron, M-L. (1993/94), Aspects méthodologiques de la didactique du FLE. Cours de maîtrise FLE. Grenoble :

l'anthropologie, de la sociologie ou de l'histoire, tout comme l' « objet langue », en tant qu'il désigne l'actualisation de la langue cible dans les matériels d'enseignement, est à distinguer de la langue et de ses descriptions linguistiques. » (ibid., p. 11). Nous rappelons que cet objet culture-civilisation s'inscrira par la suite dans une visée englobante de politiques linguistiques éducatives à visée professionnalisante (comprenant la formation initiale et la formation continue) et mettra l'interculturel au cœur de notre réflexion puisque celui-ci sera décliné en diverses compétences.

3) ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE DE COMPÉTENCES

CULTURELLES

3.1 REMARQUES LIMINAIRES SUR LE SYNTAGME D' « ENSEIGNEMENT-

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